1L’Armée du salut pilote le Conseil consultatif des personnes accueillies (CCPA), mis en place en mars 2010 par le ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement. À ce titre, Informations sociales a souhaité interroger la Fondation sur les modalités, les apports et les difficultés de cette forme de participation des usagers à la construction et à l’évaluation des politiques publiques.
2Quelle est la position de la Fondation de l’Armée du salut sur la participation des bénéficiaires des politiques publiques à l’évaluation de celles-ci ?
3La Fondation de l’Armée du salut développe depuis plusieurs années des dispositifs de participation des personnes. Nos principes participatifs sur l’évaluation des politiques publiques se sont d’abord incarnés en 2007 dans un projet européen, «?Regards croisés sur les politiques d’exclusion sociale?». Celui-ci intégrait le point de vue de plusieurs parties prenantes, surtout des personnes en situation de pauvreté, dans l’examen de ces politiques. Ces mêmes principes ont ensuite donné lieu à un autre projet en 2009-2010, «?Pour une Europe sociale, apprenons la Moc?» [1], qui était une forme participative de sensibilisation aux politiques de lutte contre l’exclusion. Ces deux projets ont été conduits grâce à un financement européen qui fut intégralement consacré à la participation des personnes. Ils consistaient à créer des groupes de travail mêlant salariés et personnes accueillies et hébergées, qui proposaient des analyses critiques mais constructives du Plan national pour l’inclusion sociale (PNAI) [2]. À la suite de ces projets, nous avons été invités au Comité national de lutte contre les exclusions (CNLE), où étaient examinés l’accès au logement, l’accès au travail, la place des jeunes, etc. La Direction générale de l’action sociale s’est montrée intéressée par nos comptes rendus de l’analyse des politiques nationales faite par les personnes accueillies.
4Dans quel contexte a été pensé le Conseil consultatif?des personnes accueillies dont vous assurez le pilotage ? Et quelle est sa mission ?
5Fin 2009, le préfet Alain Régnier s’est vu confier le Chantier national prioritaire pour l’hébergement et le logement. À cette occasion fut débattue la question de la participation des personnes accueillies, et les associations furent notamment sollicitées pour faire des propositions. Forts de notre expérience en matière de participation, nous avons proposé un projet interassociatif, celui du Conseil consultatif des personnes accueillies (CCPA), qui a été retenu. Depuis 2010, il bénéficie d’une subvention de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Son budget pour l’année 2011 était de 40?200 euros. Le Conseil est une instance de critiques et de propositions sur les politiques sociales. Il se réunit tous les deux mois environ et traite à chaque fois d’un thème pendant une journée. En 2011 ont par exemple été traités les thèmes suivants?: le logement d’abord, l’accès aux droits dans les centres d’hébergement, la déclinaison régionale du CCPA. Sur chaque thème, le Conseil fait des propositions qui sont ensuite portées au comité de suivi du chantier national et aux réunions trimestrielles du ministre chargé du Logement, Benoist Apparu, par des délégués (personnes accueillies) élus annuellement par le Conseil. D’autres instances sollicitent désormais le CCPA pour entendre ses propositions [telles l’Assemblée nationale pour une audition, d’autres cabinets ministériels, l’Agence nationale de l’évaluation sociale et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm), la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars)]… Ce Conseil n’a, comme son nom l’indique, qu’un pouvoir de consultation.
6Quelle est la composition du CCPA ?
7Le Conseil est composé d’environ un tiers d’intervenants sociaux et deux tiers de personnes accueillies. Notre première réunion a rassemblé autour de 30 personnes et nous étions 120 à la dernière?! Je me réjouis d’un tel succès, tout en réfléchissant à de nouvelles méthodes d’animation pour un groupe qui prend une telle ampleur. Le budget que nous alloue la DGCS permet de payer les déplacements, les repas et les pauses café, ce qui est loin d’être négligeable car, dans ce type de réunion, la convivialité est un moteur de l’animation du groupe.
8Comment recrutez-vous les participants aux séances ?
