1La Fnars fédère 850 associations et organismes publics qui gèrent plus de 2?700 établissements et services œuvrant dans les domaines de l’hébergement, de l’accompagnement social, de l’insertion par l’activité économique, de la santé, du contrôle judiciaire, des services sociaux et familiaux. La revue Informations sociales a souhaité questionner le rôle d’expertise que la Fédération peut être amenée à jouer auprès des pouvoirs publics.
2Comment définiriez-vous le rôle de fédérations d’associations telle que la vôtre ?
3Les fédérations d’associations ont deux rôles principaux. Le premier s’exerce auprès des associations locales. Elles créent et animent un réseau au sein duquel elles leur proposent des outils communs, des lieux de réflexion, d’échange sur les pratiques professionnelles, et en particulier sur les bonnes pratiques. Le second est un rôle à l’égard des pouvoirs publics, à la fois d’interpellation et de mise à l’ordre du jour politique des questions qu’elles défendent. Ces deux missions sont complémentaires?: une fédération se doit de rester proche de ses associations membres, qui forment la matière première de son travail, et de porter leur voix.
4Concernant le rôle des associations à l’égard des pouvoirs publics, quelles ont été les principales évolutions??
5Plusieurs changements ont eu lieu. La situation économique de la France, qui se caractérise par l’ampleur des problèmes sociaux, d’une part, et un resserrement des finances publiques, d’autre part, impose d’adopter de nouvelles manières de faire. Il n’est plus possible de rester sur le même mode d’intervention sociale qu’hier. Cette mutation concerne d’abord l’État, qui est plus exigeant dans ses rapports avec les associations et plus précis dans ses demandes. Ainsi, certains types de financement sont de moins en moins accordés, comme les subventions qui couvraient le fonctionnement interne des structures (notamment celui des fédérations ainsi que l’animation de réseau), au profit de financements thématiques et sur projets, que ce soit sur proposition des associations ou, de plus en plus souvent, sur commande publique. Les associations doivent dès lors «?professionnaliser?» leur intervention, que ce soit dans la réalisation sur le terrain, avec une exigence de réflexivité sur l’action, ou bien dans l’analyse des situations, avec un accroissement de l’objectivation de l’analyse.
6De plus, les associations doivent désormais trouver un équilibre entre la réponse qu’elles apportent à la commande publique, émanant de l’État ou de collectivités, et le maintien de leur capacité d’innovation, indispensable au renouvellement de l’intervention sociale. Cette créativité se capitalise dans la présence sur le terrain des associations.
7Par ailleurs, il leur est nécessaire de passer d’une approche bilatérale (association - financeur) à une approche collective, s’appuyant notamment sur des analyses territoriales réunissant tous les acteurs locaux : collectivités, État, associations, usagers…
8Dans ce cadre, la notion de contrat pluriannuel entre l’État et les associations nous paraît intéressante?: elle intègre des objectifs collectifs, par exemple de réduction de certaines problématiques sociales, ainsi que des moyens financiers adaptés pour les associations.
9En quoi les réformes de l’État et de son organisation modifient-elles votre relation avec lui??
10Avec la décentralisation et la réorganisation des services déconcentrés de l’État, la présence d’agents de l’État diminue sur le territoire. Cette diminution affecte la mise à disposition des services publics et touche aujourd’hui l’ingénierie sociale ou l’observation, qui sont de plus en plus souvent déléguées à d’autres partenaires, dont les associations. Dans certains territoires, ce sont ainsi des associations qui pilotent des observatoires sociaux.
11Certes, cela donne du poids aux associations, mais je ne me réjouis pas de cette situation pour deux raisons. D’une part, la position des associations dans cette configuration est délicate, car les soutiens financiers pour ces dispositifs ne sont pas pérennes?; elles prennent donc des risques financiers en embauchant du personnel pour ces missions. De plus, de mon point de vue, c’est l’État, et non les associations, qui peut et doit être responsable de la gouvernance, afin de respecter le principe d’équité sur l’ensemble du territoire. Les associations peuvent en effet porter des projets, réaliser des missions de service public, favoriser l’innovation sociale, apporter de la méthodologie – ce que l’État est de moins en moins en capacité de développer –, mais elles ne peuvent pas être garantes de l’équité sur l’ensemble du territoire français.
