1L’A.NA.PSY.pe participe à de nombreuses concertations au niveau national et local relatives à la petite enfance. Elle propose notamment un éclairage spécifique sur les fondements et les enjeux des modes d’accueil. La revue Informations sociales a souhaité interroger cette association qui a été sollicitée à plusieurs reprises dans les réflexions menées par la Caisse nationale des Allocations familiales (Cnaf) ainsi que les caisses d’Allocations familiales (Caf).
2Ont participé à l’entretien :
- Sylviane Giampino, psychologue clinicienne, psychanalyste, cofondatrice de l’association et présidente de 1986 à 1994, actuellement l’une des administratrices [1] ;
- Danièle Delouvin, psychologue clinicienne, présidente de l’A.NA.PSY.pe entre 1995 et 2007 ;
- Dominique Ratia-Armengol, psychologue clinicienne, vice-présidente depuis 2003 et présidente de l’A.NA.PSY.pe depuis 2008.
3Le travail s’effectue sur trois niveaux. Le premier est un travail d’écoute, d’observation du développement, du comportement, de l’évolution des enfants dans les lieux d’accueil, de soins ou d’éducation. Le deuxième niveau a pour objectif d’aider les professionnels qui entourent les enfants à réfléchir à leurs pratiques, à leurs attitudes, à faire évoluer leur perception et leur compréhension des enfants et des familles, leurs habitudes, leur organisation du travail, leurs relations entre eux, avec les enfants et les parents. Auprès des professionnels le psychologue favorise la résolution de difficultés relationnelles au sein de l’équipe. L’ensemble de ce travail a de surcroît un effet sur la formation des professionnels en maintenant une réflexion permanente sur leurs pratiques. Et enfin, le troisième axe de travail est celui qui est conduit avec les familles. Le psychologue se met à la disposition des parents pour les aider sur les questions relatives au développement de leur enfant et aux difficultés relationnelles rencontrées avec lui. Il n’a pas, dans les structures d’accueil et d’éducation, de rôle proprement soignant psychothérapique mais il a une clinique d’écoute et de guidance, qui a des effets d’amélioration sur le vécu des enfants et des parents.
4Nous travaillons dans tout le champ public et nous incluons les psychologues en hôpital, en néonatalité par exemple, ceux en milieu scolaire et de l’aide sociale à l’enfance. Il convient de préciser que le statut de psychologue bénéficie d’un cadre fixé par la loi du 25 juillet 1985 sur l’usage du titre de psychologue, qui précise sa mission, l’éthique, l’autonomie technique du psychologue, le choix des outils et des modes d’intervention. Nous nous appuyons sur les textes législatifs qui reconnaissent la nécessité du soutien psychologique de l’enfant et de sa famille : notamment la loi PMI de 1989 et les décrets sur les modes d’accueil, dont celui d’août 2000. Toutefois, si les textes utilisent la notion de psychologie – on parle de santé médico-psychologique ou encore de travail psychosocial – quand il s’agit de définir les acteurs concourant à ces missions, les psychologues ne sont parfois pas mentionnés. Nous reprenons souvent cette phrase d’un chef de service de PMI, le docteur Jacqueline de Chambrun : « puisqu’on nous a dit qu’il faut faire de la psychologie, alors autant que ce soient les psychologues qui le fassent ».
5Vous défendez une certaine conception de la prévention psychique et sociale que vous qualifiez de « prévenante » et non pas « dépisteuse »…
6Dans une intervention au colloque de la Harpe-Enfant de Droit en 1990, Sylviane Giampino parlait déjà de « prévention prévenante ». Lorsque nous faisons du soutien à la parentalité il s’agit de comprendre et soutenir des familles dans leur singularité et leur originalité en préservant la liberté des parcours de chacune d’entre elles. Nous travaillons sur le développement des processus psychologiques de la mise en place de l’individuation et de la socialisation. Nous tenons à souligner les risques d’effets iatrogènes (c’est-à-dire indésirables) d’un certain type d’approche de la prévention psychique. La traque aux troubles supposés annoncés chez les jeunes enfants ne date pas du rapport de l’Inserm de 2005 [2]. La première journée d’études de l’A.NA.PSY.pe en 1988 s’intitulait déjà : « La pratique du psychologue entre la demande de dépistage et l’horizon thérapeutique » [3]. Nous attirons l’attention des professionnels, des théoriciens, des scientifiques et des élus depuis 1986 sur les pièges de la prévention pensée en termes de dépistage, de signes, de critères de risques, de signes avant-coureurs, de troubles. Et nous alertons aussi sur le risque de ciblage stigmatisant de populations avec des critères de risques sociologiques, ethnologiques, médicaux qui peuvent produire chez les enfants des effets d’induction, des difficultés qu’ils sont supposés éviter : l’effet pygmalion.
