1Pour avoir longtemps été un membre actif de l’Association internationale de Sécurité sociale, à l’orée des années 2000, la Cnaf fait pleinement sienne une action internationale structurée. Plusieurs facteurs expliquent cet engagement :
- l’émergence sociale de l’Europe, notamment avec la stratégie de Lisbonne ;
- le relatif retard de la Cnaf en matière de missions internationales par rapport aux autres caisses nationales, et notamment la CCMSA (Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole) ;
- un volontarisme assumé, qui se traduit par l’intégration de l’action internationale dans la Convention d’objectifs et de gestion (Cog).
2Dans ce contexte, l’action de la Cnaf, actrice majeure de la politique familiale française comme de la politique du logement et des principaux minima sociaux, peut prendre, en liaison avec l’État, toute sa place. La Caisse nationale a pu ainsi prendre des contacts directs avec la Commission européenne et le Cese et intervenir à l’intergroupe du Parlement européen sur les familles monoparentales ainsi que sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG).
L’impact du nouveau règlement de coordination européen
3En matière de prestations familiales, le nouveau règlement de coordination européen 883/2004, entré en application le 1er mai 2010, apporte des améliorations non négligeables des droits pour les non-actifs et les enfants orphelins, alors que l’ancien règlement ne touchait que les actifs. Il est accompagné d’un substantiel projet informatique concernant les échanges de données entre les institutions européennes, le dossier EESSI (European Exchanges Social Security Informations), qui vise à substituer aux traditionnels imprimés papier des messages électroniques, les SEDs (Structured Electronic Documents). Ceux-ci permettraient d’accélérer la gestion des dossiers, de fiabiliser les informations et donc, aussi, de faciliter les politiques de contrôles. Le dossier EESSI, qui devait entrer en application le 1er mai 2012, a été reportée au 1ermai 2014 en raison de la difficulté « d’accrocher » ensemble les 27 systèmes informatiques de l’Union européenne via la plate-forme d’échanges de Bruxelles. Opérant sur le mode de l’approche projet, la Cnaf a mobilisé la plupart de ses directions et le réseau transfrontalier baptisé Projet d’entente frontalière d’association et de liaison européenne (Petale), sous le pilotage de la Direction des Relations internationales. Il convenait en effet de traiter globalement :
- les aspects réglementaires ; sur ce point, le suivi législatif a été délivré aux caisses en avril 2010 ;
- les aspects d’information des allocataires : un dépliant a été diffusé aux Caf fin 2011 et le site Web caf.fr explicite les combinatoires des droits (ADI, CDI) en fonction des différentes situations familiales ;
- la formation des techniciens, engagée par la Direction des politiques familiale et sociale (DPFAS) en Île-de-France ;
- la mutualisation des dossiers, au regard de la complexité de ceux-ci, expérimentée sur les sites du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Haute-Savoie, et destinée à être déployée dans le réseau Petale ;
- le dossier EESSI à proprement parler.
4La Cnaf appuie ce dossier EESSI en liaison avec l’Agence pour le développement et la coordination des relations internationales (Adecri), en collaboration notamment avec la République tchèque et la Pologne pour une bonne information des travailleurs migrants. Il s’agit d’un dossier technique complexe qui vise à offrir une meilleure qualité de service aux allocataires, en phase avec le souci de Bruxelles de fluidifier la migration des travailleurs.
La branche Famille, un service social d’intérêt général européen ?
5Depuis plus de dix ans, l’ambiguïté subsiste autour de la notion de service d’intérêt général, dans le souci d’équilibrer l’ouverture à la concurrence et le maintien des services publics, en dépit de nombreux travaux et débats encore en cours. La notion de subsidiarité est admise pour ce qui a trait à la protection sociale à caractère de redistribution monétaire, mais c’est bien le domaine de l’action sociale qui risque d’être touché. En octobre 2011, lors du 3e forum SSIG, la Commission européenne a présenté son 2e rapport bisannuel et lancé une consultation sur les aides d’État et les services d’intérêt général. Ses conclusions ont été prises en compte le 9 décembre 2011 par le député européen De Rossa (Irlande), ainsi que les dispositions contenues dans le pacte sur le Marché unique et les contributions des parties intéressées.
6La Cnaf, par l’intermédiaire de la Reif – sa représentation à Bruxelles –, propose d’aborder le sujet sous l’angle de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’appuyant notamment sur l’examen de l’action de la branche Famille au regard des droits des citoyens. Elle démontre ainsi que dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté, justice sont des objectifs strictement appliqués par la branche Famille.
71) En matière d’égalité et de solidarité, l’action sociale est en phase avec les nouveaux objectifs sociaux de Bruxelles : conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, lutte contre l’exclusion, actions sur les territoires défavorisés, avec notamment les centres sociaux et la médiation familiale.
82) L’exigence de la performance sociale des aides est respectée, en partie compte tenu de critères sélectifs la protégeant des critiques de la Commission européenne, comme pour la Suède et les Pays-Bas sur le logement social.
93) Pour le financement des crèches privées, la Cnaf respecte la réglementation communautaire, les subventions d’investissement déjà autorisées ayant d’ailleurs été jugées comme n’affectant pas les échanges intracommunautaires et ne constituant pas une aide d’État au sens de l’article 87 du traité de Lisbonne (jurisprudence à suivre de très près toutefois).
