1Comme les mots, qui sont la forme matérielle écrite ou sonore qui leur permet de circuler, les idées aiment à jouer entre elles. Pour composer les combinaisons qui leur donnent sens, les mots obéissent aux règles de la grammaire et des liens de proximité qu’étudie la sémantique, science des significations. Si les mots jouent entre eux pour notre plus grande jubilation intellectuelle, les idées ne sont pas en reste ; elles qui s’oxymorent, se métaphorisent et s’hyperbolisent dans des élans souvent créatifs. Mais au-delà du jeu, l’association des idées est aussi un principe de méthode essentiel dans trois domaines pourtant distincts, le développement de la pensée complexe, la maîtrise de la langue et l’accès à l’inconscient.

2L’association d’idées, souligne l’épistémologue Jean-Louis Lemoigne [*], a toujours joué un rôle essentiel dans la pensée scientifique et, face à la complexité grandissante du monde, la faculté de relier les connaissances et les disciplines est devenue un atout déterminant. Contestant les positionnements méthodologiques d’Aristote et de Descartes coupables à ses yeux d’avoir soumis la pensée à des cloisonnements induits par l’analyse, c’est-à-dire la dissociation des idées, J.-L. Lemoigne affirme que la pensée scientifique est une pensée qui relie, en fonctionnant par métaphore. Il ne serait pas de connaissance scientifique, y compris les inventions mathématiques – telles qu’elles ont été produites et non telles qu’elles sont enseignées –, qui ne soit produite par de telles médiations, comparaisons, correspondances, conjonctions… et non par déduction syllogistique formelle. À preuve l’exemple de Léonard de Vinci dont la méthode pour inventer l’hélicoptère a été de partir du dessin d’un boulon et de suivre par analogie le cheminement supposé d’une hélice qu’on visserait dans l’air. Cette anecdote, souligne J.-L. Lemoigne, montre que le processus cognitif du «?comme?» vaut autant que le processus cognitif du « donc?», même si l’on continue d’enseigner sur les bancs des écoles que « comparaison n’est pas raison?» [1]. C’est une conviction apparentée à celle-ci qui a conduit le linguiste Paul Robert à élaborer en 1967 le premier dictionnaire de langue reposant, contrairement aux dictionnaires de mots qui se limitent à définir des termes un à un, sur un système de renvois analogiques explicitant les relations sémantiques entre les mots de la langue française. La méthode conduit à un véritable maillage de la langue qui a facilité peu après la généralisation des liens hypertextes dans le traitement informatique des données littérales. Elle a été systématisée pour la création, à partir des années 1970, des thesaurus, outils linguistiques puissants que les spécialistes de l’information ont développés à partir des types formels de relations (hiérarchie, synonymie, équivalence…) que les concepts entretiennent les uns avec les autres dans un champ donné du savoir.

3Enfin, en se libérant de toute contrainte formelle ou logique, l’association d’idées, devenue «?libre?» selon l’affirmation de Freud lui-même, a gagné sa plus grande popularité en entrant dans le savoir commun sur la psychanalyse comme un moyen de révélation des ressorts les plus intimes de la pensée. Bien que de nombreux débats aient été soulevés par la promotion de ce «?dire n’importe quoi?» en «?chemin de<BR /> vérité?», l’association d’idées apparaît là encore comme un moyen d’accéder à une dimension cachée du monde.