CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Quotient familial et imposition conjointe des couples sont des piliers de la politique familiale française, au point qu’ils peuvent sembler la manière la plus naturelle pour la fiscalité d’appréhender la situation familiale. Ils doivent pourtant être analysés de manière comparative en Europe. La France est un des pays, désormais minoritaires, qui obligent les couples à une imposition commune et qui accordent des avantages fiscaux par enfant, croissant en fonction du revenu. Ainsi que le montre le tableau ci-dessous, elle n’est, en revanche, pas le seul pays à recourir de manière importante à la fiscalité comme instrument de politique familiale. La fiscalité représente une part significative de la politique familiale dans un certain nombre de pays d’Europe continentale (Allemagne, France, Pays-Bas, Belgique) ou dans certains pays anglo-saxons (Royaume-Uni et, en dehors de l’Europe, les États-Unis). Les allégements fiscaux en faveur des familles sont, en revanche, peu ou pas développés dans les pays scandinaves (Suède, Danemark, Norvège, Finlande, Islande), où la politique familiale est pourtant importante [1], ou dans les pays d’Europe méridionale, où elle est au contraire très faible (Italie, Espagne, Grèce). Cependant, même dans ces pays, certains choix de construction du système fiscal, notamment celui d’imposer les revenus des couples de manière conjointe ou séparée, ont un impact sur la situation des familles.

Graphique 1

Dépenses publiques de politique familiale en prestations, services et dépenses fiscales (en pourcentage du PIB), données 2007

Graphique 1

Dépenses publiques de politique familiale en prestations, services et dépenses fiscales (en pourcentage du PIB), données 2007

2Le sujet de la fiscalité familiale n’est pas le mieux documenté dans les sources de comparaison internationale. Eurostat est l’outil naturel de comparaison des politiques familiales en Europe, mais il n’investit pas le champ de la fiscalité, comme l’a montré le Haut Conseil de la famille (HCF) [2]. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) réalise des travaux sur cette question, mais ils reposent sur un nombre limité de cas types, qui ne permettent pas une comparaison globale de l’impact des systèmes fiscaux.

L’imposition séparée est devenue majoritaire

3Il existe deux modalités principales d’imposition des couples. Ils peuvent être imposés soit conjointement, et l’impôt est alors calculé sur le cumul des revenus de leurs deux membres, soit séparément, chacun s’acquittant dans ce cas de l’impôt calculé sur ses seuls revenus. Ces options reflètent des conceptions différentes du partage des revenus au sein des couples : dans l’imposition conjointe, l’idée sous-jacente est qu’il existe un salaire principal apporté par un chef de famille et un salaire d’appoint, les couples étant censés partager leurs revenus. L’imposition séparée vise à la neutralité de la fiscalité quelle que soit la situation familiale, l’État ne s’immisçant pas dans la gestion de l’argent au sein du couple.

Tableau 1

Évolution des systèmes d’imposition des couples dans les pays de l’UE

Tableau 1
Mode d’imposition 1970 1990 1999 2007 Allemagne Commune Commune Commune Commune (Séparée) Autriche Commune Séparée Séparée Séparée Belgique Commune Commune Séparée Séparée Danemark Commune Séparée Séparée Séparée Espagne Commune Optionnelle Séparée (Commune) Séparée (Commune) Finlande Commune Séparée Séparée Séparée France Commune Commune Commune Commune Grèce Séparée Séparée Séparée Séparée Irlande Commune Commune Commune (Séparée) Commune (Séparée) Italie Commune Séparée Séparée Séparée Luxembourg Commune Commune Commune Commune Norvège Optionnelle Optionnelle Optionnelle Optionnelle Pays-Bas Commune Séparée Séparée Séparée Portugal Variable Commune Commune Commune Royaume-Uni Commune Séparée Séparée Séparée Suède Commune Séparée Séparée Séparée Estonie nd nd nd Optionnelle Hongrie nd nd Séparée Séparée Lettonie nd nd nd Séparée Lituanie nd nd nd Séparée Pologne nd nd Optionnelle Optionnelle République tchèque nd nd Séparée Optionnelle Slovaquie nd nd nd Séparée Slovénie nd nd nd Séparée

Évolution des systèmes d’imposition des couples dans les pays de l’UE

Nd : données non disponibles.
Source : Meulders D., Humblet P., Maron L. et Amerijckx G., 2010, Politiques publiques pour promouvoir l’emploi des parents et l’inclusion sociale, Gent, Academia Press.

