1Inscrite dans les traités fondateurs des Communautés européennes, la libéralisation des services a donné lieu à l’adoption d’une directive européenne en 2006 qui a suscité de nombreuses inquiétudes dans les pays membres de l’Union européenne (UE), notamment au sein du monde associatif qui s’interroge sur l’impact de la réglementation européenne libérale sur ses activités.
2Il s’agit là d’un débat crucial en ces temps de crise économique, d’autant que les politiques publiques demeurent les principaux amortisseurs sociaux et les vecteurs de cohésion sociale et territoriale à l’intérieur des États membres. L’enjeu est de taille puisque les services sociaux concernent des domaines aussi divers que les services aux personnes âgées, l’accueil de la petite enfance ou encore l’insertion et la formation professionnelles, autant de services qui font partie intégrante de la vie quotidienne de tous les citoyens.
3Au travers de cet article, nous souhaitons dresser un état des lieux trois ans après la transposition de cette directive «?services?» dans le droit national français, en nous centrant sur les enjeux propres au secteur associatif. Il nous apparaît nécessaire de replonger cette question dans le contexte politique et juridique global de la libéralisation européenne des services. Afin de comprendre les tenants et aboutissants du débat, nous nous attacherons à définir brièvement les différents termes et acronymes usités dans le cadre de ce débat (SIG, SSIG, SIEG), avant d’illustrer les enjeux concrets posés par la réglementation communautaire.
SIG, SIEG, SSIG : distinction entre les différentes formes de services
4Avec le débat sur la directive «?services?», la question de l’application intégrale des règles du marché intérieur aux services sociaux d’intérêt général (SSIG) a été posée. Tout l’enjeu porte sur la distinction entre les services couverts par la directive et auxquels s’appliquent par conséquent les règles de libre concurrence, et ceux qui échappent à son champ d’application et peuvent par conséquent continuer à bénéficier de subventions.
5Dans ce débat sur la directive «?services?», un certain nombre de termes et d’acronymes sont utilisés par l’ensemble des acteurs. Aussi est-il indispensable de clarifier ces termes pour mieux comprendre de quoi l’on parle et à quelle catégorie appartiennent les services délivrés par les acteurs associatifs.
- Les services d’intérêt général (SIG) couvrent «?les services marchands et non marchands que les autorités publiques considèrent comme étant d’intérêt général et soumettent à des obligations spécifiques de service public?» [1]. Selon le principe de subsidiarité, les États membres donnent une définition politique de ceux qu’ils considèrent comme des services d’intérêt général et décident d’assumer directement leur gestion ou de déléguer celle-ci à des opérateurs privés.
- Les services d’intérêt économique général (SIEG) forment, quant à eux, une sous-catégorie des SIG qui intègre les activités de services marchands remplissant des missions d’intérêt général mais pouvant potentiellement être soumis à une logique marchande (tels que les grands services en réseaux?: la fourniture de gaz ou d’électricité, les télécommunications ou les transports).
- Les services sociaux d’intérêt général (SSIG) sont des services d’intérêt général dont les prestations visent à garantir la cohésion sociale, à améliorer les conditions de vie des populations sans aucune forme de discrimination?: «?L’une des caractéristiques fondamentales des SSIG consiste dans la mise en œuvre de la solidarité collective pour répondre à toutes les situations de fragilisation sociale susceptibles de porter atteinte à l’intégrité des personnes?» [2].
Comment la directive « services » est-elle mise en œuvre en France??
6En France, le gouvernement a transposé la directive à travers de multiples dispositions législatives (loi de modernisation de l’économie, loi «?Hôpital, patients, santé, territoires?» –?HPST?–, etc.) et non par l’adoption d’une loi-cadre comme dans la plupart des autres États membres [3].
7En l’absence de cadre législatif national homogène de mandatement des services sociaux, il revient aux collectivités territoriales d’exclure les services sociaux du champ d’application de la directive par un acte de «?mandatement?».
8Par cette procédure, l’autorité publique inscrit explicitement une mission déléguée de service public dans le champ protecteur des services d’intérêt économique général. On verra que ceux-ci peuvent bénéficier de dérogations à l’application des règles communautaires en matière d’aides d’État.
