1À la demande de l’Union des caisses nationales de Sécurité sociale (Ucanss), le cabinet de consultants Michel Bauer (MBC) a étudié les défis auxquels devraient être confrontés les agents de direction de la Sécurité sociale dans les prochaines années.
Évolutions de l’environnement externe et interne des institutions de protection sociale
2Michel Bauer retrace dans un premier temps ces évolutions en termes de missions, de gouvernance et de financement. Il détecte quatre évolutions externes : la révolution de l’information, l’intensification de la concurrence interne ou avec les partenaires, les nouvelles exigences des clients et des pouvoirs publics, les nouvelles exigences des collaborateurs.
31- L’information a un impact sur les relations entre réflexion et action. Dans un univers complexe, la réflexion doit accompagner l’action et la rapidité devient un facteur essentiel de l’efficacité. La dématé- rialisation des informations transforme la relation client, qui peut désormais être en relation avec l’institution par plusieurs vecteurs. Cette révolution de l’information impacte également les relations aux partenaires avec de plus en plus d’échanges de fichiers et, en corollaire, une exigence de fiabilisation et de sécurisation des données.
42- L’intensification de la concurrence. La mise en concurrence entre institutions repose sur des négociations sur les segments sociaux traités?; elle se traduira sans doute par des réorganisations?: fusion, mutualisation, externalisation de certains pans d’activités. Le challenge du manager va se jouer à la fois sur la qualité des prestations et sur l’efficacité de la communication liée à l’action.
53- Les nouvelles exigences des clients et des pouvoirs publics. Alors que les déficits sociaux s’accroissent, la dépense sociale doit être plus justifiée. Tout comme les entreprises, les organismes de Sécurité sociale vont devoir «?faire toujours plus avec toujours moins?», et ce face à des clients de plus en plus exigeants, comparant la qualité du service public à celle du secteur marchand d’une part, et s’exprimant collectivement sur les réseaux sociaux d’autre part. Dans le même temps, l’exigence des pouvoirs publics en termes de performance va inciter les managers à développer et expérimenter des pratiques innovatrices pour dégager des marges de manœuvre. Un autre levier possible est de savoir écouter le client pour répondre à ses demandes, mais aussi de personnaliser de plus en plus l’offre, voire pour les populations les plus fragiles de segmenter la clientèle.
64 - Les nouvelles exigences des collaborateurs. Du côté des collaborateurs, l’augmentation du niveau d’instruction et les logiques individualistes obligent les managers à relever aussi le défi de la qualité de la politique de ressources humaines et celui du management individuel et collectif pour motiver et mobiliser les compétences. Concrètement, l’enjeu pour les managers est de savoir articuler les valeurs de service public, les performances attendues par les pouvoirs publics et le travail au quotidien.
Les choix stratégiques
7Au sein des institutions, les défis internes à relever vont résulter des grands choix stratégiques. D’après M. Bauer, trois grands types de choix devront être tranchés?: le niveau de contribution à l’action publique, la définition du périmètre du cœur de métier et le type de réseau.
Le choix du niveau de contribution à l’action publique
8L’action publique s’organise selon un cycle en cinq étapes :
- étape 1, l’élaboration d’une politique et la construction des actions à mettre en œuvre?;
- étape 2, la décision de mise en œuvre?;
- étape 3, la mise en œuvre?;
- étape 4, le portage et l’explicitation?;
- étape 5, l’évaluation et les propositions d’amélioration.
- une mission de mise en œuvre,
- une mission de mise en œuvre mais aussi de portage et d’explicitation,
- une posture plus active dans l’élaboration des politiques.
9Le deuxième scénario, préféré de nombreux dirigeants, permet aux opérateurs de déve- lopper leur réflexion sur les politiques publiques et être force de propositions?; c’est le socle indispensable à une communication politique offensive qui défend l’image, valorise la qualité du travail, dévoile et explique les performances.
10Dans le dernier scénario, un opérateur qui se positionnerait à la fois sur l’étape 1 de construction des politiques et sur le volet?5 d’évaluation et de propositions doit consolider certains atouts : une bonne connaissance des territoires, une image d’opérateur efficace, de neutralité politique, des circuits d’information courts au niveau local et au niveau national, des savoir-faire en matière de gestion du risque, des expertises et des partenariats avec l’Université et les centres de recherches, une capacité à expérimenter.
11La Sécurité sociale ne dispose pas encore de tous les prérequis pour remplir ce rôle?: ainsi, les fichiers et bases de données doivent évoluer de la gestion pure vers l’appui à la conception de politiques et d’actions?; la veille stratégique et le repérage des signaux faibles doivent être organisés au niveau national par exemple, dans une direction de l’innovation, de la recherche et du développement.
12Au regard de ces choix, les compétences que les dirigeants devront mettre en œuvre sont multiples. Dans un environnement de plus en plus complexe, les gestionnaires devront avoir une bonne connaissance des politiques et des acteurs, un sens de l’articulation entre les préoccupations locales et nationales.
