1L’État social suédois vise le bien-être d’un individu-citoyen autonome. Dans ce cadre, toute personne dépendante, quelle que soit l’origine ou la nature de cette dépendance, a droit à être aidée par les autorités publiques dans le respect de son autonomie, de son intégrité et de sa dignité. Ainsi l’enfant est considéré comme un citoyen qui, s’il n’est pas en mesure d’exercer des devoirs, a des droits : droit à être entouré et éduqué. À l’autre bout de la vie, la personne âgée dépendante a droit à une aide qui réponde à ses besoins pour lui permettre de vivre en sécurité et de façon autonome, dans le respect de son autodétermination et de son intimité. Soulignons que ces droits sont des droits individuels, attachés à la personne. Enfin, l’État social suédois se veut égalitaire : l’accès aux droits doit se faire en fonction des besoins de chacun-e, indépendamment de ses ressources.
2Le droit au care est donc ici intégré dans la conception de la citoyenneté et concerne ses deux volets : le droit de recevoir et le droit de donner (care receiver et care giver).
3Parallèlement, cette conception individualisée de la citoyenneté vise une égalité hommes-femmes où, pour chacun et chacune, travailler et prendre soin de ses enfants fait partie de ses droits et obligations. Il ne s’agit pas d’une approche en termes de « conciliation » entre les charges professionnelles et familiales ni en termes de « droits des femmes », mais bien d’un référentiel d’égalité des droits et devoirs. Tous et toutes doivent être, et pouvoir être, des individus autonomes et responsables.
4À part les responsabilités des parents envers leurs jeunes enfants, il n’existe plus d’obligation d’aide économique ni de care entre membres d’une même famille (entre époux ou, pour les enfants, vis-à-vis de leurs parents par exemple) : le soutien aux personnes dépendantes relève de la responsabilité publique, des droits du citoyen. Ce référentiel individualisé, universaliste et égalitaire sur lequel s’est construit l’État social suédois (Morel, 2007).
Droit(s) au care et articulation des temps de vie
L’offre de care
5Dans ce référentiel universaliste et égalitaire, l’offre de care est une offre de services (et non des aides financières pour acheter des services, cash for care) gérée par les municipalités : service municipal de l’enfance et service social de la municipalité pour les personnes dépendantes [1].
6Depuis la fin des années 1990, l’accueil des jeunes enfants relève de la politique éducative et du ministère de l’Éducation. Avant l’entrée à l’école primaire, 95% des 4-5 ans sont accueillis dans des écoles maternelles (pre school) [2], 90 % des enfants de 2 et 3 ans et 47 % des enfants de 1 an (les congés parentaux débordant souvent sur la deuxième année).
7Concernant les personnes âgées et/ou dépendantes, la prise en charge se fait après évaluation des besoins de la personne par un agent spécialisé du service municipal. Des employés se déplacent ensuite auprès des personnes pour assurer l’aide, soit à leur domicile soit en établissement selon le cas.
8Qu’il s’agisse de l’accueil des jeunes enfants ou de la prise en charge de la dépendance, les utilisateurs paient une partie des services, en fonction de leurs revenus et avec des plafonds. Ainsi, pour les enfants, le prix payé par les parents est limité à un pourcentage de leurs revenus, dégressif avec le nombre d’enfants (3% de leurs revenus avant impôt pour un enfant, 2 % pour le deuxième, 1 % pour le troisième), avec un plafond, dégressif lui aussi. Et pour les enfants de 3-5 ans, les municipalités sont tenues d’offrir 15 heures hebdomadaires gratuites.
9La contribution au coût du service d’aide pour les personnes dépendantes est conçue sur le même principe : elles paient un pourcentage de chaque type d’aide (ménage, courses, toilette, etc.) jusqu’à un plafond égal à 6,8 % de leur revenu (net après impôt, indépendamment du patrimoine) qui constitue un « reste à vivre ». Le financement de ces services est massivement assuré par l’impôt. Ainsi, 85 % du coût des services d’aide aux personnes âgées dépendantes est financé par les impôts locaux, 11-12 % par des subventions de l’État et moins de 4% par les usagers.
Le soutien public aux aidant-e-s
Les congés parentaux
10Actuellement, le dispositif offre ainsi un total de 480 jours de congés – dont 60 doivent être obligatoirement pris par le père et 60 par la mère, les jours non pris par le parent concerné étant « perdus ». Ce congé peut être pris de façon très souple, de la naissance jusqu’aux 8 ans de l’enfant, et est comptabilisé par jours et même fractions de journée. La compensation financière est de 80 % du salaire antérieur [3] pour les premiers 390 jours et à un taux fixe pour les 90 jours restants. Le dispositif prévoit en outre un congé de 10 jours pour le père, à prendre pendant les 60 premiers jours de l’enfant. Enfin, un parent a le droit de réduire son temps de travail, sans compensation financière, de 10 heures par semaine jusqu’aux 8 ans de l’enfant. Des congés sont aussi prévus pour les cas où l’enfant ou bien la personne qui le garde est malade : 60 jours de congés par enfant et par an [4], tous rémunérés à 80% du salaire. Ce droit à être entouré étant un droit de l’enfant, le ou les parents qui ne peuvent assurer la garde pour l’une ou l’autre raison peuvent céder ce droit à une autre personne. Lorsque la vie de l’enfant est en danger, la durée du congé est illimitée.
