CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’adoption en mars 2007, en pleine campagne électorale, de la loi sur le droit au logement opposable moins de trois mois après l’installation spectaculaire de tentes pour les sans-abri à Paris a pu laisser croire à la précipitation politique. En réalité, le droit au logement opposable était porté depuis 2002 par les associations caritatives et militantes qui, en dépit de leurs divergences sur le sujet, ont su s’attirer des soutiens politiques pour le défendre.

2Le 5 mars 2007, la loi instituant le droit au logement opposable est adoptée dans un contexte marqué par la campagne présidentielle et par l’action médiatisée des Enfants de Don Quichotte sur le canal Saint-Martin, à Paris [1]. L’existence d’un recours, d’une autorité responsable clairement identifiée et d’une obligation de résultat devait permettre de lever les obstacles qui, par le passé, avaient empêché d’améliorer la situation du logement des plus défavorisés en France, malgré l’adoption de nombreuses lois sur ce sujet.

3Cet article analyse le rôle joué par le monde associatif dans la construction et la mise sur agenda du droit au logement opposable (Dalo). Il se fonde sur des données récoltées lors d’une recherche doctorale, menée de 2003 à 2008, notamment sur l’observation du fonctionnement du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) et sur une centaine d’entretiens réalisés avec des acteurs du processus de décision.

La construction du droit au logement opposable

4L’idée d’un droit au logement opposable apparaît en 2002 au sein du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées [2] (dénommé dans la suite de l’article «?Haut Comité?»), sous l’influence d’un de ses membres, Paul Bouchet, conseiller d’État honoraire et président d’honneur de l’association ATD quart monde. Partant du principe que le droit est vivant et situé, ce juriste positiviste formule ainsi l’idée d’opposabilité?: «?Un droit fondamental, pour pouvoir être réellement qualifié de tel, doit répondre à deux caractéristiques. Celle d’être au sommet de la hiérarchie du droit, opposable à tous les autres droits (…). La deuxième, c’est qu’il est un droit opposable à quiconque par quiconque (…). Il faut passer d’une vision statique du droit à une vision dynamique. Une vision dynamique, c’est mener le droit fondamental plus loin, y compris dans les mesures d’application qui en relèveront?» (cité dans Ballain et Benguigui, 2004, p. 37 s.).

5Pour populariser la cause du Dalo, P.?Bouchet s’appuie sur le Haut Comité qui autorise un accès direct aux élites politico-administratives. Il trouve également des relais auprès d’associations militantes et caritatives, notamment la plate-forme pour le droit au logement opposable, créée en octobre 2003 sous l’impulsion d’ATD. La plate-forme s’étoffe rapidement et rassemblera, en 2007, une soixantaine d’associations issues de divers horizons – humanitaires, caritatives, militantes, spécialisées dans le secteur du logement… Elle rallie même des experts du droit et des chercheurs [3]. Alliée objective du Haut Comité, la plate-forme réserve un accueil favorable à l’idée de rendre opposable le droit au logement. Elle parvient à créer l’unité autour de l’opposabilité et à fédérer des associations parfois très éloignées idéologiquement, depuis les plus caritatives (Secours catholique) jusqu’aux plus militantes (Droit au logement, ou Dal).

Les débats sur le sens

6Dès 2005 s’est ouvert un débat sur le sens du droit au logement, à la suite de la publication des rapports du Haut Comité (notamment «?Vers un droit au logement opposable?», 2002?; «?Droit au logement?: construire la responsabilité?», 2003?; «?Face à la crise?: une obligation de résultat?», 2005).

7C’est du modèle écossais que s’inspirent les «?entrepreneurs politiques?»? [4] de l’opposabilité, d’abord en raison de la possibilité de recours devant un juge et, aussi, en raison de l’obligation pour les collectivités de proposer un logement à toute personne «?homeless?»? [5] considérée comme prioritaire? [6] et ne s’étant pas mise intentionnellement dans cette situation.

8L’élargissement, puis la suppression graduelle des catégories prioritaires sont programmés pour aboutir, en 2012, à l’obligation pour les collectivités de faire une offre aux homeless justifiant d’un lien avec le territoire. Une personne remplissant ces conditions dispose d’un droit opposable qui peut faire l’objet de recours devant les tribunaux.