7Dans le cadre de l’A.NA.PSY.pe comment intervenez-vous justement auprès des pouvoirs publics ?
8À chaque fois que nous identifions un enjeu réglementaire dans le champ de la petite enfance, nous proposons notre analyse du dossier. Notre travail consiste à éclairer les pouvoirs publics afin qu’ils aient une meilleure connaissance de l’impact psychologique que pourraient avoir les réglementations élaborées sur les enfants, les parents et les professionnels. Nous faisons un travail de sensibilisation des élus à ces thématiques. Nous émettons des avis techniques sur des dossiers ou des questions de lois concernant la petite enfance. Des collectivités territoriales sollicitent des membres de l’A.NA.PSY.pe sur des dossiers relatifs aux modes d’accueil, à la prévention et au soutien à la parentalité. Nous sommes sollicités par des départements pour réfléchir sur leurs projets pédagogiques de modes d’accueil. Nous travaillons aussi avec les Caf sur les crèches d’entreprise et les entreprises de crèche.
9Par ailleurs, nous organisons des colloques, des conférences-débats ouverts aux non-psychologues. Nos publications valorisent les réflexions menées dans nos groupes de travail et colloques. Elles sont envoyées aux principaux acteurs du champ de la petite enfance. Afin de s’assurer d’une diffusion plus large, nous publions, depuis 2005, auprès d’un éditeur : Érès [4].
10Vous participez, entre autres, à la réflexion sur les modes d’accueil petite enfance depuis 25 ans. Quelles évolutions identifiez-vous dans ce champ??
11Il est certain que nous avons assisté en 25 ans à une évolution considérable, et dans le bon sens selon nous, des pratiques concernant une meilleure connaissance des besoins et du développement des enfants. Pendant longtemps les initiatives s’attachaient à une meilleure personnalisation du travail avec les enfants par l’ouverture aux familles et la mise en place de personnes référentes et de périodes d’adaptation personnalisée. De plus, les modes d’accueil se sont davantage ouverts aux enfants présentant des difficultés psychiques, porteurs de handicap, atteints de maladies chroniques, etc. Les progrès ont été significatifs sur la formation et l’agrément des assistantes maternelles. Une prise de conscience de l’importance de la formation des professionnels de l’accueil a eu lieu.
12Mais, depuis le début des années 2000, on assiste à une involution sous le coup de plusieurs variables. La nécessité d’un développement quantitatif des modes d’accueil impliquant un élargissement des types d’accueil s’est fait ressentir pour répondre au besoin de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Cette prise de conscience des besoins est un progrès auquel certains d’entre-nous ont largement contribué. Au niveau politique on a, en effet, pris acte que les femmes s’engageaient dans la vie professionnelle de façon importante et que ce mouvement n’allait pas régresser. Hélas, cette prise de conscience ne s’est pas accompagnée de la poursuite de l’effort sur le qualitatif dans les modes d’accueil. La réponse politique à ce besoin constitue une deuxième variable qui participe à cette involution. Les réglementations de 2010 sur les types de modes de garde, les critères d’agréments, la formation des professionnels, etc… qui sont venues compléter les réglementations incitatives sur le plan financier et fiscal pour les entreprises qui créaient une crèche. Elles n’ont pas été suffisamment assorties d’exigences qualitatives au niveau des normes, des contrôles sur la qualité. C’est pourquoi nous sommes engagés dans le collectif Pas de bébés à la consigne [5].
Qu’est-ce que l’A.NA.PSY.pe ?
- favoriser les échanges et les rencontres entre psychologues travaillant dans le champ de la petite enfance et faire mieux reconnaître leur travail par les autres professionnels ;
- développer l’étude et la recherche concernant le jeune enfant et sa famille ;
- travailler avec les autres professionnels de la petite enfance ;
- contribuer à la réflexion des pouvoirs publics sur le jeune enfant et son environnement.
13Le deuxième point, qui amplifie le précédent, est l’inscription des structures d’accueil dans la directive service européenne [6]. Nous regrettons que la France n’ait pas demandé à ce que les structures de modes d’accueil soient exemptées de la directive service car celle-ci ouvre, selon nous, à la marchandisation de la petite enfance. Or, la privatisation du mode d’accueil transforme le parent de l’enfant en client de la structure et du service et replace le rapport entre les parents et les professionnels en termes de rapport régulé par l’offre et la demande. Dès lors, on assiste à une transformation statutaire des interférences relationnelles subjectives entre les parents et les professionnels qui ne sont pas sans effets sur les enfants. En tant que psychologues petite enfance, nous sommes actuellement témoins que cette organisation de l’accueil ne garantit pas suffisamment la continuité relationnelle ni l’environnement stable dont les très jeunes enfants ont besoin.