9À chaque séance, nous choisissons le thème de la réunion suivante. J’envoie rapidement un message aux associations de notre réseau, à celles qui se sont manifestées ainsi qu’aux participants des séances précédentes, pour que des volontaires s’inscrivent. Nous acceptons toutes les personnes qui souhaitent venir. Certaines viennent systématiquement, d’autres seulement pour une séance qui les intéresse en particulier. Ainsi, sur les 382 personnes qui ont participé aux séances en 2011, 209 ne sont venues qu’une fois.
10Quels sont vos principes de fonctionnement??
11Le principe fondamental dans le fonctionnement du Conseil est l’égalité de parole?: chaque parole vaut celle des autres. Chacun vient, avec son expérience et son passé, parler de son point de vue, qui est équivalent à celui des autres. Ce principe, ainsi que le mode de fonctionnement général de la journée, est réexpliqué à chaque début de session. En seconde partie de matinée, nous faisons un exposé sur le thème de la journée, expliquant la politique que nous allons étudier et faisant le point sur les questions qui sont posées. Après le repas, nous travaillons en groupes. Pour chaque groupe, il y a un rapporteur, un animateur et un maître du temps, choisi parmi les participants. À la fin de la journée, les propositions sont collectées et servent à rédiger le compte rendu.
12Quelle est l’utilité concrète du CCPA ?
13Je vois deux finalités, qui sont tout aussi importantes l’une que l’autre. La première est de pouvoir porter directement la parole des personnes accueillies dans les instances politiques. Le regard des bénéficiaires des politiques sur celles-ci est très important pour comprendre leur fonctionnement et proposer d’éventuelles améliorations. Bien sûr, cette parole n’est pas le seul élément à prendre en compte dans la mise en œuvre des politiques et, comme je le disais, chaque point de vue doit être considéré. Par exemple, au sein d’un groupe interne à l’Armée du salut, les personnes accueillies ainsi que des travailleurs sociaux exprimaient le souhait que soit autorisée la consommation d’alcool dans les centres d’hébergement. D’autres contraintes (la nécessité de limiter les violences, par exemple) ont pu conduire à ne pas accéder à cette demande, mais nous l’avons entendue, écoutée. L’administration a ses contraintes, les politiques leurs objectifs, et les personnes leurs attentes. C’est grâce au croisement de tous ces regards que l’on peut améliorer les choses. La seconde finalité de ce Conseil est de permettre aux personnes accueillies de monter en compétence. Lors de leur première venue, elles sont parfois timides. Petit à petit, elles ont confiance en elles, prennent la parole, voire développent d’autres compétences?: animation du groupe, transmission de la parole dans d’autres instances (délégués)… Ces compétences et cette confiance en soi peuvent être transposées ailleurs?; on voit des personnes qui, au fur et à mesure de leur participation, reprennent le contrôle de leur apparence, prennent confiance en elles dans les entretiens d’embauche, etc. À ce titre, le CCPA participe au travail social?; il est une forme d’intervention sociale d’intérêt collectif [3]. Je vois aussi que les personnes qui participent au Conseil se réconcilient avec l’administration. Nous précisons bien que ce n’est pas parce qu’elles vont formuler des attentes que les pouvoirs publics vont pouvoir les satisfaire. Nous expliquons aussi bien les dispositifs des institutions que les contraintes auxquelles celles-ci sont soumises, et cela aide les personnes à mieux comprendre.
14Quelles sont les limites de son action que vous avez pu identifier??
15La première limite que j’identifie concerne le public participant. Aujourd’hui, par nos relais, nous touchons essentiellement les personnes accueillies en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Or, il serait intéressant d’entendre d’autres publics?: les personnes qui dorment sous des tentes, qui ont moins de liens avec des structures associatives, ainsi que des personnes en logement HLM – c’est d’ailleurs un public pour lequel nous sommes en train de monter un partenariat avec des bailleurs. La deuxième difficulté est le revers du succès que nous rencontrons?: comme nous sommes désormais très nombreux, les réunions sont très lourdes à organiser, très compliquées. Mais on ne peut pas s’en plaindre.
