1Alors que les psychologues, par exemple, disposent de nombreux travaux sur la fratrie, la sociologie ne s’intéresse que médiocrement aux frères et aux sœurs. Si elle porte attention aux relations entre ascendants et descendants et aux diverses figures qu’elles prennent au fil des recompositions de la famille, cela ne masque pas la rareté des données objectives qu’elle a réunies quant aux collatéraux.
2À ce constat de carence, trois grandes raisons selon Monique Buisson [*], sociologue au CNRS. La première est d’ordre méthodologique et concerne la traçabilité du lien. Nombre de démographes le regrettent, mais le livret de famille ne permet en effet pas de savoir si une personne a un ou plusieurs frères et sœurs. Et il n’existe pas non plus de fichiers ou d’indicateurs qui permettent d’identifier facilement les relations de fratrie : l’état civil enregistre bien le rang des naissances, c’est-à-dire le numéro d’ordre des enfants d’une femme, mais le rang hors mariage n’est pas toujours noté et le rang dans le mariage n’est le plus souvent compté que parmi les seuls enfants du mariage en cours. La deuxième relève de la difficulté que le sociologue, à l’instar de l’ethnologue, rencontre pour définir la notion de famille, dont des conceptions assez différentes cohabitent au sein de la société, ce qui rend l’objet de recherche instable. Les liens «?du sang?» juridiquement validés, s’ils constituent l’un des premiers critères de définition de la famille, se révèlent ici insuffisants. Un troisième obstacle, plus polémique dans sa nature, résiderait, selon Monique Buisson encore, dans la résistance que les fratries présenteraient face à la théorie de la reproduction sociale, que l’observation des trajectoires des frères et des sœurs ne valide pas. Il semble, un peu paradoxalement quand même, que l’autonomie de ces parcours de vie les uns par rapport aux autres aient contribué à constituer la fratrie comme un «?bon?» objet d’étude pour le sociologue. En dépit de ces obstacles, la sociologie s’est quand même attaquée avec succès à un certain nombre de problématiques en lien avec les fratries. L’une des plus fréquemment évoquées est, à la frontière de la psychologie sociale, le rôle des relations de fraternité dans la construction de l’identité individuelle. Le terrain d’apprentissage que constitue le groupe familial horizontal se révèle ici décisif. Argument de plusieurs romans de la littérature classique, la relation fraternelle se voit dans beaucoup de récits de vie, convertie en modèle d’apprentissage de la socialité, les membres de certains groupes se définissant eux-mêmes comme «?frères?» et «?sœurs?» dans l’ordre de la communauté qu’ils ont choisi de former. Sans épuiser le domaine, un autre terrain se révèle également fertile pour l’investigation sociologique. C’est celui de l’étude comparée des trajectoires sociales et du rôle que le conditionnement y joue. S’il est en effet d’expérience commune de constater que les enfants d’une même famille connaissent souvent des destins très différents (le contraire pouvant d’ailleurs aussi se rencontrer), l’analyse du sociologue permet d’identifier les facteurs opérant dans un sens et dans l’autre, et de quantifier leur importance respective. Dans leur diversité, les liens de fratrie portent la marque du contexte socio-économique et des structures sociales où ils se sont développés?: on ne serait donc pas frère et sœur de la même façon dans tous les milieux sociaux.
Notes
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[*]
Buisson M., 2003, La fratrie, creuset des paradoxes, Paris, L’Harmattan, coll. «?Logiques sociales?».