1Depuis juin 2009, l’Allocation de parent isolé (Api), destinée aux familles monoparentales avec enfant de moins de 3 ans, a été remplacée par le Revenu de solidarité active (RSA). Alors que les bénéficiaires de l’Api pouvaient être accompagnés par un travailleur social de la caisse d’Allocations familiales (Caf) s’ils en éprouvaient le besoin, ils sont désormais soumis, dans le cadre du RSA, à la logique des « droits et devoirs ». Celle-ci leur propose un accompagnement personnalisé donnant lieu à la signature d’un contrat d’engagement réciproque (CER) en matière d’insertion professionnelle entre le bénéficiaire et l’organisme en charge de cet accompagnement. Celui-ci peut être la Caf, si le conseil général lui a délégué cette mission.
2Le passage d’un accompagnement facultatif à l’obligation de contractualiser a pu modifier, de manière substantielle, les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux en charge de l’accompagnement des monoparents avec jeunes enfants. Dans quelle mesure le passage de l’Api au RSA, en modifiant le contexte partenarial des Caf et le cas échéant leur organisation interne, d’une part, et en renforçant la dimension d’insertion professionnelle de l’accompagnement, d’autre part, a-t-il impacté les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux des Caf ?
3Afin d’apporter de premiers éléments de réponse à cette question, une enquête monographique, s’appuyant sur une quarantaine d’entretiens auprès de travailleurs sociaux et de personnels d’encadrement, a été réalisée, au premier trimestre de l’année 2011, dans cinq Caf. Celles-ci ont été choisies pour la diversité qu’elles représentent en termes de territoire (urbain versus rural), de taille de la population allocataire (« grande » versus « petite » Caf) et du nombre de travailleurs sociaux rapporté au nombre de bénéficiaires du RSA (« fort » versus « faible » potentiel d’accompagnement).
Des transformations dans les missions et parfois dans les organisations
4La mise en œuvre du RSA, et plus spécifiquement la possibilité pour les caisses d’accompagner les monoparents avec jeunes enfants, ont donné de nouvelles prérogatives aux caisses et aux travailleurs sociaux en charge d’accompagner ce public. D’une part, les Caf sont en charge, de manière massive [1], de la phase d’instruction des dossiers et, d’autre part, les travailleurs sociaux doivent s’inscrire dans la logique de l’accompagnement contractualisé matérialisé par le contrat d’engagement réciproque. Face à ces missions, les caisses ont choisi diverses modalités d’implication et d’organisation.
5Deux Caf ont mis en place une nouvelle organisation pour assurer la mission d’accompagnement. Sur ces territoires, une mission « insertion », interne à la Caf, a été créée. Ce service, mis en place dans un souci d’uniformisation des pratiques, coordonne les actions d’accompagnement et veille notamment à la formulation des contrats d’engagement réciproque proposés par les travailleurs sociaux. Il sert d’interface entre les Caf et le département. La mise en place de cette instance d’échanges et de coordination est vécue de manière ambivalente par les travailleurs sociaux. Elle génère à la fois un « contrôle » accru de leur activité et un « soutien » plus important.
6Alors que la plupart des caisses font réaliser l’instruction des dossiers par les techniciens conseils, l’une des Caf enquêtées a choisi de faire réaliser l’instruction des dossiers par les travailleurs sociaux, dès lors que les bénéficiaires sont des monoparents qu’ils sont susceptibles ensuite d’accompagner. L’instruction consistant en un accueil personnalisé permettant de compléter la demande et d’informer le bénéficiaire sur ses droits et devoirs, elle est ici envisagée comme la première étape de l’accompagnement. L’avantage de cette organisation est la prise en charge rapide, dès le premier contact, d’un public cible par les travailleurs sociaux. Pour ces derniers, cette organisation présente l’inconvénient?d’accroître les tâches « administratives » dans leurs missions.
7Enfin, dans deux des Caf étudiées, le passage de l’Api au RSA n’a pas donné lieu à des trans- formations majeures. Dans l’une d’entre elles, la principale évolution tient à la part prise par la contractualisation dans les missions des travailleurs sociaux. Dans l’autre, la mutation du travail social vers un accompagnement contractualisé avait été opérée dès le début des années 2000, avec la mise en place de l’accompagnement sur projet.