9Dans l’esprit de cette expérience, le Haut Comité précise sa feuille de route dans son rapport de décembre 2005 (HCLPD, 2005) avec un calendrier censé démarrer à partir d’une décision du gouvernement, annonçant l’adoption d’une loi et l’installation d’une instance nationale de suivi et d’évaluation et devant aboutir, en six ans, à la généralisation d’un droit opposable pour tous garanti par des voies de recours, amiable et juridictionnelle. Ce n’est qu’ensuite que doivent être précisées les modalités de mise en œuvre, notamment les questions liées au partage des rôles entre l’État et les collectivités locales. À cet égard, le Haut Comité pose comme préalable à l’opposabilité une modification profonde de l’équilibre des pouvoirs en matière de logement, avec la désignation d’une autorité responsable – les communautés d’agglomération en province et la région en Île-de-France – sur laquelle reposerait une obligation de résultat, garantie par des transferts de compétences et l’introduction d’un recours contentieux. Par la diffusion de ces expériences étrangères, le Haut Comité joue donc un rôle déterminant dans l’émergence de l’opposabilité.

10En 2004, suivant les recommandations du Conseil national de lutte contre les exclusions, le gouvernement avait prévu d’inclure dans le projet de loi «?habitat pour tous?» un embryon d’opposabilité reposant sur les travaux de la commission de médiation, créée en 1998 par la loi relative à la lutte contre les exclusions. Ce projet n’ouvrait toutefois aucun recours juridictionnel. Il s’agissait surtout d’une modification procédurale des mécanismes de priorisation des demandes de logement social?: saisie par un demandeur mal logé, la commission pourrait saisir le préfet, à charge pour lui, s’il le juge nécessaire, d’enjoindre à un organisme HLM de loger le demandeur.

11Avant d’envisager de nouvelles voies de recours, le gouvernement posait une condition préalable?: l’existence d’un nombre suffisant de logements sociaux. L’idée d’opposabilité progresse toutefois dans les partis de droite et de gauche?:?à gauche, Marie-Noëlle Liennemann (PS) – secrétaire d’État au Logement de 2001 à 2002 – prend position pour l’obligation de résultat au Congrès HLM de Montpellier en 2004?; à droite, une proposition de loi est déposée le 28 septembre 2005 par Christine Boutin et 23 autres députés UMP. Néanmoins, en 2005, la plupart des élus se montrent prudents, considérant qu’il faut d’abord produire suffisamment de logements. Certains craignent que leur responsabilité personnelle soit mise en cause et que l’État en profite pour se désengager. L’Union nationale des HLM est, quant à elle, très mitigée à l’égard de ce projet. Aux Assises du logement de juillet 2004, elle fait part de ses critiques?: le Dalo risque de mobiliser surtout le parc HLM et de renforcer l’image de «?logeurs de pauvres?» qu’elle s’efforce de déconstruire. De son côté, la Fondation Abbé Pierre se distingue par sa prudence à l’égard de l’opposabilité, à laquelle ses rapports annuels ne font d’ailleurs guère de place.

12Sous l’influence d’un juriste positiviste tel que P. Bouchet, le Haut Comité estime qu’il est urgent d’adopter une loi instituant le Dalo, même incomplète, et d’installer une instance de suivi et d’évaluation nationale, puisque son application doit être guidée par la jurisprudence [7]. La Fondation Abbé Pierre conçoit au contraire le droit au logement comme un objectif à atteindre et met l’accent sur les effets pervers, différés ou indirects, d’une législation instituant l’opposabilité de façon trop précoce?: le résultat social du Dalo serait négatif si son principal effet consistait à reloger les ménages en difficulté dans les quartiers dits «?sensibles?», de condamner les préfets à l’impuissance et de multiplier les astreintes financées par l’État, sans pour autant relancer la production de logements sociaux ou contribuer à l’équilibre des territoires. Ainsi, malgré les efforts du Haut Comité et de la plate-forme associative pour créer un consensus, des divergences demeurent sur l’autorité politique responsable, la temporalité, le parc de logements à mobiliser ou les voies de recours.

13L’idée progresse de façon rampante dans la sphère décisionnelle. Ainsi, le 12 mai 2006, lors de la réunion du Conseil national des politiques de lutte contre l’exclusion, le Premier ministre, Dominique de Villepin, affirme son intérêt pour le Dalo. Il annonce sa décision d’autoriser des expérimentations là où des collectivités locales se porteraient volontaires et demande au Haut Comité d’en étudier les modalités pratiques, en lien avec les acteurs de la politique du logement [8].