4On constate une tendance forte dans l’Union européenne (UE) à l’abandon du système d’imposition jointe au profit de la taxation séparée. En 1970, sur seize pays [3], treize retenaient l’imposition commune et seule la Grèce retenait l’imposition séparée obligatoire. En 2007, seuls trois pays conservent une imposition commune obligatoire, qui demeure cependant une possibilité dans quatre autres pays. De plus, les pays entrés dans l’UE en 2004 ont tous une imposition séparée ou au choix. La structure des choix d’imposition des couples dans l’UE s’est donc inversée. Trois groupes de pays se dégagent donc aujourd’hui :

  • les pays qui ont un système de taxation joint obligatoire pour tous les revenus, comme la France, le Luxembourg, et le Portugal ;
  • les pays où les ménages peuvent choisir entre imposition conjointe ou séparée, comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège ;
  • tous les autres pays, qui ont fait le choix d’une imposition séparée obligatoire ; si celle-ci ne concerne pas toujours tous les revenus, elle est en tout cas systématique pour les revenus du travail.

L’avantage fiscal par enfant : forfaitaire ou croissant en fonction des revenus ?

5La prise en compte de la charge d’enfant par le système fiscal est très majoritaire en Europe. Seuls les pays scandinaves (Suède, Danemark, Finlande) ne la pratiquent pas. Cela signifie que dans ces pays, à revenu égal, les adultes sont imposés de la même manière quel que soit leur nombre d’enfants, ce qui, il est vrai, est compensé par d’autres dispositifs : prestations familiales, services et équipements, congés parentaux.

6Au sein des pays qui prennent en compte la charge d’enfant, deux catégories s’opposent nettement :

  • les pays qui procurent un avantage fiscal égal par enfant, quel que soit le revenu ; c’est le cas du Royaume-Uni, de l’Italie, de l’Autriche, de la Belgique ou de la Grèce ;
  • ceux qui procurent un avantage fiscal par enfant croissant avec le revenu, parmi lesquels on trouve notamment l’Allemagne, l’Espagne et la France.
Les techniques fiscales utilisées sont variées. Dans le premier groupe de pays, l’avantage fiscal peut prendre la forme d’une réduction d’impôt forfaitaire (la réduction s’applique à l’impôt dû), voire d’un crédit d’impôt (lorsque le parent ou le ménage n’est pas imposable, l’administration fiscale lui verse la somme d’argent correspondante). Le crédit d’impôt est le mécanisme le plus égalitaire, puisque l’avantage est étendu aux ménages non imposables. Dans le second groupe, certains pays appliquent une déduction forfaitaire au revenu imposable (Allemagne, Espagne) : l’avantage est croissant en fonction du revenu puisqu’il est d’autant plus important que le parent ou le ménage se situe dans une tranche d’imposition élevée ; d’autres, qui sont les pays à imposition commune obligatoire (France, Portugal et Luxembourg), appliquent un mécanisme de « quotient familial », qui consiste à diviser le revenu global du couple avant application du barème de l’impôt par un nombre de parts en fonction du nombre de membres de la famille.

7Là encore, cette diversité de choix en matière de fiscalité traduit des différences de conception de la politique familiale. Les pays du premier groupe accordent un avantage fiscal par enfant égal quels que soient les revenus des parents, ce qui revient à accorder proportionnellement plus aux plus pauvres, et ainsi à assurer une redistribution verticale des plus riches vers les plus pauvres. Les pays du second groupe ont une perspective de redistribution horizontale : ils considèrent qu’il est important d’assurer un niveau de vie égal entre couples sans enfant et couples avec enfants d’un même niveau de revenu. Ce choix conduit à ce que l’avantage fiscal soit concentré sur les ménages les plus aisés : ainsi, en France, les 10 % de ménages les plus riches perçoivent 42 % de l’avantage lié au quotient familial.