13Par ailleurs, des compétences spécifiques devront être développées?: des compétences métier favorisant une articulation entre réglementation, système d’information et processus, des compétences managériales et de pilotage de la performance, des compétences entrepreneuriales, des compétences de communication et partenariales.
Le choix du cœur de métier
14Pour des raisons d’efficience, la tendance actuelle des entreprises et des services publics est de se recentrer sur le cœur de métier. À cette occasion, M. Bauer pose la question d’un cœur de métier Sécurité sociale – avec formation et carrières communes – ou d’un cœur de métier spécialisé par branche.
15Parallèlement aux trois scénarios présentés dans la partie précédente, on peut, à un niveau macro, esquisser quelques tendances. Dans le cas d’un opérateur de premier type chargé uniquement de la mise en œuvre, les dirigeants doivent posséder des compétences industrielles en lien avec le système d’information, la réglementation, l’organisation, et ceci pour toutes les branches. Dans le cas d’un opérateur chargé à la fois de la mise en œuvre et de la communication, le cœur de métier devient double?: des compétences communes aux branches autour de la mise en œuvre et des compétences mixtes d’explicitation et de défense d’une politique à la fois générique aux branches et spécifique à chacune d’elles.
16Enfin, dans le cas d’un opérateur de deuxième type, le cœur de métier devient triple avec des activités de mise en œuvre, de communication et de coproduction en amont et en aval des actions publiques. Si toutes les branches se positionnent sur ce scénario, on pourra voir là aussi des éléments de cœur de métier communs. Au final, les différences de cœur de métier dépendront du positionnement des différentes branches sur ce cycle de l’action publique. Plus ces différences seront importantes, moins on parlera de cœur de métier unique.
17Si l’on examine la question du cœur de métier du point de vue de la division sociale du travail, toutes les branches continueront à développer et à articuler des activités de production, de service et de gestion des risques, avec en toile de fond des dynamiques de mutualisation et d’externalisation. Ceci devrait voir émerger une population d’agents de direction plus hétérogène, avec des compétences différentes selon le type d’organisme dans lequel ils vont exercer?: dans une caisse aux activités très variées ou dans une caisse aux activités recentrées sur quelques activités, ou encore dans de grosses usines, plateformes téléphoniques régionales ou multi-régionales.
Le choix du type de réseau
18Le troisième point abordé est celui du type de réseau, question centrale pour la population des agents de direction. Les potentialités et le mode de gouvernance d’un réseau se calent sur trois définitions?:
- ce qui relève de la responsabilité de la tête de réseau?;
- ce qui relève de la responsabilité des organismes ;
- ce qui relève d’une coresponsabilité de la tête de réseau et des organismes.
19Toutefois, afin de maximiser les capacités d’innovation, une valorisation des pratiques locales par un pilotage national doit être mise en place. Une des pistes pourrait être de favoriser ces pratiques en les inscrivant dans le référentiel d’évaluation des dirigeants. La question du curseur entre les différents niveaux territoriaux va donc se poser. Par exemple, on ne sait pas précisément quelles seront les activités supports les plus impactées par les mutualisations, assistera-t-on à une mutualisation mono-ou multibranche, verra-t-on l’apparition d’usines régionales ou multi-régionales qui déchargeront les organismes d’une partie de la production et qui nécessiteront des agents de direction au profil particulier??
20Identiquement ailleurs, le niveau de contribution des dirigeants locaux au travail de construction des décisions stratégiques peut être très variable. Le mode de prise en compte des spécificités locales pour la définition des missions, des résultats attendus et des moyens peut varier d’une coproduction assise sur une expertise locale à une situation où le local est appréhendé uniquement à partir des quelques données globales. Sur le pilotage par indicateurs, il est vraisemblable que les dispositifs de conventions d’objectifs et de gestion et les contrats pluriannuels de gestion soient reconduits, mais là encore le curseur peut se situer dans une relation descendante du national vers le local ou dans une élaboration à la fois remontante et descendante.
21Autre point fort des évolutions plusieurs fois rappelé par M. Bauer, une valorisation des pratiques locales innovatrices par un pilotage national doit être mise en place. Une des pistes pourrait être, aussi, de favoriser ces pratiques en les inscrivant dans le référentiel d’évaluation des dirigeants.
22Finalement, le choix du type de réseau aura plusieurs effets sur les carrières des agents de direction?: diminution du nombre de postes, augmentation de la taille des organismes, requalification du statut actuel sous- directeur/directeur-adjoint – directeur avec l’arrivée d’experts ayant des missions stratégiques, mais aussi un management à distance dans un organisme multisite. Dans tous les cas, les managers devront de plus en plus avoir une double responsabilité?: une responsabilité verticale, à travers notamment leur contrat pluriannuel de gestion, et une responsabilité horizontale sur leur territoire en tenant compte de spécificités territoriales dans la mise en œuvre de la politique nationale et en contribuant à l’action collective en faveur des territoires les plus défavorisés.