14Cette initiative du Premier ministre constitue une étape importante du processus décisionnel?: elle ouvre en effet des arènes publiques au Haut Comité et contribue à légitimer l’idée d’un droit opposable, à stabiliser son sens, et à formuler des modalités de mise en œuvre présentées comme consensuelles. On peut noter que, dès la publication du rapport sur l’expérimentation locale, en octobre 2006, Nicolas Sarkozy reprend ce thème dans sa campagne présidentielle. Le 12 octobre, à Périgueux, il est d’ailleurs le premier candidat à proposer publiquement l’instauration d’un «?droit opposable?» pour les personnes les plus démunies, ce qui provoque les plus vifs débats au sein de l’UMP.

15Néanmoins, l’attention des candidats et des médias sur la question du logement ne tarde pas à se relâcher. Cette question sociale tarde à pénétrer la sphère publique et reste longtemps confinée dans des cercles d’experts de la politique du logement. Il faut attendre l’hiver 2006-2007 et la mobilisation des Enfants de Don Quichotte pour que l’opposabilité fasse son entrée sur la scène médiatique. En exacerbant le problème, cet événement suscite enfin des prises de position publiques et une forte médiatisation.

L’ouverture de la fenêtre d’opportunité politique

La publicisation du problème par les Enfants de Don Quichotte

16Le 16 décembre 2006, dans un contexte de campagne présidentielle, les Enfants de Don Quichotte dressent un camp d’une centaine de tentes sur les berges du canal Saint-Martin, à Paris. Par cette action spectaculaire, le leader de l’association, Augustin Legrand, entend sensibiliser l’opinion publique au «?sans-abrisme?». Charismatique, il tire parti de son aisance orale de comédien pour intervenir de façon éloquente à la radio ou à la télévision. Cette action bénéficie d’emblée d’une ample couverture médiatique.

17Le registre d’interpellation choisi est particulièrement bien adapté aux codes propres au champ médiatique. Il s’agit du registre du «?scandale?», décrit par Michel Offerlé dans son analyse des mobilisations collectives (Offerlé, 1998). Par leurs actions spectaculaires (camp de tentes, grève de la faim, prises de parole indignées), les membres de l’association visent précisément à «?faire scandale?». A.?Legrand appelle les pouvoirs publics à trouver des solutions immédiates en posant une alternative, l’action ou la mort, jouant ainsi sur la culpabilisation, voire l’indignation du spectateur. Par ailleurs, il n’hésite pas à donner de sa personne, comme en témoignent les vidéos mises en ligne sur le site Internet de l’association, où il se jette dans les eaux glacées de la Seine, puis du canal Saint-Martin (Louail, 2008). Enfin, A.?Legrand s’assure la bienveillance de l’opinion en plaçant son action à distance de tout militantisme partisan, syndical ou religieux. Il prend soin de mobiliser l’ensemble des acteurs de l’échiquier politique, au nom de valeurs citoyennes, humanistes et républicaines.

18En une dizaine de jours, la mobilisation associative sensibilise les médias et l’opinion publique au problème du mal-logement et du sans-abrisme. Cette question sociale pénètre enfin la scène publique. D’abord surprises par cette mobilisation portée par des personnalités inconnues de la sphère des acteurs du logement et de l’action sociale, les associations humanitaires et caritatives se rallient vite, se servant de cette dynamique comme d’une ressource pour relayer leurs formulations du problème et y greffer leurs propres solutions. Le gouvernement tarde toutefois à saisir l’ampleur du mouvement. Au départ, Catherine?Vautrin, ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité, condamne même cette initiative qu’elle qualifie de «?poudre aux yeux?» [9]. Très vite, elle est bien obligée de prendre la mesure de la mobilisation et, au lendemain de Noël, elle reçoit les leaders du mouvement.

