1Sociologue et linguiste de formation, Pierre Grelley a exercé pendant vingt ans la fonction de documentaliste dans le secteur social, puis a assuré la valorisation des recherches au sein du Gip « Mission de recherche Droit et Justice ». Il est un collaborateur régulier de la revue Informations sociales et fait partie de l’équipe des rédacteurs de la rubrique « Contrepoints ».
2Appréhendée sous l’angle du vocabulaire, la «?médiation?» rend compte de pratiques que l’observation révèle extrêmement diverses par leur objet, leur finalité, leurs modalités opératoires et les acteurs qu’elles impliquent. On se perd devant le nombre et l’hétérogénéité des tâches aujourd’hui confiées à des médiateurs. Certaines d’entre elles correspondent bien à des fonctions clairement identifiées, à la fois nouvelles et en partie originales. Pour d’autres, en revanche, la référence à la médiation paraît quelque peu abusive car les fonctions qu’elles recouvrent relèvent de qualifications et de modes d’agir déjà connus sous d’autres noms, comme les stadiers devenus «?médiateurs sportifs?». L’usage du vocable n’est alors qu’un artifice de langage.
3Comment introduire un peu de lisibilité dans un tel paysage alors que le concept, créé pour désigner des pratiques de résolution des conflits alternatives à celles proposées par les institutions, suppose désormais que ces pratiques qui se voulaient «?différentes?» dans leur esprit et variées dans leurs modalités s’institutionnalisent à leur tour??
4Du côté de ce qui se fait, la médiation retient l’attention par la caractéristique suivante?: elle désigne à la fois un processus (une médiation a été entreprise…) et, par métonymie, le résultat de celui-ci (une médiation est intervenue…), ce qui crée un facteur supplémentaire de confusion, les deux objets ne se superposant évidemment pas. Elle est également une démarche qui se distingue du jugement judiciaire, même si elle peut parfois lui emprunter certains traits ou procédures, voire, exceptionnellement, se substituer à lui. La médiation est, enfin, autre chose que la simple gestion d’un conflit puisqu’elle investit de plus en plus fréquemment des champs qui ne sont pas ceux de la concurrence et du conflit, mais plutôt ceux de la communication, son objectif n’étant alors pas de réparer une relation qui se serait dégradée mais bien de la créer.
5Apparue il y a une trentaine d’années comme un ensemble de pratiques non formalisées et principalement conçues comme modalité de valorisation et de réappropriation du conflit pour résoudre celui-ci, la médiation s’est peu à peu transformée en une intervention sociale professionnalisée, dont les objectifs et les moyens se sont diversifiés sans toujours innover. Le constat de ces évolutions rend d’autant plus pertinente l’intention de revisiter les terrains de la médiation. Ce numéro y invite à travers une démarche d’inventaire des types de pratiques de la médiation dans les divers domaines où elle s’exerce et d’évaluation des enjeux dont elle est porteuse, sans s’interdire d’évoquer ses limites.
6Dans la première partie, nous nous intéressons au développement de la médiation et à la recherche de traits fondamentaux qui seraient communs à tous les types de médiations, conduisant le sociologue à formuler deux hypothèses. La première est celle d’une certaine instrumentalisation par les professionnels du «?label?» médiation lorsqu’il sert par exemple, dans certains domaines, à revaloriser des fonctions en mal de reconnaissance. La seconde hypothèse avance que la difficulté de classer les activités de médiation selon leur nature serait due à l’ambivalence de certaines d’entre elles et propose de les imaginer comme prises dans un jeu de forces émises par deux pôles opposés, semblables à celles qui structurent un champ magnétique, et comme attirées selon les situations vers l’un ou l’autre de ces pôles.
7Cette impression de complexité n’est pas infirmée par l’examen des pratiques de la médiation, mené dans la deuxième partie de ce numéro. Les différents terrains d’exercice offrent des degrés divers d’institutionnalisation de la médiation pouvant conduire à la mise en œuvre d’un contrôle social subreptice. Un terrain propice à cet égard est assurément celui de la médiation familiale, à laquelle plusieurs articles sont consacrés, et ce quels que soient le contexte dans lequel elle est pratiquée, le rôle et le statut de ceux qui l’exercent, ou encore le degré d’institutionnalisation qui leur est reconnu. Du panorama des formes et des pratiques de médiation en France se dégage la conviction que celles-ci ont été largement instrumentalisées dans le but de promouvoir des dispositifs de contrôle social évitant l’exercice direct de l’autorité ou de la contrainte. À propos de la médiation familiale, qui constitue sans doute l’expression la plus connue et la plus développée de la pratique, il est souligné que les raisons mêmes d’un succès incontestable dans les esprits et sur le terrain sont peut-être porteuses de risques. Ceux-ci, qui pointent à travers de nouveaux paradoxes, demandent qu’une attention vigilante soit portée à l’évolution de cette forme de médiation afin de repréciser et expliciter la place qu’elle pourra occuper dans les années à venir.
8Enfin, la troisième partie est consacrée aux acteurs de la médiation, qu’ils soient des agents au statut très institutionnalisé, tel le Médiateur de la République, ou quasi clandestin, à l’image du médiateur culturel dans les musées, des agents de la médiation sociale ou des médiés. Ceux qui ont ou auront à endosser l’habit du médiateur, dans un domaine d’activité ou un autre, doivent avoir été formés non pas à un type de médiation sectorielle, mais bien à la médiation, laquelle, au-delà de sa polymorphie et nonobstant la variété de son exercice, présente une unité théorique et une identité certaines face aux autres pratiques relevant, comme elle, des modes alternatifs de règlement des conflits.