CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Comment diriger les entreprises ? Comment administrer des services publics ? Dès la fin du XVIIIe siècle, la question s’est posée aux premiers dirigeants d’entreprises. Dès l’origine, nous dit Bernard Girard, « le management n’est pas un art d’invention, mais d’exécution » (Girard, p. 3) car il s’agit de reprendre les méthodes ayant fait leurs preuves, nées grâce à l’observation à et l’interrogation des entrepreneurs expérimentés. Les méthodes elles-mêmes ont fait l’objet de véritables théories, lesquelles, tout en ayant pour objectif d’améliorer la productivité et l’efficacité, ont peu à peu intégré les conditions de travail et la prise en compte de la satisfaction des salariés en s’adaptant aux évolutions économiques, sociales et culturelles : « Le management a sans doute été d’abord une réponse à des contraintes de production, pour s’intéresser ensuite à l’impact du marché et à l’essor des facteurs concurrentiels, jusqu’à la dérégulation progressive des échanges économiques et au passage progressif du pilotage par l’offre au pilotage par la demande » (Lefèvre, 2002, p. 29).

Révolution industrielle et théories classiques

Frederick Taylor et l’organisation scientifique du travail

2Aujourd’hui volontiers critiqué pour l’assimilation auquel il aurait conduit, dans la mise en œuvre par Henri Ford aux États-Unis, du travail humain à celui d’une machine, le taylorisme a pourtant été synonyme au début du XXe siècle de modernisation et d’industrialisation. F. Taylor est parti de l’observation du travail des ouvriers, dont il a décomposé les mouvements en une série de gestes chronométrés. On lui doit la notion de rendement de la production à partir de la mesure objective et instrumentée du temps du travail ouvrier. Sa théorie correspond à une division verticale du travail par la stricte séparation instaurée entre la conception des tâches par les ingénieurs et leur exécution par les ouvriers.

Max Weber et la rationalisation bureaucratique

3La bureaucratie correspond à un modèle rationnel d’organisation reposant sur une domination légale selon les idéaux types proposés par le sociologue. Les procédures de fonctionnement sont explicites et sont fondées sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination. Le fonctionnement bureaucratique selon M. Weber repose sur plusieurs principes, dont : la répartition hiérarchique des emplois clairement définie, tout comme la sphère de compétences pour chaque emploi ; le contrat entre l’individu et l’organisation bureaucratique ; la rémunération fixe ; la possibilité de faire carrière, etc.

Henri Fayol et la théorie du commandement

4Sa pensée fait encore autorité par sa modernité. Il a élaboré une théorie de la direction des affaires, perçue comme fondatrice du management, dans son ouvrage Administration industrielle et générale (1916), qui a surtout connu un succès aux États-Unis avant d’être réintroduit en France après la Seconde Guerre mondiale. Parmi les 6 catégories de fonctions qu’il identifie dans l’entreprise, il s’intéresse plus particulièrement à la fonction administrative qui recouvre les tâches de direction. Administrer, c’est :

  • prévoir : anticiper et planifier ;
  • organiser le corps social (terme pour désigner les ressources humaines) ;
  • commander : indiquer les tâches et instructions aux membres du corps social ;
  • coordonner tous les actes de l’entreprise ;
  • contrôler : vérifier que tout se passe conformément au programme, signaler les fautes pour les réparer.
Quant au commandement, il est d’abord affaire d’organisation. La fonction de commandement est subdivisée en huit devoirs :
  • avoir une connaissance approfondie du personnel ;
  • se séparer des incompétents ;
  • bien connaître les conventions qui lient l’entreprise et ses agents ;
  • donner le bon exemple ;
  • faire des inspections périodiques du corps social (terme utilisé pour désigner l’ensemble du personnel) ;
  • réunir ses principaux collaborateurs pour assurer l’unité de direction ;
  • ne pas se laisser absorber par les détails ;
  • viser à faire régner, dans le personnel, l’activité, l’initiative et le dévouement.

Développement des ressources humaines et apport des théories psychosociologiques

5Le développement de la psychologie et des théories du développement personnel ont déplacé le regard des objectifs de production au  bien-être » des salariés pour tenter de répondre et d’éviter les conflits sociaux dans les entreprises. Elton Mayo (The Human Problems of an Industrialised Civilisation, 1933), le père de la sociologie du travail, a souligné l’importance du climat psychologique sur le comportement et la performance des travailleurs. Ces derniers deviennent alors le cœur du système de performance des organisations.

6Dans les années 1950, Abraham Maslow propose une explication de la motivation par la théorie des besoins (schématisés dans une pyramide). Il existe des besoins primaires (physiologiques, psychologiques et de sécurité) et des besoins sociaux (estime de soi, reconnaissance et appartenance). Comment le gestionnaire peut-il prendre en compte de telles réalités psychologiques et humaines pour gérer la motivation et les performances?? Il souligne l’impossibilité de motiver les salariés et d’encourager l’estime de soi si les besoins primaires ne sont pas assurés, et notamment la sécurité de l’emploi ou des salaires faibles couvrant peu ou pas assez les besoins physiologiques. C’est pourquoi il prône un management participatif pour permettre aux salariés de s’accomplir.