La mise sur agenda

19Forts de leur succès, les Enfants de Don Quichotte se lancent dans la rédaction d’une «?charte du canal Saint-Martin?» regroupant leurs propositions. Achevée le 24 décembre 2006, elle est aussitôt déposée à l’Élysée et mise en ligne sur leur site sous forme de pétition à signer. Dans la formulation des solutions, le rôle de Martin Choutet [10] se révèle déterminant. Situé entre plusieurs univers d’action et de sens, à la fois leader de l’association, travailleur social du Secours catholique et membre de la plate-forme pour le droit au logement opposable, il détient les qualités requises pour incarner un «?médiateur du changement?» (Muller, 2009, p. 67). Devenu proche des leaders de l’association, rencontrés pour la première fois au campement, c’est à lui qu’est confiée la mission d’établir un lien avec la sphère de l’urgence sociale et celle du logement. Il rassemble aussitôt les principales associations du secteur (Emmaüs, ATD Quart Monde, Collectif des morts de la rue, Droit au logement, Fédération de l’entraide protestante, Fondation Abbé Pierre, Médecins du monde, Secours catholique) lors d’une journée de travail consacrée à l’élaboration collective de propositions. Les aspects consensuels et fédérateurs sont au cœur de sa stratégie [11]. L’enjeu est en effet d’élargir les soutiens aux propositions de la charte pour accroître leur légitimité technique et politique, et contraindre ainsi le gouvernement au changement.

20En présentant la charte comme un ensemble cohérent de propositions indissociables, les Enfants de Don Quichotte parviennent à fédérer les associations signataires et à dépasser les logiques d’acteurs divergentes, voire concurrentes. Le gouvernement est ainsi amené à prendre position sur le principe de continuité de la prise en charge défendu par l’association Droit au logement, le développement de l’offre de logements sociaux accessibles porté par la Fondation Abbé Pierre, ou encore l’opposabilité. Le droit au logement opposable est en effet inscrit dans la charte, à la demande de certaines associations, mais aussi grâce à l’adhésion de M.?Choutet à cette solution. À la suite d’un plaidoyer enflammé de P.?Bouchet, celui-ci s’est en effet «?converti?» quelques mois auparavant lors d’une séance de travail de la plate-forme associative [12]. Sans ce médiateur du changement, la fenêtre d’opportunité se serait probablement refermée et l’agenda politique n’aurait pu s’ouvrir à la sphère du logement et de l’urgence sociale, A.?Legrand et ses proches étant totalement extérieurs aux champs du logement et de l’action sociale.

21L’opposabilité s’invite ainsi dans la campagne électorale en cette fin d’année 2006. Le 27?décembre, N.?Sarkozy confie une mission d’étude sur le sujet à Arno Klarsfeld. Le 29 décembre, Ségolène Royal annonce une séance de travail avec les Enfants de Don Quichotte – qui n’aura d’ailleurs jamais lieu. De nombreux politiques signent la charte [13]. Certains passent même une nuit sur le campement. Le 31 décembre, dans ses vœux aux Français, le président de la République déclare nécessaire «?de mettre en place un véritable droit au logement opposable?». Dès lors, le processus décisionnel va s’accélérer. Le 5 mars 2007, la loi est adoptée en procédure d’urgence à l’unanimité, malgré le scepticisme des parlementaires UMP, l’abstention des élus de gauche et des Verts, et l’«?abstention positive?» du sénateur communiste Jack Ralite.

Le sens du droit au logement opposable retenu dans l’urgence

22La loi dite «?Dalo?» du 5 mars 2007 change profondément la logique du droit au logement. Elle concrétise le passage de l’obligation de moyens à l’obligation de résultat et met en place un recours juridictionnel, dès le 1er?décembre 2008 pour les catégories prioritaires et dès le 1er janvier 2012 pour ceux dont la demande de logement est jugée «?anormalement longue?». La loi sanctionne l’absence d’attribution d’un logement social aux personnes reconnues prioritaires, le juge pouvant ordonner au préfet, sous astreinte financière, d’attribuer un logement au requérant. Les particuliers disposent donc d’un recours juridique pour l’attribution d’un logement social, l’État devenant le garant de sa mise en œuvre effective.

23Si P. Bouchet (2009, p.?4) estime que la loi Dalo confère au droit au logement les attributs d’un véritable droit, le milieu associatif lui réserve néanmoins un accueil mitigé. Ainsi, pour le Dal, elle ne constitue qu’un «?leurre pour les mal-logés et les sans-logis en attente d’un logement décent » [14]. La Fondation Abbé Pierre considère que la loi a été votée «?sans réelle maturation démocratique, sans étude plus poussée des effets induits ou attendus, sans mesure financière accompagnatrice, sans lien réel entre l’État (…) et les collectivités locales?» (Doutreligne, 2010, p. 111). Certes, la Fondation Abbé Pierre salue les dispositions de la loi concernant la garantie des risques locatifs pour les personnes en difficulté, le relèvement des objectifs de financement de logements sociaux, et l’effort plus particulier porté sur les prêts locatifs aidés d’intégration (Plai) et les prêts locatifs à usage social (Plus)?; elle les juge toutefois insuffisantes pour rendre effectif le Dalo. Certains juristes également se montrent prudents en raison des difficultés prévisibles dans la mise en œuvre. Pour Jean-Philippe Brouant (2008, p. 5), elle «?doit être considérée comme une aide supplémentaire de l’État pour accéder à un logement et non comme la consécration d’un droit au logement?». Virginie Saint-James observe que «?la loi Dalo, faute d’avoir organisé les responsabilités partagées, risque, après avoir suscité de grandes espérances, d’être à l’origine de grandes déceptions ou frustrations?» (2008, p. 5). Cette crainte est d’ailleurs relayée par le Conseil d’État (2009, p. 288).