9Dans le cas contraire, si un service rentre dans le champ d’application de la directive, il tombe sous le coup du droit communautaire et de la libre concurrence. On se situe alors dans le champ de la contractualisation des relations, caractérisée par des procédures de marchés publics et d’appels d’offres. En France, plus de 36?000 collectivités locales et 60?000 opérateurs locaux de services de proximité, dont plus de la moitié opère dans le secteur social, sont concernés par ces nouvelles procédures.
Une inflexion de la politique communautaire
10Au sein de l’UE, la défense et la promotion des missions d’intérêt général se sont d’abord développées lentement, puis, depuis le début des années 2010, de manière beaucoup plus consciente et rapide. Ainsi, le traité de Lisbonne (2007) introduit des dispositions protectrices (art. 14 et 106.2 TFUE - protocole n°?26 sur les SIG). Par ailleurs, la charte des droits fondamentaux de l’UE dispose que «?l’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union?» [4].
11Autre signe de reconnaissance : l’adoption par la Commission européenne, le 20 décembre 2011, d’une réforme des règles en matière de contrôles des aides d’État aux SIEG, visant à clarifier et simplifier les règles appliquées aux services publics locaux. Adopté à l’issue de consultations publiques, ce nouveau cadre se compose de plusieurs instruments qui doivent faciliter les règles appliquées par les pouvoirs publics nationaux, régionaux ou locaux. Une décision révise en particulier les règles en matière d’aides d’État octroyées aux services locaux qui répondent « à des besoins sociaux dans le domaine de la santé et des soins de longue durée, de l’aide à l’enfance, de l’accès au marché du travail et de la réinsertion sur ce dernier, du logement social, ainsi que de l’aide aux groupes vulnérables et de leur inclusion sociale »? [5].
12Depuis le 31 janvier 2012, tous les services sociaux mentionnés sont exemptés de l’obligation de notification à la Commission européenne, et ce quel que soit le montant de la compensation reçue, alors que précédemment seuls les hôpitaux et le logement social bénéficiaient de cette exemption. En outre, l’adoption d’un projet de règlement relatif aux aides de minimis accordées à des entreprises fournissant des SIEG a été reportée au printemps 2012. Ce projet prévoit que les compensations dont le montant est inférieur à 500?000 euros pendant une période de trois ans ne sont pas considérées comme des aides d’État.
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14Dans le débat autour de l’application de la directive «?services?», l’assouplissement des règles de la Commission européenne laisse entrevoir un avenir positif pour le monde associatif, qui s’est vu reconnaître sa contribution à la réduction des inégalités, notamment auprès des publics les plus vulnérables. Bien que la Commission ait fait un pas en faveur de la reconnaissance de la spécificité des SSIG, en particulier en termes d’ancrage local et de faible affectation des échanges intra-communautaires, certains points restent à éclaircir quant à l’application aux services sociaux des règles communautaires relatives au marché intérieur et à la libre concurrence.
15Rappelons également que de nombreux acteurs de la société civile européenne se mobilisent pour la sauvegarde du modèle social européen, à l’instar du collectif SSIG [6] ou encore des auteurs du dernier Cahiers de la Solidarité, intitulé «?Services sociaux d’intérêt général : entre finalité sociale et concurrence?»? [7]. Ils s’accordent sur la nécessité de mettre en œuvre un cadre clair et sûr afin de desserrer l’étau autour des services de proximité. En d’autres termes, les règles communautaires doivent appuyer les objectifs sociaux de l’Union européenne et non les entraver.
Notes
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[1]
Livre vert de la Commission européenne sur les Services d’intérêt général, COM(2003) 270 final, 21 mai 2003.
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[2]
«?Les services sociaux d’intérêt général?», Dossier d’actualité, REIF (Représentation des institutions françaises de sécurité sociale auprès de l’Union européenne), Bruxelles, septembre 2006, p. 5.
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[3]
Rapport de synthèse sur la transposition de la directive n° 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur.
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[4]
Article 36 de la charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne.
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[5]
Décision de la Commission du 20.12.2011 relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général. C(2011) 9380 final.
- [6]
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[7]
«?Services sociaux d’intérêt général : entre finalité sociale et concurrence », Cahiers de la solidarité, n°?27, février 2011.