Les congés pour un proche malade ou en fin de vie
11L’assurance maladie prévoit un congé rémunéré (80 % du salaire) de 60 jours maximum pour l’aidant (membre de la famille, ami ou voisin) qui s’occupe d’un proche malade ou d’une personne en fin de vie. De leur côté, les municipalités peuvent accorder à un-e aidant-e (à condition qu’il s’agisse de quelqu’un de la famille autre que l’époux-se) une allocation (non imposable) d’un montant forfaitaire décidé par la commune ; elles peuvent également rémunérer un-e proche pour apporter des soins à une personne âgée.
12Ces aides sont cependant peu – et de moins en moins – utilisées. Probablement parce que, d’un côté, la prise en charge des personnes dépendantes par les services municipaux semble en mesure d’assurer l’essentiel des besoins, l’aide des proches apparaissant plus comme un complément, et que, d’un autre côté, dans la définition du plan d’aide, le care manager s’attache aussi aux besoins de l’entourage. Ainsi, pour soulager l’aidant-e, le plan d’aide prévoit souvent une semaine par mois de « répit » (relief), pendant laquelle la personne dépendante est hébergée dans une résidence de court séjour où elle reçoit l’aide municipale qui lui est habituellement dispensée à son domicile.
Un modèle inabouti ?
13Malgré des politiques publiques œuvrant de manière relativement continue dans ce sens, la prise en charge de l’enfance et de la dépendance ne répond pas complètement aux réquisits du référentiel individualisé, universaliste et égalitaire constamment réaffirmé. Dans les limites de ce focus, nous n’évoquerons que deux de ces défaillances qui font figure d’enjeux nationaux.
La « refamilialisation » de l’aide aux personnes âgées dépendantes (Szehebely, 1998)
14Il a été montré que, contrairement à la tradition de l’État social suédois qui considère l’individu et non la famille, l’aide de la famille est prise en compte dans l’évaluation des besoins. Une étude de la Direction nationale des affaires sanitaires et sociales concernant l’aide à domicile pour le ménage et les courses constate que, si la mise sous conditions de ressources est très rare dans l’attribution de cette aide aux personnes âgées, la prise en compte d’un proche pouvant apporter de l’aide était présente dans la quasi-totalité des municipalités en 2003. « On touche là une contradiction essentielle dans la politique suédoise envers les personnes âgées de ces dernières années : d’un côté le discours officiel continue d’affirmer que c’est à la société et non aux familles de pourvoir aux besoins des personnes âgées, mais, dans la pratique, les transformations de ces quinze dernières années ont transféré une charge de soins plus importante aux proches » (Morel, 2007, p. 247-248).
L’inégalité hommes-femmes dans la prise en charge de la petite enfance
15Mesures incitatives et campagnes de sensibilisation n’ont pas réussi à établir une égalité hommes-femmes dans la prise en charge des enfants. En 2009, 22 % des jours de congés parentaux ont été pris par les pères, ainsi que 35 % des jours de congés « temporaires » (pour enfant malade, non compris les congés du père liés à une naissance). Cependant, ces hommes étaient 44 % des personnes ayant demandé des congés parentaux : ils les demandent donc presque aussi souvent que les mères, mais pour des durées beaucoup moins longues.
16Parallèlement, si les mères quittent peu le marché du travail, elles occupent beaucoup plus souvent que les pères un emploi à temps partiel : c’est le cas pour 40% des mères d’un enfant de 1 ou 2 ans quand elles n’ont qu’un enfant, et 45 % quand elles en ont deux, contre respectivement 9 % et 7 % pour les pères.
17Soulignons cependant qu’avec les réformes des années 2000 qui ont instauré un plafonnement dans le coût des services de prise en charge de la petite enfance et de la dépendance, l’universalisme et l’égalité d’accès continuent de progresser en Suède.
Notes
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[1]
La prise en charge de la dépendance est assurée par le même service, indépendamment de l’âge des personnes.
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[2]
Les termes se référant au care (par exemple : day care center, crèches collectives) ont été abandonnés.
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[3]
Avec un plafond mais qui est élevé : il concerne environ 10 % des pères et 4 % des mères en congé.
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[4]
Jusqu’aux 12 ans de l’enfant. En fait les parents prennent annuellement moins de dix jours de ces congés. Ces droits sont élargis lorsqu’ils concernent un enfant handicapé.