24Au contraire, l’approche positiviste de P. Bouchet (2009, p.?4) le conduit à mettre en avant «?l’effet révélateur?» et «?l’effet levier?», le premier consistant à mettre en lumière les besoins et les situations de mal-logement, et le second permettant de lever les obstacles qui, malgré les nombreuses lois sur ce sujet, ont empêché d’améliorer la situation du logement des plus défavorisés. Même si la loi Dalo est imparfaite, il s’agit de l’adapter et de l’améliorer au cours du temps, notamment grâce au pouvoir d’interprétation des juges et aux recommandations du comité de suivi créé par le législateur. Néanmoins, au début de 2012, au terme du quinquennat, de nombreux commentateurs estiment que l’effet levier se fait toujours attendre.

25***

26En 2007, la mise sur agenda du Dalo s’est opérée, dans un contexte spécifique, pendant une campagne présidentielle et au moment où trois courants se rencontrent?: le courant politique (policy stream), qui englobe l’action très médiatisée des Enfants de Don Quichotte le long du canal Saint-Martin, l’opinion publique sensibilisée et les partis politiques pour qui le droit au logement est devenu un enjeu électoral ; le courant des problèmes (problem stream), formé par la sensibilisation des autorités publiques à la question du sans-abrisme et du mal-logement ; enfin, le courant des solutions (political stream), modélisé par la charte du canal Saint-Martin des Enfants de Don Quichotte qui regroupe les propositions mûrement réfléchies des associations et du Haut Comité. Si ces fenêtres d’opportunité sont rares, force est de constater que l’une d’elles s’ouvre début 2007 et permet de rendre le droit au logement opposable, considéré par certains comme un changement de politique publique majeur.

27Si la loi Dalo change profondément la logique de mise en œuvre du droit au logement, les effets observés apparaissent toutefois mitigés, surtout en Île-de-France.

28En termes d’attribution de logements, l’on constate que, à la fin de 2011, 39?960 ménages prioritaires n’avaient pas été relogés (dont 71 % en Île-de-France), au regard des 420?000 logements sociaux attribués chaque année (dont 20?% en Île-de-France) [15]. Quant à la production de logements, elle reste insuffisante et inadaptée à la demande sociale, tandis que les préfets peinent toujours à imposer la construction de logements sociaux là où elle est jugée déficitaire. L’incohérence du système de répartition des compétences et des responsabilités, la multiplicité des objectifs fixés à la politique du logement, parfois contradictoires, et le manque de logements expliquent en partie les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la loi.

