CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La notion d’accompagnement est-elle d’introduction récente dans le travail social ?

2Non, je ne crois pas. Il y a toujours eu, dans nos écoles, des interventions magistrales sur le thème de l’accompagnement – un accompagnement centré sur la personne, le terme est plus difficile à utiliser dans une approche collective. L’accompagnement, c’est le cœur de métier de toutes les professions sociales. Ce que réaffirment, avec force, les référentiels professionnels révisés au cours des dernières années.

3Ainsi, celui des éducateurs spécialisés, qui date de 2007, indique que les intéressés aident et accompagnent des personnes, des groupes ou des familles en difficulté. Chez les assistants de service social, on parle d’accompagnement social, cependant que les conseillers en économie sociale familiale mettent en œuvre un accompagnement budgétaire. Quant aux éducateurs de jeunes enfants, il leur est demandé de développer des pratiques adaptées d’accueil et d’accompagnement du jeune enfant et de sa famille.

4Comment expliquer que le thème de l’accompagnement soit aussi central ?

5Cela me semble très lié à la valorisation forte du droit des usagers. Le mouvement de fond date de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. On va vers des prises en charge plus personnalisées et la question de l’accompagnement surgit dans la continuité de cette individualisation. L’accompagnement n’est d’ailleurs pas tout à fait la même chose que la prise en charge, qu’on évite pour son côté pesant et surplombant. A contrario, ce qu’il y a d’intéressant dans cette notion d’accompagnement, c’est qu’elle associe l’usager à l’action sociale ou éducative. On est dans une perspective de coconstruction.

6Comment définir le contenu de cette fonction ?

7Il diffère selon les métiers. Le terme d’accompagnement n’est jamais utilisé seul, il est référé à un public – accompagnement du jeune enfant, de la fonction parentale – ou à un champ : accompagnement éducatif, social, budgétaire. Il y a aussi des accompagnements liés à une politique ou à un dispositif. Nous avons les trois registres.

8Depuis la réforme des diplômes en travail social de niveau III[1], entreprise à partir de 2002, deux des quatre domaines de compétences des référentiels professionnels sont communs aux différentes filières. Or, l’accompagnement ne se trouve pas dans ce socle partagé. Comment l’expliquer ?

9Effectivement, les deux domaines de compétences communs sont le DC3 (communication professionnelle) et le DC4 (dynamiques institutionnelles, interinstitutionnelles et partenariales). Ainsi, le titulaire d’un diplôme d’éducateur de jeunes enfants, qui souhaite devenir éducateur spécialisé, est dispensé des DC3 et DC4 de cette deuxième formation. Se demander pourquoi l’accompagnement ne fait pas partie de ce tronc commun revient à se poser une vieille question : celle de savoir si le travailleur social est un généraliste ou un spécialiste. On a toujours connu une tension entre ceux qui disaient : il y a un métier générique qui peut être spécialisé, et d’autres qui prétendaient – ou continuent d’affirmer?– qu’il y a un certain nombre de métiers spécialisés.

10Dans les années 1970, quand on a inventé les instituts régionaux de travail social (IRTS), l’ambition était d’arriver à rassembler les qualifications autour d’un tronc commun un peu général, avec une sortie en fin de formation plutôt spécialisée. Et puis, au fil des années, sous le poids, je pense, des corporatismes ou des politiques publiques très spécialisées, les professions se sont installées.

11Mais, à partir des réformes successives de la formation professionnelle (loi dite de modernisation sociale du 17 janvier 2002 instaurant la validation des acquis de l’expérience [VAE], puis loi relative à la formation tout au long de la vie du 4 mai 2004), la question de la rénovation des professions sociales s’est posée, notamment pour les rendre accessibles selon le principe de la VAE. Or, pour valider de l’expérience, il faut mettre au jour des compétences, c’est pourquoi on a cherché à réformer les métiers du social à partir de la notion de compétences – agrégées en grands blocs, car pour exercer un métier, on pourrait dresser des listes de compétences sans fin. La querelle entre partisans d’un métier généraliste et avocats de professions spécialisées s’est alors rejouée.

12Finalement, en matière de compromis, il a été décidé de réformer les diplômes existants sans y toucher, mais en inventant à l’intérieur quelque chose qui est de l’ordre du commun à toutes ces professions. Et, tout doucement, une doctrine s’est installée du côté de la Direction générale de l’action sociale [2], consistant à dire : les formations sociales, globalement, sont organisées en quatre domaines de compétences, dont deux sont communs. Du coup, la spécialisation professionnelle se concentre sur les domaines de compétences 1 et 2. Il y a toujours de l’expertise et de la méthode dans les DC1 et 2 des formations de niveau III.

13Ces domaines de compétences ne sont pas homogènes d’une formation à l’autre, mais, au fond, ils parlent tous des mêmes choses et, en particulier, d’accompagnement.