14Ces involutions ont-elles des impacts dans l’évolution de vos rapports avec les pouvoirs publics??
15Entre 2005 et 2012, nous avons fait l’expérience d’être moins entendus et nos apports n’ont que peu été pris en compte. C’est pourquoi, après avoir participé aux réunions partenariales petite enfance instaurées par le ministère de la Famille, nous avons refusé de participer aux États généraux de la petite enfance du 16 février 2010. Nous avons communiqué nos doléances aux États généraux pour l’enfance, lesquelles ont été publiées le 26 mai 2010 dans le Cahier de doléances pour eux pour continuer à transmettre les raisons argumentées de nos inquiétudes à propos des questions comme la diminution du nombre de professionnels les plus qualifiés dans les structures d’accueil, les conditions de fonctionnement des maisons d’assistantes maternelles, l’absence de taux d’encadrement des jardins d’éveil, etc.
16Au niveau territorial avez-vous le même sentiment ?
17Au niveau territorial, la conscience des enjeux de la petite enfance est fort hétérogène. La baisse d’exigence au niveau de la réglementation nationale favorise la baisse d’exigence de certaines collectivités territoriales peu sensibilisées aux besoins des tout-petits et des exigences de qualification des professionnels. Au bout du compte on ne fait que renforcer par le bas l’hétérogénéité du pays, alors que certains départements et communes investissent beaucoup sur la petite enfance, qu’ils soient de gauche ou de droite d’ailleurs. Mais rien n’est irréversible. Il s’agit d’une situation conjoncturelle qui peut être modifiée par une réelle volonté politique.
18On parle beaucoup des modes d’accueil de type crèches mais nous avons les mêmes inquiétudes pour les Maisons vertes ou des lieux d’accueil parents-enfants. Aujourd’hui, elles disparaissent progressivement parce qu’elles ne sont pas soutenues, notamment par des financements. Or, ce qu’elles offrent est un cadre de fond pour une prévention psychique et sociale prévenante. Ces structures combinent le soutien à la parentalité, la prévention précoce des difficultés de séparation et de sociabilisation, la lutte contre l’isolement, et la possibilité d’orienter vers une demande d’aide les familles qui en ont besoin. Le paradoxe est qu’au moment où la France ne soutient plus ses Maisons vertes, le modèle est copié dans un certain nombre de pays.
19Quels seraient, selon vous, les critères de qualité que les établissements d’accueil des jeunes enfants devraient remplir??
20Nous proposons cinq critères de qualité des modes d’accueil, qu’il soit individuel, collectif, privé ou public?: un accueil personnalisant pour l’enfant, les parents, les professionnels. Un accueil qui assure la sécurité affective des enfants et favorise la continuité psychique. Un accueil qui encourage la vitalité découvreuse des enfants. Un accueil qui respecte la dignité de l’enfant. Un accueil civilisant, qui institue des positions claires entre les adultes? [7].
Notes
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[1]
Sylviane Giampino a collaboré à de nombreuses reprises à la revue Informations sociales. Elle a notamment coordonné trois numéros : P.M.I. Actualité, Informations sociales, n°?10, 1991 ; Les modes d’accueil du jeune enfant, Informations sociales, n° 103, 2002 et Jeunes couples jeunes parents, Informations sociales, n° 132, 2006.
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[2]
Le rapport de l’Inserm « troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent » préconisait de détecter les troubles dès l’âge de 36 mois dans un objectif de prévention des risques, notamment de délinquance.
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[3]
La deuxième journée d’études, en 1989 : « Être psychologue de la petite enfance : est-ce courir plus vite que les risques ??» et en 1990 : «?Les bébés : tous des traqués ??»
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[4]
Première publication en 2005 : « Des psychologues auprès des tout-petits, pour quoi faire ? ». En 2006 : « À l’écoute des bébés et de ceux qui les entourent », colloque des 20 ans de l’A.NA.PSY.pe En 2012 publication à paraître du colloque des 25 ans de l’association chez Érès : Y-a-t-il encore une petite enfance ?
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[5]
Le collectif s’est constitué en 2009 pour s’opposer au projet de décret relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans qui baisse le nombre de professionnels qualifiés dans les structures et augmente le nombre d’enfants à charge du professionnel. Il regroupe une cinquantaine d’associations et de syndicats.
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[6]
Voir le focus de Denis Stokkink et Audrey Houssière dans ce même numéro, page 30.
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[7]
Giampino S., 2007, « Confier ses enfants : la qualité est une priorité?», in Les mères qui travaillent sont-elles coupables ?, Paris, Albin Michel.