Tableau 2

Évolution des systèmes d’imposition des couples dans les pays de l’UE

Tableau 2
Allemagne Belgique Espagne France Italie Pays-Bas Royaume-Uni Suède Nature de l’avantage Réduction d’impôt Réduction d’impôt Aucun Crédit / Réduction d’impôt Réduction d’impôt Réduction de la contribution Crédit d’impôt Réduction d’impôt Description de l’avantage 2/3 de la somme globale 30 %dela somme globale NA 50 %dela somme globale Forfait % en fonction du salaire (ici 14 %) Forfait semaine 50 %dela somme globale Plafond maximal autorisé(*) 4 000 2 500 NA 12 000 (+1 500/ enfant à charge) 1 549,37 Fonction du salaire 166 (par semaine) 10 000 (par ménage) Montant de l’avantage(*) 1 666 750 NA 1 250 1 549,37 Fonction du salaire 1 660 1 250 Total payé par le bénéficiaire(*) 900 1 750 2 500 1 250 950,63 350 840 1 250

Évolution des systèmes d’imposition des couples dans les pays de l’UE

Hypothèse d’un ménage percevant un salaire annuel global de 40 000 euros bruts et ayant recours pendant dix semaines à des prestations de garde d’enfants à domicile s’élevant à 2 500 euros (pour un enfant âgé de moins de 14 ans). (*) en euros.
Source : Étude sur les services à la personne dans sept pays européens, Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), novembre 2011.

8Enfin, il faut noter que les pays qui prennent en compte la charge d’enfant modulent souvent cette prise en charge en fonction de l’âge ou du rang de l’enfant et prennent en compte les charges spécifiques liées à l’isolement [4]. La majorité fait varier cette prise en compte en fonction de l’âge de l’enfant et de son rang (Allemagne, Espagne, Italie, Luxembourg, Royaume-Uni). D’autres pays ne prennent en compte que l’âge (République Tchèque, Pays-Bas, Pologne, Portugal) ou le rang (Belgique, Hongrie). Quant à la prise en compte de l’isolement, elle prend la forme d’un avantage fiscal supplémentaire, qui s’aligne sur le mécanisme retenu pour l’avantage principal : abattement supplémentaire en Allemagne, en Irlande et aux Pays-Bas, crédit d’impôt supplémentaire en Autriche, en Belgique, en Italie et au Royaume-Uni, et demi-part ou part supplémentaire en France et au Luxembourg.

Une surtaxation du travail des femmes dans la plupart des pays européens

9La conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et, en particulier, le soutien à l’emploi des mères, est l’un des principaux objectifs de la politique familiale [5]. Deux éléments sont à considérer pour évaluer l’impact de la fiscalité familiale sur le travail des femmes : les avantages fiscaux octroyés pour garde d’enfant et la manière dont est taxé le deuxième apporteur de revenu, qui est en général la femme.

10Selon Danièle Meulders et al.[6], sur seize pays étudiés, huit permettent la déductibilité fiscale des frais de garde : l’Allemagne, la Grèce, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni. D’après une étude du ministère de l’Économie et des Finances [7] qui fait un examen précis de la législation dans huit pays de l’Union européenne, le soutien fiscal aux frais de garde d’enfant est souvent conséquent : dans le cas type étudié, il dépasse 50 % du prix. Comme le montre le tableau suivant, la France est le pays où le plafonnement est le plus élevé (jusqu’à 12 000 euros d’avantage fiscal) ; le plafonnement est également important en Suède (10 000 euros). Mais la réduction d’impôt dans ces deux pays est seulement de 50 % des frais, alors qu’en Allemagne, le taux de réduction sous plafond est de deux tiers.