14Comment apprend-on aux travailleurs sociaux à accompagner ?

15Il est difficile de répondre de manière générale, car cet axe de formation se développe sur des volumes horaires très importants. Par exemple, pour les éducateurs spécialisés, le DC1 « accompagnement social et éducatif spécialisé » représente 450 heures de formation. En outre, les référentiels de formation des différents métiers n’ont qu’un caractère indicatif.

16Donc, ce que je peux dire n’est pas forcément partagé par l’ensemble des acteurs de la formation. Il est néanmoins possible de dessiner à grands traits les contenus de formation qui se retrouvent dans tous les métiers de niveau III – dans des proportions variables et avec des tonalités différentes. En effet, certains métiers vont avoir une dominante « psy », d’autres une dominante « socio ». Je dirais que les professions de l’assistance (assistants de service social et conseillers en économie sociale et familiale) sont aujourd’hui plutôt colorées « socio », et les professions éducatives plutôt teintées « psy ».

17Dans tous les cas, vous l’aurez compris, les deux disciplines centrales sont la psychologie et la sociologie, alors que les approches économiques sont moins importantes. Il y a également un soubassement juridique assez significatif, car les étudiants vont être conduits à évoluer dans un univers extrêmement normatif. Aussi ont-ils besoin de comprendre le sens des politiques publiques et de réfléchir à des questions de posture professionnelle, donc à des questions éthiques.

18Concrètement, comment fabrique-t-on un travailleur social ?

19En gros, ces métiers se forgent dans ce que nous, en jargonnant, nous appelons l’alternance. La principale particularité des formations sociales est, en effet, qu’elles sont composées, presque à part égale, de formation pratique et théorique.

20Un cursus de travailleur social de niveau III représente environ 3 000 heures : 1 500 pratiques et 1 500 théoriques. Les contenus d’enseignement que j’ai évoqués se retrouvent principalement dans la partie théorique, mais, au regard du domaine de compétences concerné, les étudiants ont des stages à effectuer et, sur leurs lieux de stage, ils doivent travailler les questions abordées de façon théorique. Au début, les apprentis travailleurs sociaux sont plutôt dans l’observation. Il s’agit de regarder comment font les professionnels, d’observer les populations, de comprendre ce qui se passe du point de vue de la disqualification sociale, du handicap, etc. Puis, au fur et à mesure qu’ils progressent dans leur apprentissage, on va demander aux étudiants de se mettre en situation et ce, sur des temps de plus en plus longs.

21Ainsi, en troisième année, ils effectuent des stages dits à responsabilité qui peuvent durer neuf mois. Ils sont vraiment, alors, dans une approche de formation par le terrain. On essaie toujours que cette formation pratique prenne sens au regard de la formation théorique, et réciproquement. L’idée est qu’il y ait cette espèce d’hybridation qui fait que, progressivement, les différents apports s’agrègent dans la cervelle et dans les gestes des élèves pour en faire de véritables professionnels.

22De quel accompagnement disposent-ils eux-mêmes durant cette formation ?

23À l’Institut du travail social de Tours, nous avons mis au point un accompagnement un peu intégratif. Il passe par la constitution de petits groupes à qui on affecte un formateur référent. Ce dernier va suivre ces dix à douze étudiants tout au long de leurs trois années de cursus. Nous avons baptisé ces formateurs référents « formateurs d’accompagnement », car leur vocation est bien d’accompagner les étudiants dans leur apprentissage.

24Ces formateurs rencontrent très régulièrement leurs élèves dans des séances d’analyse de la pratique : le but est d’y faire émerger le vécu qui a été celui des étudiants sur leurs terrains professionnels et, collectivement, d’essayer de lui donner du sens. À cet effet, le pédagogue aide les intéressés à mobiliser des contenus d’enseignement théorique pour fabriquer de l’intelligibilité des situations.

25Ce formateur se rend aussi sur les lieux de stage pour observer les jeunes et discuter avec les équipes. On peut dire qu’il est le garant de la continuité du parcours et du processus de professionnalisation des travailleurs sociaux.

Notes

  • [1]
    - Les professions sociales de niveau III – ce qui correspond à un niveau Bac + 2 – sont celles d’assistant de service social, d’éducateur spécialisé, de conseiller en économie sociale et familiale, d’éducateur de jeunes enfants, d’éducateur technique spécialisé et d’animateur.
  • [2]
    - En 2010, la Direction générale de l’action sociale (DGAS) est devenue la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
Entretien avec 
Olivier Cany
directeur général de l’Institut du travail social de Tours (Indre-et-Loire)
Propos recueillis par 
Caroline Helfter
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/05/2012
https://doi.org/10.3917/inso.169.0080
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