CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les organisations sociales connaissent de profondes mutations, elles doivent devenir efficaces, efficientes et économes, les parties prenantes demandant un suivi précis de l’utilisation de leurs fonds et de leur impact sur les bénéficiaires. Elles doivent se doter d’outils de gestion performants et former leurs managers et cadres dirigeants à leur utilisation.

2Il suffit de regarder les catalogues de formation des universités pour se rendre compte de la prolifération des licences et des masters dans le secteur du management du social. Né il y a plus de trente ans, après les critiques sur le fonctionnement bureaucratique et l’endettement public, le nouveau management public est devenu petit à petit une réalité au sein des organismes du secteur social. Pour en assurer le pilotage, de nouveaux métiers de l’intervention sociale apparaissent, nécessitant des compétences spécifiques en matière d’ingénierie, d’expertise, de conseil, d’étude et de gestion de projet.

3Ce numéro d’Informations sociales se propose d’explorer les voies de ce nouveau management et pose la question de son statut. Quelle est l’ampleur de l’évolution pour les organisations ? Quel en est l’impact sur les agents et les métiers de ce secteur??

4La première partie du numéro vise à présenter le contexte dans lequel les évolutions se font. Elle est ainsi consacrée à la modernisation et à la nouvelle gouvernance sociale de l’État et des services publics en France. Sont retracées les différentes étapes depuis la remise en cause de l’État-providence, jugé inefficace et dispendieux, remplacé par le workfare et ses contreparties jusqu’à la décentralisation et la déconcentration. Dans le même temps, nous reviendrons sur les grandes phases de la modernisation des services publics depuis les années 1970, où les administrations pratiquaient la rationalisation des choix budgétaires (RCB), jusqu’à la mise en place de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) qui impose de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats. Des parallèles sont dressés avec l’assurance maladie, qui a également subi de profondes transformations. Les partenaires sociaux sont de moins en moins des acteurs majeurs – à l’exception du patronat qui peut influer sur les réformes –, et sont remplacés par l’État et des acteurs professionnels.

5La deuxième partie du numéro décrit le management du social tel qu’il est vécu au quotidien par les différentes institutions concernées. Le credo de la performance et sa panoplie d’indicateurs à partir desquels les professionnels et les services publics sont évalués pose de nombreuses questions, notamment celle de la conciliation entre performance et justice sociale. Toujours avec l’objectif d’une meilleure efficacité, la nouvelle gestion publique a également engendré de nouveaux outils. Nous nous arrêterons sur l’un d’entre eux, le management de projet et sa figure emblématique, le chef de projet, qui doit tout à la fois piloter, organiser, planifier en recrutant des collaborateurs compétents, mais aussi mobiliser des réseaux extérieurs, faire preuve de créativité, de rigueur et être capable de gérer les conflits. Ces nouvelles méthodes doivent également s’appuyer sur un renouvellement de la gestion des ressources humaines inspirée du secteur privé. L’introduction de la logique de la rémunération au mérite est la déclinaison logique du management par objectifs. Elle entraîne de nouvelles responsabilités pour les managers?: fixations d’objectifs à leurs équipes, conduite des entretiens annuels d’évaluation, propositions d’évolutions salariales, nouvelles responsabilités avec des marges de manœuvre et d’autonomie relativement faibles.

6La troisième et dernière partie de la revue est d’ailleurs consacrée aux conséquences du nouveau management public sur les métiers et les professionnels. Les métiers du champ social sont entrés dans un processus de changement, les professionnels ont moins d’autonomie et leur activité s’inscrit désormais dans un environnement de règles, de procédures, de guides de bonnes pratiques et de référentiels. On assiste à la fois à une mise en concurrence entre organisations du fait des procédures d’appels d’offres et à une normalisation des pratiques. Les managers de proximité, courroie de transmission intermédiaire, se retrouvent dans des injonctions contradictoires entre violence symbolique et soutien social et doivent retrouver une identité professionnelle. Les nouvelles pratiques de gestion et de management issues du privé viennent brouiller les repères, les valeurs et le sens de l’action des travailleurs sociaux. Certains sont confrontés à une souffrance éthique quand d’autres essaient de réinventer leur rôle dans les dernières zones d’incertitude non couvertes par le tout rationnel, le tout évaluable. Enfin, l’introduction du gouvernement par le chiffre modifie les pratiques des professionnels, suscitent des comparaisons et des classements entre collègues. La mesure quantitative utilisée comme critère d’évaluation du travail laisse dans l’ombre un certain nombre de tâches difficiles à traduire en chiffres.

Vérité Catherine
Cnaf
Chargée de recherches au Département de l’animation de la recherche et des chargés d’études de la Caisse nationale des Allocations familiales. Ses missions et domaines d’expertise portent principalement sur la relation de service, l’évaluation des politiques d’action sociale, les politiques de la petite enfance. Dans le cadre de la politique de soutien aux jeunes chercheurs de la Cnaf, elle est également responsable de l’opération annuelle Prix et bourses doctorales.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/01/2012
https://doi.org/10.3917/inso.167.0004
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