L’Armée du salut
16Comment sont entendues et utilisées les paroles de ces personnes ?
17Le souci principal est de faire des efforts pour nous exprimer normalement, pour intégrer les personnes et les mettre à l’aise. Ce qui est difficile est que chacun s’écoute et prenne en compte la parole de l’autre comme ayant la même valeur que la sienne. Il faut également veiller à ne pas utiliser les personnes comme alibi de la politique. Un certain nombre de conditions doivent être réunies pour que cette parole soit utile. Ainsi, par exemple, je suis un peu sceptique sur la présence d’un seul bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA) dans les équipes pluridisciplinaires qui travaillent sur l’insertion des allocataires. Il me semble que le fait d’être plusieurs bénéficiaires les conforte et les aide à prendre la parole. Ensuite, les modalités de fonctionnement doivent être adaptées pour permettre à cette parole d’être entendue. Je ne suis pas certaine que cela soit le cas dans cette configuration, mais c’est déjà un premier pas. Par ailleurs, je ne sais pas si les personnes ont leur place partout. Il est certain que pour des réunions très techniques de mise en œuvre, les personnes apportent moins de plus-value.
18Ne craignez-vous pas l’effet de sélection ou de professionnalisation des personnes qui s’expriment??
19Certes, il peut y avoir un effet de sélection?: les personnes qui participent au CCPA ont généralement déjà contribué aux conseils d’établissement. Mais on voit surtout un effet d’apprentissage progressif. La première fois, les personnes qui participent le font parfois pour venir à Paris, ou parce qu’elles s’ennuient… Mais elles se piquent au jeu et prennent progressivement part aux discussions, expriment des idées, voire se présentent comme délégués, et on ne peut que se réjouir de ce processus. Pour éviter l’effet de professionnalisation, nous prenons bien garde de rappeler aux délégués qu’ils sont là comme interface entre le groupe formé par le Conseil et les instances politiques. Ils ne sont pas là à titre personnel mais pour porter la parole du groupe et, inversement, lorsqu’ils sont avec le groupe, pour relater les réunions du chantier national. Ils ont une fonction de représentant et de rapporteur de l’ensemble du groupe même si, pour eux, cette démarche est également une manière d’être reconnu et d’exister en tant qu’individu.
20Est-ce que cet effort pour prendre en compte la parole des personnes accueillies exige de nouvelles compétences de la part des associations ?
21Il est certain que le montage de ces groupes exige beaucoup de préparation. Pour que ces journées soient productives, il est nécessaire de bien préparer les sujets, les groupes, de bien calibrer son animation… Il faut aussi prévoir de nombreux moments de convivialité, indispensables au bon fonctionnement comme je l’ai déjà dit. Les compétences d’animation deviennent donc de plus en plus importantes et je suis en veille constante sur les techniques qui permettent de tirer le meilleur d’un groupe. Ceci dit, notre démarche est différente de celle des associations qui ont pour objectif principal de porter un message politique via la parole des bénéficiaires, comme ATD quart monde ou AC?! [4]. Pour nous, à l’Armée du salut, cette démarche fait aussi partie du travail d’intervention sociale.
Notes
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[1]
La Méthode ouverte de coordination (Moc) est un processus volontaire que les États membres de l’Union européenne se sont engagés à appliquer dans les domaines économiques et sociaux.
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[2]
Depuis 2001, la politique française de lutte contre l’exclusion sociale se traduit, dans le cadre européen de la Méthode ouverte de coordination (Moc), dans des plans nationaux pour l’inclusion sociale (PNAI). À ce jour, quatre Plans d’action ont été présentés par la France à la Commission européenne. Le PNAI 2008-2010 a été remis le 30 septembre 2008.
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[3]
L’intervention sociale d’intérêt collectif se définit comme l’action des travailleurs sociaux auprès de personnes constituées en groupe et a pour objectif de : créer des réponses collectives à des problèmes collectifs, faciliter l’accès aux ressources existantes et/ou en créer des nouvelles et développer l’autonomie personnelle par la participation citoyenne.
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[4]
AC ! : Agir ensemble contre le chômage !