11La surtaxation du deuxième apporteur de revenu (le plus souvent la femme) [8] est inhérente au système de taxation conjointe. En effet, l’impôt sur le revenu ayant un barème progressif, le second apporteur, dont les revenus sont additionnés à celui de son conjoint, est plus imposé que s’il était seul avec les mêmes revenus. Cependant, même en cas d’imposition séparée, certains mécanismes peuvent désavantager le second apporteur de revenu : des avantages pour conjoint à charge ou des crédits d’impôt dont le mode de calcul est familialisé peuvent être perdus du fait de la reprise ou de l’augmentation de son activité. Selon Florence Jaumotte [9], il existe une surtaxation du second apporteur de revenus plus ou moins importante dans la plupart des pays de l’OCDE. Deux cas types sont étudiés, ceux d’une femme percevant 67 % du salaire de l’ouvrier moyen de la production (OMP) et d’une femme en percevant 100 %, le mari percevant lui-même 100 % dans les deux cas. Dans le premier, la surtaxation est particulièrement marquée (supérieure à 100 %) en Irlande, en Islande et en République tchèque, et dans une moindre mesure en Italie, en Espagne ou en Allemagne. Dans le second cas, ce sont l’Islande, le Danemark et l’Espagne qui connaissent la surtaxation la plus importante. Le recours à un nombre réduit de cas types présente cependant des limites. Ainsi, la France apparaît comme ne pratiquant aucune surtaxation, en dépit de son système de quotient conjugal ; ceci s’explique par le fait que seule la moitié des ménages français est imposable, les cas types étudiés ne percevant donc pas de revenus assez élevés pour que le quotient conjugal puisse jouer.

12Toujours selon une méthode de cas types, l’OCDE a montré que si l’on intègre l’ensemble des effets (augmentation des cotisations et fiscalité, perte de prestations sociales, frais de garde), le coût marginal de la reprise d’emploi du second apporteur dépasse 50 % du gain salarial dans la plupart des pays. Au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Irlande, cela s’explique surtout par le niveau élevé des frais de garde. En Allemagne, on constate un alourdissement important de la fiscalité. Somme toute, les différents mécanismes de la fiscalité familiale parviennent difficilement à éviter une taxation élevée du travail des femmes.

13Ce panorama permet de mettre en perspective les spécificités de la fiscalité familiale française, qui se caractérise par une dimension relativement importante de redistribution horizontale et par des dispositifs tels que le quotient familial ou la réduction d’impôt pour garde d’enfants. En revanche, les sources existantes ne montrent pas de forte spécificité en France dans la taxation du travail des femmes. Des analyses plus complètes que celles portant sur les cas types publiées par l’OCDE seraient cependant nécessaires pour parvenir à des conclusions robustes sur ce point.

Notes

  • [1]
    La politique familiale utilise d’autres instruments dans ces pays, tels que des prestations en espèces et des services aux familles à caractère universel.
  • [2]
    L’investissement de la nation en direction des familles, comparaisons internationales, Haut Conseil de la famille, note de travail, septembre 2010.
  • [3]
    Les quinze pays de l’Union européenne avant l’élargissement de 2004, plus la Norvège.
  • [4]
    Architecture des aides aux familles : quelles évolutions pour les 15 prochaines années ?, Haut Conseil de la famille, annexe 3, 2011, simulations réalisées par la Direction générale du Trésor.
  • [5]
    La stratégie de Lisbonne adoptée par l’Union européenne en 2000 a consacré cet enjeu en fixant un objectif de 60 % d’emploi des femmes à l’horizon 2010.
  • [6]
    Meulders D., Humblet P., Maron L. et Amerijckx G., 2010, Politiques publiques pour promouvoir l’emploi des parents et l’inclusion sociale, Gent, Academia Press.
  • [7]
    Étude sur les services à la personne dans sept pays européens, Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), novembre 2011.
  • [8]
    La surtaxation est évaluée en comparant, à revenu égal, le taux d’imposition d’une personne vivant en couple à celui d’une personne vivant seule.
  • [9]
    Jaumotte F., « Les femmes sur le marché du travail : évidence empirique sur le rôle des politiques économiques et autres déterminants dans les pays de l’OCDE », Revue économique de l’OCDE, 2003/2, n° 37, p. 57-123.
Catherine Collombet
Sous-directrice des Relations internationales, Cnaf
Diplômée de l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S), Catherine Collombet est sous-directrice à la direction des Relations internationales de la Caisse nationale des Allocations familiales et chargée de mission au Centre d’analyse stratégique (Cas).
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/04/2013
https://doi.org/10.3917/inso.175.0114
Pour citer cet article
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