8La contractualisation et l’obligation pour les Caf de tenir informé le conseil général des actions menées dans le cadre de la délégation d’accompagnement se sont traduites sur tous les territoires par la mise en place d’outils de pilotage de l’activité des travailleurs sociaux. L’activité de « rendre compte » à leur hiérarchie occupe dès lors une place plus importante dans leurs pratiques professionnelles.
De la parentalité à l’insertion, du collectif à l’individuel, du curatif au préventif
9Le passage de l’Api au RSA a modifié les thématiques d’entrée dans l’accompagnement. Alors que dans le cadre de l’Api, la politique sociale en direction des parents isolés était de favoriser leurs « autonomies » sociale et familiale, dans le cadre du RSA la dimension professionnelle de l’accompagnement occupe une place plus importante. Observe-t-on le passage d’un accompagnement centré sur les problématiques de parentalité à un accompagnement visant l’insertion professionnelle ? Si cette mutation s’observe, comment a-t-elle impacté les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux ?
10Sur l’ensemble des territoires, les travailleurs sociaux reconnaissent que les actions menées visent davantage qu’auparavant à lever les freins à la recherche et au retour à l’emploi (difficulté de mobilité et mode de garde en particulier). Pour autant, dans la continuité de l’accompagnement proposé dans le cadre de l’Api, la problématique des liens parents / enfants reste présente dans les pratiques des travailleurs sociaux.
11La focalisation plus grande sur la dimension professionnelle de l’accompagnement et la systématisation de la contractualisation ont induit sur tous les territoires étudiés un accroissement du travail social individuel au détriment du travail social collectif : « L’instruction et la contractualisation occupent la plus grande partie de notre temps, laissant moins présente la place pour les actions collectives » (une conseillère en éducation sociale et familiale). Deux Caf ont néanmoins choisi de maintenir les actions collectives au prix d’un cloisonnement des intervenants sociaux ; ces derniers effectuant de manière exclusive soit de l’accompagnement individuel, soit des actions collectives.
12Le passage d’un accompagnement « à la demande » dans le cadre de l’Api à un accompagnement obligatoire mis en place dès le début de la perception de la prestation a modifié le positionnement du travail social, passant d’une posture curative à une posture plus préventive. En effet, dans le cadre de l’Api, le travail social était souvent celui de l’urgence dans la mesure où les familles rencontraient le travailleur social alors que leurs difficultés étaient déjà bien installées. Dans le cadre du RSA, la logique des droits et devoirs se montre plus préventive, en même temps qu’elle vise à responsabiliser l’allocataire.
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14Le passage de l’Api au RSA a modifié le travail social à l’attention des monoparents avec jeunes enfants. Contractualisé, l’accompagnement proposé est davantage préventif et individuel. Ces évolutions tiennent autant aux modalités de mise en œuvre de l’accompagnement (obligation de contractualiser) qu’à la focalisation plus grande sur sa dimension professionnelle.
15Dans ce cadre, les travailleurs sociaux doivent davantage formaliser leurs activités de diagnostics et de proposition de parcours d’accompagnement. Ils soulignent l’accroissement de la charge administrative de « rendu compte ». Ces mutations rapides comprennent un risque en termes d’identité professionnelle. La place prise par le pilotage, voire le contrôle des activités des travailleurs sociaux alimentent la crainte d’un dévoiement de la dimension « sociale » de l’identité professionnelle de ce corps de métier. À l’inverse, l’individualisation accrue des pratiques est vécue par nombre de travailleurs sociaux comme un retour « au cœur du travail social ».
Note
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[1]
- Au total, 82 % des Caf instruisent des dossiers de bénéficiaires du RSA soumis aux droits et devoirs. La part de l’instruction réalisée par les Caf dans les départements est de 70 % en moyenne (cf. Domingo P. et Donné S., « La mise en place du RSA dans les caisses d’Allocations familiales », l’e-ssentiel, n° 115, 2011).