CAIRN.INFO : Matières à réflexion
De quelle manière les différentes réformes de la Sécurité sociale ont-elles conduit à des évolutions managériales?? Quelles sont les convergences et différences entre les branches?? Nous avons souhaité interroger Dominique Libault, directeur de la DSS, pour sa vision transversale des évolutions au sein des différentes branches.

1La Sécurité sociale, et notamment la branche Famille, ont beaucoup évolué ces dernières années, à la fois en termes d’organisation, de stratégie et d’outils de gestion. Quels sont les facteurs entraînant des réformes de la Sécurité sociale ?

2J’y vois la conjonction de trois grands facteurs. Le souci financier lié à la situation des comptes de la sécurité sociale est évidemment prégnant, mais est devenu un véritable enjeu, plus globalement, la maîtrise de la gestion du service public. Le deuxième facteur est l’évolution de l’offre de service afin de répondre aux nouvelles attentes de nos concitoyens. La principale interrogation?est finalement de se demander ce qu’est un service public national. Le citoyen peut avoir la perception d’une plus grande complexité pour accéder à ses droits et il faut, dès lors, trouver des voies et des moyens pour y remédier, notamment pour les plus précaires.

3Troisième raison aux réformes, l’évolution du social, des familles doit conduire les politiques publiques à être toujours en adéquation face aux nouvelles attentes. Ce sont les croisements de ces trois aspirations qui amènent, selon moi, à des évolutions. J’ajouterais bien volontiers que si les réformes sont fréquentes, le fondement des politiques familiales et sociales ne bouge pas. Derrière la mutation, il faut également voir la continuité, plus particulièrement dans la branche Famille. Ainsi, les allocations familiales ont très peu changé dans leur philosophie et dans leur répartition au fil des décennies?: par exemple, le fait que les allocations familiales soient fonction du rang de l’enfant. La continuité de la politique familiale est certainement une des raisons de la confiance des ménages dans le soutien aux familles et donc leurs comportements se traduisant par un fort taux de natalité, exception européenne.

4Quelles sont les principales évolutions dans la gestion de la Sécurité sociale au cours des dix dernières années ? Et quelles sont les différences entre les branches ?

5Les différentes branches connaissent des évolutions assez convergentes. La branche qui a été confrontée le plus tôt à une évolution forte est la branche Maladie du fait de l’émergence de ce que l’on appelle la gestion du risque. La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a vraiment demandé à cette dernière d’être un acteur majeur de la maîtrise des dépenses de santé, à côté de la relation de service et au-delà de la fonction traditionnelle de contrôle qu’exerçait la Sécurité sociale. Toutefois, la gestion du risque est aussi présente et de plus en plus dans les autres branches. On trouve une partie de sa concrétisation dans les actions de lutte contre la fraude, qui sont devenues importantes dans les différents réseaux, notamment au sein de la branche Famille.

6Une autre forte évolution de la gestion, convergente entre branches, est celle qui concerne la relation de service. Il s’agit de reconstruire de nouveaux modes de relation, en utilisant au mieux les nouvelles technologies de communication pour faciliter la vie des gens et faire en sorte qu’ils puissent être davantage acteurs de leurs propres droits. Je crois fondamentalement que l’une des façons de recréer le lien social entre l’assuré et la Sécurité sociale est que les individus soient davantage acteurs de leurs propres droits, c’est-à-dire qu’ils puissent faire des choix dans leur vie personnelle et professionnelle en toute connaissance de cause. On retrouve cette problématique dans toutes les branches?: travailler ou pas après la naissance d’un enfant, accès aux soins, choix de retraite, etc.

7Ce qui signifie pour les branches de mettre à disposition davantage d’information accessible et compréhensible??

8Ce qui veut dire effectivement l’anticipation, la mise à disposition d’outils pour être compréhensible, mais aussi travailler davantage avec les autres.