104) Enfin, la Cnaf applique des règles strictes de qualité du service, en respectant scrupuleusement les agréments de l’État et en appliquant les divers textes d’autorisations.
11Il faut soigneusement noter que le critère de qualité est de plus en plus présent à Bruxelles dans le débat sur les SSIG. On peut se demander si l’on n’est pas face à un quasi-mandatement en raison de l’existence de la Convention d’objectifs et de gestion.
L’action de lobbying
12La Cnaf a été associée au groupe de travail sur la pauvreté des enfants de la Commission européenne. Dans ce dossier, qui n’est pas encore finalisé, la Cnaf a insisté sur les sujets suivants.
13Au niveau des prestations familiales, le droit est plus celui de la famille, quelle que soit sa typologie, que le droit de l’enfant. Tout d’abord, par une modulation du montant des prestations très sensible en fonction de la taille de la famille. À l’inverse, à titre d’exemple, la République tchèque, les pays baltes et l’Espagne ont des allocations familiales stricto sensu, forfaitaires, par enfant. Ensuite, par l’existence d’un critère de ressources pour certaines prestations : complément familial, allocation de rentrée scolaire, Prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), aides personnelles au logement.
14Ces dispositions ne sont pas sans vertu. Plus que le critère des ressources, les critères « sociologiques » français – famille nombreuse, famille monoparentale, logement… – permettent une redistribution qui, même si l’objectif de lutte contre la pauvreté est souvent rejeté par les partenaires sociaux et familiaux, est très importante et rapproche la France de la situation scandinave.
15Par ailleurs, la Cnaf a souligné l’importance des services et équipements au service des populations vulnérables, qui sont souvent sous-estimés dans la lutte contre la pauvreté. La Caf du Morbihan a été ainsi pionnière avec une offre globale de service ciblant entre autres les besoins en cas de décès, de séparation, d’impayé de loyer. Sur ce point, et sachant que la Cnaf a publié ce dossier sur le portail Internet de l’Alliance européenne pour les familles, comme exemple de bonne pratique, le « message » pour Bruxelles semble avoir été entendu, puisque le dossier a été intégré sur le portail dédié.
16Le congé maternité est également un sujet qui a retenu l’attention. La norme européenne est de 14 semaines de congé rémunéré. Depuis deux ans, un débat important porte sur un passage à 20 semaines ou 18 semaines. Nombre de pays, dont le Royaume-Uni, y sont opposés en raison du coût. En France, celui-ci serait modéré, dans le cas d’un congé de 18 semaines, au regard de la rémunération du congé de 16 semaines pour le premier enfant, qui est à 70 % majoré de 2 semaines pour des raisons médicales, et allégerait pour partie le coût de la Paje. La Cnaf n’ayant pas délibéré sur ce point, les services restent en l’état en vigilance active.
La coopération transfrontalière
17Inaugurée par l’accord de coopération entre la Caf de Strasbourg avec la Caisse allemande d’Offenbourg, la coopération transfrontalière porte sur la gestion des droits, l’échange d’information et de formation des agents. Forte de ceci, la Cnaf a créé un réseau associant Lille à la Belgique, Metz au Luxembourg, Strasbourg à l’Allemagne, Annecy à la Suisse, Digne et Nice à l’Italie, Bayonne et Perpignan à l’Espagne ou encore les marches du Larzac au reste de l’Union européenne. Il s’agit du réseau PETALE. À titre d’exemple, les Caf de Digne et de Gap ont noué une relation féconde avec la Région de Turin sur l’action sociale. Lille va bientôt traiter le dossier de lutte contre la fraude avec la Belgique. Il existe un potentiel de coopération également entre la Catalogne et Perpignan.
18Par ailleurs, le réseau PETALE a été étroitement associé au traitement du dossier EESSI, dans une perspective de mutualisation d’expertise.
Le benchmarking politique
19La Direction des Relations internationales de la Cnaf a produit d’importantes contributions sur les sujets suivants [1] :
- l’accueil du jeune enfant en Europe ;
- les familles monoparentales ;
- la comparaison des prestations familiales en Europe, avec des fiches pays ;
- la comparaison des minima sociaux ;
- les familles nombreuses ;
- les politiques du logement.
20Comme dans toute son action internationale, la Cnaf a tenu, vis-à-vis de l’Union européenne, à asseoir une stratégie faite « d’export/import ». Elle est force de proposition à Bruxelles, dans le respect des sensibilités des membres du Conseil d’administration et de celui de l’État. Elle est également attentive aux bonnes pratiques de nos voisins européens. Ainsi, à titre d’exemple, elle a porté un regard vif et intéressé sur l’équivalent belge de la Cog française, à travers le contrat d’administration de l’ONAFTS avec son État.
21Cette action dense et lourde, que la complexité de la gouvernance des instances européennes peut parfois rendre ingrate, mérite un approfondissement sur le benchmarking gestionnaire dans une Union européenne où les prestations familiales sont gérées directement par l’État dans la plupart des pays. Ce sera un de nos nouveaux défis.