1La notion d’accompagnement a connu ces dernières années un véritable engouement, au point d’envahir tous les domaines de la vie sociale. Elle se présente comme vertueuse, consensuelle, propre à susciter l’adhésion, mais n’en reste pas moins ambiguë, prenant des formes et des significations différentes au cours du temps et selon les professionnels qui y ont recours. Largement mobilisé par de multiples acteurs institutionnels, professionnels et associatifs, ce concept semblerait pointer des situations et des contextes nouveaux, qui appellent des interventions également novatrices.
Une démarche ancrée dans la mission historique du service social
2Si la thématique de l’accompagnement rencontre aujourd’hui un vif succès, le terme n’est pourtant pas récent et ses origines sont probablement lointaines. Des expériences d’accompagnement proches de celles qui ont cours aujourd’hui sont repérables dans les années 1970-1980 dans le champ de l’action sociale. Ainsi, des types d’intervention assez proches de l’accompagnement, tel le suivi social [1], sont en usage depuis longtemps chez les travailleurs sociaux, les assistant(e)s de service social principalement. Le suivi social consiste en une prise en charge d’individus rencontrant des difficultés d’intégration dans la société (qui étaient désignés comme les « laissés pour compte de la société »). Il s’est exercé jusqu’à la fin des années 1970 avant d’être remis en cause en raison d’une forte suspicion l’assimilant à un véritable contrôle social des populations pauvres. Un autre terme va progressivement supplanter celui de suivi social : celui d’accompagnement social, qui apparaît au début des années 1980. Il se veut porteur d’une pratique nouvelle d’intervention sociale, dégagée de toute connotation négative. Alors que le suivi social semblait lié à des pratiques traditionnelles de travail social, fondées sur une perception unilatérale de l’action [2] (Guele et al., 2003, p. 8), l’accompagnement social semble quant à lui reposer sur un autre type de relation, impliquant de manière différente les parties en présence. Il va être promu comme une nouvelle forme de prise en charge qui vise à placer la personne au centre d’un processus interactif, dans le cadre d’une forme d’échange volontaire « reposant sur une éthique d’engagement réciproque entre les personnes » (Id., p. 8). À la fin des années 1970, l’accompagnement social va s’étendre aux personnes handicapées. Les centres d’aide par le travail (Cat, devenus Esat ) [3] vont se doter de services d’accompagnement destinés à favoriser l’intégration des personnes handicapées dans le milieu ordinaire. Des expériences d’accompagnement social se développent également dans le secteur du logement social, puis se généralisent avec l’instauration du Revenu minimum d’insertion (RMI) en 1988. À la fin des années 1980, l’accompagnement social est posé comme l’une des quatre grandes fonctions du travail social au côté du diagnostic social, de la mise à disposition d’une offre et de la promotion collective (Uniopss, 1995).
Généralisation des pratiques d’accompagnement et polysémie de la notion
3Bien qu’il soit associé au secteur du travail social, l’accompagnement s’est développé bien au-delà de celui-ci, touchant désormais un nombre grandissant d’individus et de situations. On peut en effet parler d’une montée en puissance des pratiques d’accompagnement, particulièrement dans le champ de l’insertion. La généralisation de l’accompagnement des chômeurs en est un exemple parmi d’autres. Les démarches d’accompagnement se sont généralisées au début des années 2000 avec la mise en place du plan d’aide au retour à l’emploi de l’Unedic (Pare) et du Projet d’action personnalisé (Pap) de l’ANPE qui formalisait les formes d’accompagnement. D’autres champs sont également irrigués et de nombreuses formes d’intervention sont désormais qualifiées d’accompagnement, sans que l’on puisse avoir une idée précise de ce à quoi elles renvoient. L’accompagnement s’applique de manière générique à des contextes divers. Cette généralisation ne fait qu’accentuer le caractère opaque de la notion et mouvant de ses frontières. Nombre de domaines de l’intervention publique (santé, social, éducation, emploi, formation...), ainsi que des activités du secteur privé, mobilisent désormais cette forme d’intervention.