7Ce management participatif a trouvé écho dans les travaux de Frederick Herzberg (The Motivation to Work, 1959) sur l’enrichissement des tâches au travail. Il a identifié deux types de facteurs de satisfaction et d’insatisfaction au travail?:

  • les facteurs d’ambiance et d’hygiène qui sont des prérequis environnementaux?;
  • les facteurs intrinsèques au travail, dont des facteurs de motivation?: besoin de s’accomplir et d’effectuer un travail intéressant, besoin de responsabilité et d’initiative, de progression et de promotion.
Il propose de supprimer certains contrôles sur les salariés, d’introduire des tâches plus complexes, de réduire les strates hiérarchiques et de donner de la responsabilité et des initiatives aux niveaux inférieurs. Il est l’inventeur de «?l’enrichissement des tâches?». Ces théories des ressources humaines ont pu aboutir à ce qui a été appelé « le management participatif?» – lequel a inspiré les démarches de projet – et qui peut se décomposer à plusieurs niveaux?: direction participative par objectifs?; cercles de pilotage et de qualité?; entreprise apprenante et formatrice (Lefèvre, 2002). Le management participatif s’appuie sur cinq grands principes?: la mobilisation du personnel?; une politique active de développement du personnel?; la délégation du pouvoir?; tout problème doit être résolu au niveau auquel il se pose?; des dispositifs de régulation doivent être mis en place (droit à l’erreur, autocontrôle…).

Le New Public Management

8C’est un concept de gestion né dans les années 1970 qui vise à moderniser les administrations publiques, en s’inspirant des pratiques de gestion du privé pour améliorer la performance, et avec pour objectif d’améliorer le rapport coût/service. Il remet en cause l’organisation bureaucratique traditionnelle. Il se caractérise, selon Matthias Finger (professeur de management des industries de réseau à l’École polytechnique fédérale de Lausanne), par cinq transformations de processus pour l’administration :

  • distanciation de la politique traditionnelle?(notamment centralisation) ;
  • le citoyen/usager devient un client?;
  • transformation organisationnelle de l’administration rendue plus dynamique (incitation au travail et responsabilisation)?;
  • décentralisation?;
  • recherche de résultats.
À partir du milieu des années 1980, le thème de la modernisation et de la réforme de l’État s’impose en France. La politique dite de «?renouveau du service public?» a été lancée par une circulaire de Michel Rocard le 23 février 1989. Est depuis intégrée l’idée de performance et d’optimisation organisationnelle. L’État est amené à adopter des modes de fonctionnement comparables aux autres organisations. Hervé Chomienne distingue deux périodes?: une première période (mi-1980?-?2000) de «?foisonnement managérial?» avec quelques réformes sectorielles de fond et de nombreuses initiatives plus ou moins cohérentes et coordonnées visant à faire évoluer les outils et pratiques de management?; une seconde, depuis le début des années 2000, marquée par des réformes plus structurantes touchant les mécanismes budgétaires, les structures et missions des organisations et la gestion des ressources humaines. Le manager public n’est plus un simple relais d’instructions supérieures mais un acteur à part entière de l’action publique. Les cadres publics doivent se préoccuper simultanément des attentes des parties prenantes (hiérarchie, tutelle politique, usagers) et de leurs agents, tout en pilotant leur activité pour atteindre les résultats de performance formellement fixés.

Crise du management??

9Les crises économiques et financières ont mis en évidence les limites du management moderne élaboré dans les années 1980. Les logiques avaient été alors imposées par les actionnaires aux entreprises afin d’améliorer leur compétitivité?: alignement des rémunérations des dirigeants sur le cours de la bourse et généralisation des rémunérations selon les performances. Comme le précise P. Lefèvre, «?le management est plus que jamais dépendant des facteurs d’environnement économiques et politiques?» (Lefèvre, p.?33). Une critique forte est portée par Henri Mitzberg aux écoles de managers qui les forment de manière globale, alors qu’ils devraient être des spécialistes de leur «?produit?». La complexité du rôle du manager est qu’il s’agit d’une activité brève, variée et fragmentée, qui passe plus par l’oral que par l’écrit et qui consiste à assurer l’interface entre l’organisation et l’extérieur. Il distingue six mécanismes de coordination?:

  • l’ajustement mutuel (la communication informelle)?;
  • la supervision directe?(coordination du travail assurée par une seule personne)?;
  • la standardisation des procédés de travail?;
  • la standardisation des résultats?;
  • la standardisation des qualifications et du savoir?;
  • la standardisation des normes.
La crise financière est ainsi, selon H. Mitzberg, avant tout une crise du management. Selon Bernard Girard (2010), cette crise actuelle se manifeste à travers deux grands symptômes : le désengagement des salariés et le développement d’une souffrance au travail. Ces symptômes sont dus à trois phénomènes?: la montée en puissance du modèle économique de l’agent rationnel dans les théories du management?; l’aporie qui consiste à demander au management de considérer les collaborateurs comme une fin mais à ne voir en eux qu’une ressource?; et, enfin, l’éloignement de l’entreprise de la société civile.

Bibliographie

  • Chomienne H., 2010, «?L’évolution du management public dans le contexte de la Modernisation de l’État?», ESEN, 19 novembre 2010. Disponible sur http://www.esen.education.fr
  • Girard B., Histoire des théories du management en France du début de la révolution industrielle au lendemain de la Première Guerre mondiale, ouvrage non publié et disponible sur http://www.bernardgirard.com ; 2010, «?La crise du management & Google?», intervention à la journée mondiale de philosophie, 18 novembre 2010. Disponible sur http://www.bernardgirard.com
  • Lefèvre P., 2002, «?Théories et stratégies du management?», Les Cahiers de l’Actif, n° 314-317, p. 27-38.
  • Qualité Online, Dossier n° 49, « Le management participatif?» disponible sur http://www.qualiteonline.com/rubriques/rub_3/dossier-49.html
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/01/2012
https://doi.org/10.3917/inso.167.0006
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