Notes

  • [1]
    Depuis sa création en octobre 2006, l’association des Enfants de Don Quichotte s’est investie dans la défense des droits des mal-logés.
  • [2]
    Créé en 1992 à la demande de l’abbé Pierre et composé d’une dizaine de membres, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées rend chaque année un rapport au président de la République et au Premier ministre.
  • [3]
    Parmi ces associations, citons notamment ATD quart monde, Emmaüs, Droit au logement, Habitat et humanisme, Fédération nationale des Pact-Arim, Fondation Abbé Pierre, Armée du salut, France terre d’asile, Gisti, Ligue des droits de l’Homme, Médecins du monde, Restaurants du cœur, Secours catholique, Solidarités nouvelles pour le logement, Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss).
  • [4]
    La notion d’«?entrepreneur politique?», proposée par John W. Kingdon, renvoie aux agents pivots qui, en réponse à un problème donné, tentent de promouvoir une alternative de politiques publiques en investissant leurs ressources (temps, énergie, réputation, argent, etc.), en échange d’un bénéfice, objectif ou symbolique, qu’ils anticipent (J. W. Kingdon, 1984, Agendas, Alternatives and Public Policies, Boston, Little, Brown and Co).
  • [5]
    La notion de «?homeless?» («?sans abri?» au sens strict) est comparable à celle de «?mal logé?» en France car elle inclut non seulement l’absence de logement, mais aussi les situations d’hébergement, de logement précaire, insalubre ou inadapté.
  • [6]
    Les critères de priorité ont été progressivement élargis et seront totalement supprimés le 31 décembre 2012.
  • [7]
    Entretien avec Paul Bouchet le 5 février 2008.
  • [8]
    Lettre de mission de Xavier Emmanuelli, président du Haut Comité, 14 juin 2006.
  • [9]
    «?SDF?: la grosse colère de Catherine Vautrin?», Le Figaro, 20 décembre 2006?; Tonino Serafini, «?Vautrin contre les Don Quichotte?», Libération, 20 décembre 2006.
  • [10]
    Martin Choutet a été chargé de mission auprès du préfet Alain Régnier, délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement, de mai 2008 à novembre 2010. Il est aujourd’hui conseiller technique auprès du secrétaire d’État au Logement, Benoist Apparu.
  • [11]
    Entretien avec Martin Choutet le 23 mars 2010.
  • [12]
    Entretien avec Martin Choutet le 23 mars 2010.
  • [13]
    Olivier Besancenot?; Marie-George Buffet (Parti communiste français) ; Jean-Michel Baylet (Parti radical de gauche) ; François Hollande (PS) ; Cécile Duflot (Verts) ; François Bayrou?; Christine Boutin (UMP).
  • [14]
    Droit au logement, «?Loi Dalo : un pauvre droit au logement?», 22 février 2007.
  • [15]
    Source : ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer au 31 décembre 2010.
Français

Résumé

Inspirée par le modèle écossais, la France a donné un caractère « opposable » au droit au logement avec la loi du 5 mars 2007. Adoptée en pleine campagne présidentielle, sous le coup de la mobilisation des Enfants de Don Quichotte, cette loi fait d’emblée l’objet de nombreuses critiques : votée dans la précipitation, elle instituerait un droit purement fictif. Une analyse rapide pourrait laisser penser que cette loi a été un simple produit de l’urgence. L’étude des logiques à l’œuvre dans le processus décisionnel montre, au contraire, que le droit au logement opposable fut adopté à l’issue d’un processus complexe et au terme de plusieurs années de débats impliquant de nombreux acteurs, à différents niveaux du système d’action. Cet article s’intéresse plus particulièrement au rôle joué par les associations, caritatives, militantes et/ou spécialisées dans le secteur du logement, dans la construction et la mise sur l’agenda du droit au logement opposable (Dalo).

Bibliographie

  • Ballain R. et Benguigui F. (dir.), 2004, Mettre en œuvre le droit au logement, Paris, La Documentation française.
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  • Brouant J.-P, 2008, Un droit au logement… variablement opposable, AJDA, n°?10, p. 506-511.
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  • En ligneDoutreligne P., 2010, «?La genèse du droit au logement opposable?», Informations sociales, n° 157, p. 104-112.
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  • Kingdon J. W., 1984, Agendas, Alternatives and Public Policies, Boston, Little, Brown and Co.
  • Louail O., 2008, «?Le mouvement des Enfants de Don Quichotte, “Mobilisation improbable”???», mémoire de master 2 sous la direction de Matthieu Hély et Patrick Cingolani, Université Paris X-Nanterre.
  • En ligneMuller P., 2009, Les Politiques publiques, Paris, Presses universitaires de France (Puf), coll. «?Que sais-je???».
  • Offerlé M., 1998, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, coll. «?Clefs?».
  • Plate-forme pour un droit au logement opposable, 2006, «?Le logement, une urgence et un droit?: rendre le droit au logement opposable?».
  • Saint-James V., 2008, «?Faut-il désespérer du droit au logement ??», JurisClasseur Périodique A, n°?1, p. 31-35.
Noémie Houard
Politiste
Ingénieure de l’École nationale des travaux publics de l’État et docteure en sciences politiques de l’Institut d’études politiques de Paris (France). Elle est actuellement chargée de mission au Centre d’analyse stratégique (CAS) et chercheuse associée au Cevipof – Sciences Po. Ses travaux portent principalement sur la politique du logement, la politique de la ville et les politiques de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/09/2012
https://doi.org/10.3917/inso.172.0064
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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