9En matière d’assurance maladie, la personne va chercher à connaître le reste à charge à travers le remboursement de la base et aussi de la complémentaire. La branche Famille a moins de soucis de cet ordre car sa construction n’est pas fondée sur le rapport base et complémentaire?; en outre, elle est un gestionnaire quasi exclusif de l’ensemble des prestations mais elle doit par exemple permettre de simuler – ce qu’elle fait depuis peu – le coût comparé pour les familles de différents modes de garde.

10Parmi les réformes, quelles sont plus précisément les conséquences de la décentralisation ?

11La force des services de prestations sociales est de pouvoir servir à faible coût des prestations monétaires, ou en nature, identiques pour l’ensemble de la population. Alors que certains parlent d’essoufflement de la protection sociale, on perçoit néanmoins une demande toujours plus forte de protection sociale au sens fort du terme, c’est-à-dire renforcer la créance de l’individu sur la collectivité pour faire face aux différents risques de l’existence. Le risque dépendance en est actuellement la meilleure illustration. Cela permet d’aborder la question des collectivités locales car il est vrai que, sur certains sujets, elles peuvent être très légitimes pour offrir une gestion de proximité. Le tout est de trouver la bonne adéquation entre le gestionnaire de la prestation et le rôle de décideur que peut avoir la collectivité locale.

12Il existe des critiques assez fortes sur la multiplicité des acteurs du social qui peut être ressentie comme un enchevêtrement des compétences…

13La question de la multiplicité des acteurs du social en France est une question récurrente, mais elle n’est pas propre à notre pays. D’autres pays par exemple font davantage appel aux collectivités locales. L’organisation du social par elle-même génère ce genre de question, surtout lorsqu’on se trouve à la frontière du sanitaire et du social avec la dépendance, ou du social et de l’économique avec le Revenu de solidarité active (RSA). Le social ne doit pas être enfermé dans une vision uniquement sociale?; il demande, d’un côté, de travailler sur l’insertion, sur la sphère économique et, de l’autre, sur le mariage du sanitaire et du social comme dans le cas des personnes âgées. La quête d’un acteur unique sur l’ensemble du champ me semble utopique.?Nous cherchons plutôt à coordonner les différents acteurs et à marier leurs compétences professionnelles.

14Quel bilan peut-on tirer aujourd’hui des effets de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ?

15En tant que tel, la RGPP n’a pas eu d’influence directe sur les branches de la Sécurité sociale car elle était engagée, bien avant les services de l’État, dans une démarche de modernisation, de rationalisation et de performance qui s’incarne dans les conventions d’objectifs et de gestion (Cog) qui sont nées en 1996. La RGPP n’a fait que renforcer la légitimité de cette démarche Cog. Le seul effet a été d’essayer de repérer d’éventuelles divergences entre certains des objectifs Cog et des objectifs que pouvait poursuivre la RGPP?: à travers l’évolution des personnels et des dépenses de fonctionnement notamment. À la différence de la RGPP, il existe dans les Cog un grand souci d’adaptation de l’effort en fonction de la situation de chacun. En effet, dans la démarche Cog, on a toujours veillé à bien objectiver à la fois la situation de départ de la branche, à savoir les capacités réelles de gain de productivité, et l’évolution des charges de travail pour trouver la meilleure adéquation possible entre ces différents aspects. Je rappelle aussi que les Cog sont déployées sous la forme de contrats pluriannuels de gestion (CPG). Chaque caisse nationale fait la même analyse pour ses membres du réseau et répartit l’effort en fonction de la situation de départ des caisses. Il me semble que c’est un élément essentiel de l’acceptation de l’effort et de sa réalisation. C’est pourquoi la contractualisation est importante dans l’exercice Cog?: les objectifs sont construits sur le mode du partenariat.

16Pouvez-vous préciser les principaux atouts des Cog ?

