CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les grands mythes de l’humanité, les romans de tous les siècles et de tous les pays et les contes et légendes de notre enfance mettent souvent en scène des fratries plus ou moins nombreuses au sein desquelles on reconnaîtra, pêle-mêle, Caïn et Abel et les frères du Petit Poucet, Romulus et Remus, Isis et Osiris, les Walkyries, Cendrillon et ses sœurs, cent dieux de la mythologie, les Jean-Paul de Michel Tournier ou les frères Dalton... frères ou sœurs, frères et sœurs, aînés, cadets et benjamins, ayant véritablement existé ou nés de l’imagination mais réunis dans un terme de la langue savante qui neutralise les différences d’âge et de sexe entre les membres de ces groupes : l’adelphie. Emprunté à la botanique où il désigne la réunion de plusieurs étamines par la soudure de leurs filets, le mot est aussi à l’origine du nom de la ville de Philadelphie, première capitale des États-Unis, qui signifie « amour fraternel ».

2L’importance culturelle de ces relations de fratrie se traduit encore dans le langage courant où les mots «?frère?» et «?fraternité?» se rencontrent dans de très nombreuses expressions populaires avec des nuances diverses comme «?faux frère?» ou «?frères ennemis?», et dans des adages qui soulignent très souvent la force et la spécificité de la relation, qu’elle s’inscrive dans la complémentarité ou dans l’hostilité.

3La relation adelphique n’est donc pas seulement un fait biologique. C’est aussi un objet historique socialement et culturellement construit qui évolue dans le temps. Les liens entre frères et sœurs se sont en effet modifiés tant dans leur structure que dans leurs modes d’expression en fonction des contextes sociaux, démographiques, économiques, culturels et religieux qui ont caractérisé les âges du monde. C’est à un très riche inventaire raisonné des références aux fratries qu’invite l’ouvrage de Didier Lett [1], professeur d’histoire médiévale à l’Université Paris-Diderot, spécialisé dans la parenté et les relations de genre. À travers l’examen de nombreuses représentations de fraternité, de sororie, de fratrie, de ressemblance, de rang de naissance, d’amour et de haine, il montre que les expressions culturelles du thème adelphique n’ont cessé de nous inviter à une interrogation sur l’identité, sur l’autre et sur le semblable.

4Sur un plan théorique général, on note un important enjeu que la relation adelphique soulève à propos des catégories du masculin et du féminin en interrogeant, au cœur de l’identité familiale, la différence du sexe?: mêmes parents, même milieu familial, mais éducation, destin, univers affectif contrastés, autant de facteurs qui mettent la relation frères/sœurs à l’épreuve des théories du genre.

5L’approche historique adoptée permet certes de relativiser l’importance des mouvements contemporains qui traversent la famille et modifient son image, mais on note aussi au détour d’un glossaire d’une cinquantaine de concepts propres au thème, d’adelphie à ultimo-géniture, que la description des situations s’est accompagnée d’une création de termes permettant de rendre compte de leurs spécificités.

Notes

  • [1]
    Lett D., 2006, Frères et sœurs. Histoire d’un lien, Paris, Petite bibliothèque Payot.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/11/2012
https://doi.org/10.3917/inso.173.0023
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