4Malgré le flou qui entoure la notion et la diversité des pratiques qu’elle peut générer, on peut tenter de dégager quelques points communs qui relèvent d’une démarche d’accompagnement. D’une façon générale, les pratiques d’accompagnement consistent à guider, appuyer, soutenir ou encore aider. On y trouve également l’idée de suivi, d’assistance, d’information, de conseil, de « guidance », qui suggère tout à la fois « une mise en relation dans une “temporalité-durée constituant une forme de processus”, un cheminement commun variant en fonction des dispositifs et modes d’accompagnement existants ; l’existence de relations personnalisées, interactives, s’effectuant dans un rapport à l’autre toujours complexe ; une démarche constituée d’un ensemble de comportements et de conduites étayés par des savoirs théoriques et pratiques, constituant un type de professionnalité » (Ardoino, 2000, p. 11-15). On peut également imaginer, sinon le rôle joué par les professionnels, du moins leurs grandes lignes d’action : les « accompagnants » ou « guidants » seraient des facilitateurs de projets, mettant à la disposition des « accompagnés » des ressources (outils, techniques, moyens) ainsi que leurs compétences pour assurer le succès de l’action entreprise. Ces points communs ne sauraient cependant masquer les difficultés réelles à cerner avec précision une notion que tout un chacun (formateur, professionnel de l’emploi, intervenant du social…) peut, en définitive, définir à son gré en fonction de ses propres pratiques. La polysémie du terme tient à la disparité des types de projet, des actions entreprises ainsi que des profils des individus concernés. Ainsi, développer les potentiels personnels et professionnels d’un individu pour augmenter ses ressources économiques, sociales n’a pas le même sens que prendre en charge des personnes en difficulté d’emploi. Au final, le champ d’exercice de l’accompagnement s’apparente à un vaste continuum de pratiques et de démarches touchant une diversité de domaines et de populations, ce qui fait qu’il est toujours difficile, encore aujourd’hui, d’en préciser les contours exacts.
L’accompagnement social, une démarche centrée sur l’individu
5Du fait de ses origines, l’accompagnement social est étroitement lié à ce que les travailleurs sociaux nomment la relation d’aide. Il prend tout son sens dans cette relation reposant sur une dynamique d’échange et de confiance réciproque, où il s’agit d’amener « une personne à faire de nouveaux apprentissages, à poser de nouveaux gestes pour arriver à satisfaire ses besoins ou à résoudre ses difficultés » (Tremblay, 2003, p. 17). Dit autrement, il s’agit dans ce processus d’aide de soutenir et de guider les individus de façon à ce qu’ils prennent conscience de la situation dans laquelle ils se trouvent de manière à la faire évoluer dans un sens positif. L’accompagnement social doit ainsi se différencier de pratiques « classiques » telles que la tutelle ou l’assistance, puisque la relation qu’il établit entre les deux parties n’est pas imposée. La posture normative, point commun aux démarches d’accompagnement social, relève d’un contrat « informel » ou « moral » qui « suppose au départ un libre arbitre des futurs partenaires [et]?qui débouche sur une relation volontaire où la place et le rôle de chacun, comme l’objet de la relation et sa durée, sont clairement définis » (Barreyre et al., 1995, p. 18).
6L’accompagnement serait donc censé annihiler tout effet de dépendance en s’opposant à une prise en charge contrainte des individus, synonyme d’assistanat. Nous aurions affaire à des agents non pas passifs, mais actifs de leur insertion, aidés en cela par des accompagnateurs disposant de techniques et d’outils aptes à développer les ressources des personnes accompagnées et solliciter leurs compétences.
7L’accompagnement a pris forme dans la culture du projet. L’injonction au projet semble d’ailleurs avoir accentué les formes de dépendance et fragilisé les personnes, de manière telle qu’elles ne pourraient plus vivre de manière autonome dans leur projet et ressentiraient le besoin d’être accompagnées (Boutinet, 2002).
8L’accompagnement pourrait alors être un nouveau mode de gouvernement des personnes (qui ne concernerait pas seulement les plus vulnérables mais l’ensemble de la population), assimilable à un travail sur soi, où les individus doivent compter sur leurs propres ressources et sont aidés à s’aider eux-mêmes (Vrancken et Macquet, 2006). De nombreux dispositifs de l’action publique sont aujourd’hui conçus dans ce sens, qui cherchent à impliquer autrement les « usagers » en mettant l’accent sur la responsabilité et la responsabilisation individuelles.
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10Qu’elles soient à visée sociale ou formative, l’essor des pratiques d’accompagnement a conduit à rendre confuse la spécificité de ce type d’action, qui peut finalement s’adresser à un large public dans des domaines variés. L’accompagnement semble désormais être devenu un cadre d’action incontournable, auquel on recourt de façon quasi automatique. Décliné dans de nombreuses mesures et dispositifs sous divers intitulés, l’accompagnement va probablement s’affirmer comme un nouveau référentiel pour les acteurs de la formation, de l’insertion et de l’emploi.
Notes
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[1]
– Le terme de « suivi » a été repris par l’ANPE pour désigner le travail d’accompagnement effectué par les agents de l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi, devenue Pôle emploi en janvier 2009).
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[2]
– Ce qui peut d’ailleurs expliquer que ce terme ait été rapproché de l’idée d’un contrôle social effectué sur les personnes, ou tout au moins de l’exercice d’une certaine contrainte.
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[3]
– Esat : établissement et service d’aide par le travail.