17J’en donnerais quatre. Le premier est de donner de la visibilité. Les changements peuvent générer du stress et des tensions. Aussi, je crois qu’il est essentiel que le pilotage offre de la visibilité à l’ensemble des agents. Deuxièmement, il s’agit d’un exercice contractuel entre la branche et l’État, construit ensemble. Ce n’est donc pas quelque chose qui vient d’en haut. Cela me semble essentiel pour que l’ensemble des agents puisse s’approprier ces objectifs. Troisièmement, les objectifs ne sont pas construits ex nihilo mais à partir d’un dialogue sur la situation de départ?: Où va-t-on?? Quels sont les moyens?? Quels sont les outils dont on dispose?? La démarche est globale et cohérente. Et, enfin, c’est une démarche qui permet de construire du sens. La performance n’a de sens que si elle permet d’améliorer le service rendu à l’ensemble des usagers. Les valeurs communes autour du sens du service public permettent que les efforts soient acceptables.

18Quels types d’évolution percevez-vous entre les Cog successives?? Et existe-t-il des différences marquantes entre branches sur les Cog??

19Les évolutions à travers les générations Cog sont dues aux choses qui ont été réalisées, et sur lesquelles il n’est plus besoin d’insister, ou aux nouveaux défis qui se font jour. Par exemple, la nouveauté actuellement est l’opportunité offerte par les départs en retraite qui sont beaucoup plus massifs qu’auparavant. Pour autant, on retrouve toujours trois grands aspects?: l’aspect service (amélioration de l’homogénéité du service sur le territoire), l’aspect gestion du risque, puis un aspect recherche de productivité.

20Quant aux différences entre branches, elles sont soit fonction de l’actualité d’une branche?– je pense au RSA pour la branche Famille –, soit fonction des projets de telle ou telle branche, par exemple la régionalisation des Urssaf. Pour autant, il y a une très forte convergence des objectifs et de l’effort qui est demandé aux uns et aux autres pour participer à la?performance du service public.

21Le processus de départementalisation des Caf est en marche et, dans le même temps, vous avez demandé à Annick Morel de conduire une réflexion sur la «?dynamisation des carrières des agents de direction ». Comment imaginez-vous le directeur de demain ?

22La réflexion menée par Annick Morel vise surtout à favoriser davantage, à autoriser des parcours de carrière plus diversifiés entre les branches. Du fait de la départementalisation, mais aussi du fait de l’allongement de la vie professionnelle, il paraît souhaitable d’offrir des opportunités plus larges aux agents de direction. Il est dommage que les passages d’une branche à l’autre soient encore un peu trop exceptionnels alors que les métiers, les évolutions et les défis sont très souvent partagés. Comment arriver à dynamiser ces parcours ? Là est l’objectif de la réflexion menée.

23Quels sont, d’après vous, les défis auxquels va être confronté le service public de la Sécurité sociale ?

24L’un des grands défis est de renouveler l’offre de service pour faire à la fois du traitement de masse et de l’accueil personnalisé. Si les technologies permettent de faire ce traitement de masse et de gagner ainsi des gains de productivité, il existe néanmoins un réel besoin de trouver des réponses personnalisées à des attentes diversifiées. Il faut être capable de prendre en compte la variété même du public et de proposer de l’accompagnement, que ce soit pour des personnes très insérées et d’autres, au contraire, très désocialisées.

25C’est un grand défi, notamment pour la branche Famille qui a ce public désocialisé, précaire. Un autre grand défi est de concilier la réponse aux attentes en termes de productivité en faisant face à la mission sociale des caisses. La mutualisation, l’amélioration du back office pour être très présent sur l’offre de service sont une vraie difficulté. L’objectif est d’aider les gens à faire leur choix en allant au-delà des prestations monétaires. Je pense au site Internet Mon enfant.fr qui est une bonne illustration de ce que doit être le service demain, à savoir guider sur l’aide financière, mais aussi être un lieu de rencontre de l’offre et de la demande. Il ne sert à rien de donner l’offre financière si l’on n’est pas capable de fournir parallèlement l’offre de santé, de garde d’enfants, etc. Le sujet est bien l’accès de tous à des services qui permettent à chacun de mieux vivre sa vie, dans une relation harmonieuse avec l’ensemble de la collectivité nationale.

Entretien avec 
Dominique Libault
Directeur de la Sécurité sociale au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé
Entretien réalisé par 
Sandrine Dauphin
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/01/2012
https://doi.org/10.3917/inso.167.0052
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