12L’apport d’expertise serait donc devenu un élément central de votre relation avec les pouvoirs publics ?
13Absolument. On ne peut plus aujourd’hui se contenter de militer, de porter une cause et de proposer des solutions. Il faut que ces problèmes sociaux et ces solutions que nous proposons soient assis sur des constats sérieux, argumentés. C’est pourquoi, avec d’autres, nous développons des mécanismes de remontée d’information pour apporter la connaissance nécessaire au débat public. Nos propos sont d’autant plus entendus que nous les fondons sur une analyse crédible de la situation sociale.
14Aussi, je ne crois pas que la segmentation entre des associations qui seraient gestionnaires et d’autres qui seraient militantes soit souhaitable. Pour moi, les deux dimensions sont importantes au sein de chaque structure. Le militantisme et l’innovation sociale doivent s’appuyer sur la pratique quotidienne.
15Quelle est la spécificité des expertises qui sont conduites par la Fnars ?
16Nos expertises sont basées sur les remontées du terrain. Forts de l’animation de notre réseau, nous pouvons faire émerger très rapidement des problématiques sociales qui sont repérées localement par les associations.
17Par ailleurs, nous attachons une grande importance à la parole directe des bénéficiaires. Ainsi, nous avons travaillé, avec l’Armée du salut, à la création d’un conseil consultatif pour que les bénéficiaires des politiques soient acteurs de leur conception.
18À la Fnars, des bénéficiaires de nos actions ont également intégré notre conseil d’administration. Récemment, ils ont été au premier plan dans les débats de notre congrès national (qui s’est tenu les 13 et 14 janvier 2012 à Nantes), éclipsant d’ailleurs un peu les associations. Nous intégrons aussi le plus possible les bénéficiaires aux démarches d’expertise. Accompagnés d’un technicien du recueil d’information, ils sont les mieux placés pour décrire leurs difficultés. Cette proximité avec les usagers nous permet de ne pas nous éloigner de la réalité.
19Pouvez-vous nous donner quelques exemples récents de travaux d’expertise à votre actif??
20Nous avons élaboré un outil Internet qui nous permet de collecter, dans un temps très court, de grandes tendances en provenance des associations de terrain. Ainsi, récemment, nous avons recueilli le point de vue des travailleurs sociaux sur la mise en œuvre du Revenu de solidarité active (RSA). Ceux-ci ont mis en lumière les problèmes rencontrés par les bénéficiaires, notamment pour passer directement du RSA à l’emploi sans complément de revenus, alors que les allocataires se montrent très volontaires pour travailler (les radiations pour refus d’emploi sont d’ailleurs rares). Les travailleurs sociaux ont également pointé des difficultés posées par le dispositif lui-même, que ce soit les risques persistants de perte d’avantages connexes, la limitation du bénéfice de la prestation aux plus de 25 ans ou les difficultés d’accompagnement vers l’emploi dans un contexte de crise. Ces informations ont donné lieu à de nombreuses interrogations méthodologiques et de fond de la part de nos partenaires. Ainsi, dans la foulée de ce travail, une étude qualitative a été conduite par une chargée de mission Fnars et un bénéficiaire du RSA. Sillonnant les espaces d’insertion de Paris, ils observent comment les bénéficiaires sont intégrés aux équipes pluridisciplinaires, quels sont les points sur lesquels leur avis est sollicité…
21Un deuxième exemple des travaux que nous mettons à la disposition de tous sur notre site Internet (http://www.fnars.org) est le sondage que nous avons fait réaliser par Harris Interactive pour recueillir l’opinion des Français sur la précarité, à l’occasion de notre congrès annuel en 2012. Les conclusions ont montré, ou confirmé, que 41?% des Français considèrent avoir été confrontés à une période de précarité au cours des trois dernières années?; 77?% considèrent que les enjeux de solidarité ne sont pas une priorité des programmes politiques et 85?% estiment que cela devrait être le cas.
