1Depuis plus de deux décennies, dans la plupart des pays européens, d’importantes restructurations de la protection sociale conduisent à de nouveaux modes d’action dans le champ social. En échange d’une assistance, des mécanismes de contrepartie sont mis en place comme autant de droits et devoirs pour les individus, que l’on soit dans des modèles individualisés (prestations accordées à l’individu) ou « familialisés » (prestations accordées au ménage). Des politiques généralement dites « d’activation » conduisent à privilégier l’accès et le maintien dans l’emploi « dans une logique où le travail est vu comme l’élément fondamental de la citoyenneté et de l’intégration sociale, indépendamment de la situation familiale de la personne » (Grivel et al., 2007, p. 23). Ainsi, l’accompagnement des chômeurs se développe avec un double objectif : rendre un service plus efficace au chômeur en l’aidant en fonction de ses besoins individuels à retrouver un emploi ; responsabiliser le chômeur vis-à-vis de son coût pour la collectivité et le sanctionner si les démarches vers l’emploi sont jugées insuffisantes (ibid, p. 4).
2Des réflexions visant à évaluer les types d’accompagnement proposés selon les pays [1] ont été menées : un rapport du Centre d’études de l’emploi (CEE), sur les prestations et services d’accompagnement des demandeurs d’emploi (Grivel et al., 2007), ainsi qu’une note du Centre d’analyse stratégique (CAS), intitulée « L’accompagnement des demandeurs d’emploi : bilan d’une politique active du marché du travail en Europe et enseignements pour la France » (Guézennec, 2011). Nous nous appuierons sur ces deux sources pour identifier les évolutions communes à bon nombre de pays.
Une individualisation de la relation entre le conseiller et le chômeur
3Depuis les années 1990, la personnalisation de la prise en charge des demandeurs d’emploi s’est renforcée. Elle s’est traduite par la contractualisation [2], le suivi régulier par un référent unique et la construction d’un projet personnalisé. Certains pays (Allemagne, Grande-Bretagne) ont même mobilisé des techniques statistiques dites de « profilage » en vue d’inscrire le demandeur d’emploi dans le parcours le mieux adapté à ses caractéristiques individuelles (Grivel et al., 2007). Toutefois, le CAS souligne que cette personnalisation de l’accompagnement est le plus souvent partielle : le projet n’est, la plupart du temps, que la transcription d’un parcours type prédéfini, le demandeur d’emploi étant associé à un public cible. Certains pays recourent à des outils tendant à individualiser le plus possible l’accompagnement. Lors des entretiens personnalisés aux Pays-Bas, les conseillers font passer une série de tests de motivation et de compétence. Au Royaume-Uni, le conseiller dispose d’un simulateur informatique de l’évolution de l’ensemble des revenus du chômeur si celui-ci accepte de reprendre un emploi. En Allemagne, il n’existe plus, depuis 2009, de parcours type d’accompagnement ; les conseillers sont libres de déterminer la fréquence et la durée des entretiens. Ils disposent d’un logiciel, Arbeitsmarktmonitor (moniteur du marché du travail), qui donne un vaste panel d’informations : vacances d’emploi par secteur, comparaison locale des taux de chômage, etc. (Guézennec, 2011).
Un recul du recours à la formation longue
4Depuis le début des années 2000, les formations longues ne font plus recette, en raison notamment d’un ensemble d’évaluations micronométriques, menées ces dernières années, qui concluent à des effets médiocres, voire nuls, de la formation sur les taux de retour à l’emploi (Grivel et al., 2007, p. 29). Sont ainsi plutôt privilégiées les formations courtes et à vocation professionnelle, y compris en Suède où la formation était l’un des dispositifs traditionnels mis à la disposition des chômeurs. A contrario, les pratiques de coaching se développent, d’autant plus qu’elles invitent à une recherche active d’emploi et répondent dès lors aux exigences de la contractualisation sur l’accompagnement.
Une autonomie de plus en plus grande à l’échelon local
5Dans un souci d’offrir les réponses les plus adéquates aux besoins d’un territoire – mais également pour des questions de rationalisation budgétaire –, l’autonomie de l’échelon local dans les actions proposées aux demandeurs d’emploi est de plus en plus marquée. Cette tendance touche aussi bien des États traditionnellement décentralisés (Allemagne, Suède) que la France. L’échelon local est amené à choisir ses types et modalités d’action en fonction des caractéristiques de sa population, de sa situation économique ainsi que de ses choix politiques. C’est pourquoi, dès que ce mouvement a été impulsé, il a donné lieu à des interrogations et des critiques quant à la possibilité d’une rupture de l’égalité de traitement entre citoyens, comme ce fut le cas, dès la fin des années 1990, au Danemark.
Un renforcement de la sous-traitance aux acteurs privés
6Un certain nombre de réformes proposant une réorganisation des acteurs de l’accompagnement ont conduit à une libéralisation du marché du placement des chômeurs. La multiplication du nombre d’opérateurs faciliterait le développement de l’accompagnement et leur spécialisation permettrait une meilleure efficacité (Guézennec, 2011).
7En revanche, le type d’opérateurs et le nombre de chômeurs concernés varient fortement d’un pays à l’autre. Aux Pays-Bas, les opérateurs privés ont 75 % des parts du marché (Grivel, 2007, p. 16). Le CAS (Guézennec, 2011) met l’accent sur un élément structurant de cette soustraitance, à savoir la construction de partenariats renforcés entre les acteurs. Cependant, il apparaît assez difficile d’évaluer l’efficacité de l’accompagnement conduit par ces différents opérateurs (et, partant, la responsabilité de chacun).
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9Si l’obligation d’accompagnement vers l’emploi est une pratique qui se généralise en Europe, peu de pays poursuivent l’accompagnement dans l’emploi. Il existe un suivi pendant les six premiers mois après l’embauche en Suède, tandis qu’au Royaume-Uni le suivi des bénéficiaires se poursuit pendant deux ans. L’objectif de ce suivi prolongé est de développer une démarche préventive, par la possibilité donnée au bénéficiaire d’évoquer d’éventuelles difficultés afin de s’assurer d’une sortie durable du chômage. Globalement, l’effet sur l’emploi des bénéficiaires est mitigé et les critiques portent sur la multiplication d’emplois à bas salaires et à temps partiel. En outre, comme le fait justement remarquer Jean-Claude Barbier (2011), le sens et le vécu de cet accompagnement pour les personnes n’ont pas fait l’objet d’évaluations comparatives entre pays.
Notes
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[1]
– Comme le font remarquer Nicolas Grivel et al., le concept d’« accompagnement » est difficile à traduire. Il existe en anglais des termes qui renvoient à des choses différentes comme « Case Management » (suivi personnalisé) ou « Guidance and Counselling Services » (services d’orientation professionnelle).
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[2]
– Au Royaume-Uni, il faut prouver que l’on a effectué au moins dix démarches toutes les deux semaines, contre seulement quatre par mois aux Pays-Bas. En cas de manquement, la sanction, qui est la suspension du versement des allocations, est peu pratiquée, à l’exception des Pays-Bas où elle a concerné 33,6 % des chômeurs indemnisés en 2003 (Grivel et al., 2007).