1De l’ère des samouraïs à celle de Meiji, l’empire du Soleil-Levant s’est beaucoup prêté à l’allégorie. Le Japon du XXIe siècle n’échappera pas à ce destin et deviendra peut-être le pays des hommes nouveaux, si l’on accepte le portrait impressionniste qu’en trace Muriel Jolivet dans son dernier ouvrage [*] consacré à ce pays qu’elle connaît depuis les années 1970 et où elle enseigne.
2À l’image d’une nation monolithique et quasi statique pendant des siècles se substituerait désormais celle d’une société diversifiée et en mutation aussi rapide qu’incertaine, à l’exemple d’une jeunesse dont les visages sont multiples et changeants. C’est précisément en décrivant les modes de vie de ces garçons et de ces filles, petits-enfants des survivants d’Hiroshima et enfants des acteurs du boom économique des années 1960-1990, que Muriel Jolivet tente d’établir un état des lieux sociologique du Japon.
3Toutes les situations décrites correspondent à des phénomènes plus ou moins répandus qui sont actuellement observables, et dont l’auteure a trouvé la trace dans les médias, la littérature, les films ou simplement dans la rue. Elles sont désignées par des termes japonais dont on s’aperçoit qu’ils sont parfois empruntés à l’américain ou, du moins, inspirés par cette langue, tant la culture nippone traditionnelle semble dépourvue de concepts capables d’en rendre compte exhaustivement. Les grands types d’attitudes présentés révèlent d’ailleurs bien souvent la nouveauté des comportements et leur rupture radicale avec la tradition. Les jeunes Japonais apparaissent donc comme des « hommes d’un nouveau type », ainsi qu’ils ont été baptisés dès le milieu du XXe siècle. Ces portraits esquissés à grands traits ne renvoient pas à des singularités qui prendraient toutes valeur d’exemple. Ils traduisent néanmoins l’état de grand désarroi dans lequel se trouvent beaucoup de jeunes. Ceux-ci, repérables par des tenues physiques et vestimentaires hors normes ou par des comportements trahissant un mal-être collectif, l’absence de convictions et de points d’ancrage, sont tentés par une « fuite en avant » que l’on comprend comme un rejet quasi instinctif des valeurs du passé. Ils sont les « enfants du moratoire », autre expression qui traduit leur propension à remettre les actes et les décisions socialement significatifs (par exemple prendre son indépendance, trouver un métier ou fonder une famille) à un « plus tard » hypothétique, un avenir dans lequel ils n’arrivent même pas à se projeter.
4Une interprétation plus sociale et économique que culturelle de ces portraits conduit au constat d’une montée de la bipolarité riches/pauvres parmi les jeunes Japonais, phénomène relativement nouveau dans un pays réputé comme plutôt égalitaire. Des écarts très profonds se feraient jour et sépareraient ainsi les jeunes favorisés inscrits précocement dans des filières d’excellence et ceux qui devront assurer au jour le jour l’entretien d’une existence précaire.
Notes
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[*]
Muriel Jolivet, 2010, Japon, la crise des modèles, Arles, éd. Philippe Picquier.