22Enfin, troisième exemple, emblématique de mon point de vue de notre capacité d’expertise?: la gestion par nos soins du baromètre hivernal du 115. Nous avons équipé l’ensemble des structures d’orientation d’un logiciel qui nous permet de faire une mesure des demandes adressées au 115 et des solutions qui sont trouvées. Cette mesure est alarmante?: en décembre 2011, 49?% des demandes d’hébergement sont restées sans solution.
23Par ailleurs, l’hébergement débouche trop rarement sur le logement?: 65?% des personnes ayant appelé le 115 en décembre étaient déjà connues du dispositif. Ce rapport est analysé avec beaucoup d’attention par les acteurs de l’hébergement d’urgence et nos propositions ont bien plus d’assise grâce à cet outil de mesure qui objective nos propos. C’est ainsi, sur ce type de données, que nous pouvons fonder des propositions et notre appui à des dispositifs tels que «?Le logement d’abord?», qui préconise par exemple de ne pas multiplier, pour les personnes sans domicile, les étapes avant l’accès à un logement normal.
24Ces expertises répondent-elles à une demande des pouvoirs publics ?
25Pour partie, ces expertises sont directement demandées par l’État. Ainsi, la Fnars bénéficie d’un financement de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) au titre de l’observation qu’elle conduit sur les appels au 115.
26Parfois, l’État souhaite réaliser lui-même une partie de cette expertise. Ainsi, dans le cadre de la mise en place d’un Service intégré d’accueil et d’orientation (Siao), environ la moitié des structures concernées ont été équipées par l’État et l’autre moitié par la Fnars. Nous sommes en train de rapprocher nos bases de données pour constituer, à terme, un seul outil de recueil et d’analyse des demandes.
27Dans d’autres cas, nous sommes le relais d’une demande étatique. Ainsi, dans le cadre de l’enquête «?Phénomènes émergents de pauvreté?», conduite à la demande de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes), nombre de nos associations font partie des «?capteurs?» interrogés par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) pour détecter des phénomènes en voie de développement.
28Enfin, nous proposons de notre propre initiative certaines analyses sur des sujets qui nous semblent importants ou des thématiques en progression. C’est à cette fin que nous avons construit l’outil de recueil des tendances locales ou encore l’analyse qualitative de la place des bénéficiaires dans les équipes pluridisciplinaires.
29D’une façon générale, les connaissances sur les phénomènes de précarité sont si limitées que les études provenant des associations, lorsqu’elles sont réalisées avec méthode, sont bien reçues. Regardez la place du rapport annuel sur le mal-logement de la Fondation Abbé Pierre?: il fait aujourd’hui référence dans ce secteur.
30En quoi l’évolution de vos missions modifie-t-elle les compétences des personnels et bénévoles des associations ?
31Au niveau local, les associations restent composées d’une très grande majorité de travailleurs sociaux qui œuvrent sur le terrain. Mais dans les grandes associations nationales ou des fédérations comme la mienne, on voit apparaître de nouveaux profils de plusieurs types. Je dirais que l’on y trouve désormais des gestionnaires qui professionnalisent l’organisation des associations. Arrivent aussi des personnes en charge de l’observation et de l’expertise des besoins sociaux, ayant des diplômes de sciences humaines et sociales, et parfois, comme c’est mon cas, des expériences dans le monde des études. Enfin, les associations mobilisent des communicants capables de valoriser ces travaux et de les porter dans la sphère publique.
32Cette professionnalisation de l’organisation ne doit pas s’accompagner, et nous y veillons, d’une coupure avec les associations de terrain. Les associations nationales et les fédérations doivent rester à leur écoute car ce sont elles qui détiennent la connaissance, véritable socle de notre expertise.