1Les professionnels du social n’ont pas tous les mêmes représentations des personnes en difficulté. Analysant la variété de ces positionnements, les sociologues Roger Bertaux et Philippe Hirlet dégagent trois logiques principales d’action susceptibles d’animer les acteurs de ce champ [*] Qualifiée d’« habitus de proximité », la première tend à dédouaner les usagers d’une responsabilité personnelle quant à l’origine de leurs problèmes : ces derniers sont imputables à un enchevêtrement de causes, essentiellement économiques et sociales. Un deuxième type de rapport à l’usager, beaucoup plus distancié, est fondé sur une vision individualisante des difficultés de l’intéressé : celui-ci est tenu en grande partie responsable de sa situation – comme de ce qu’il faut faire pour la transformer. Enfin, la troisième logique, dite « d’implication contractuelle », constitue une forme de compromis entre les deux postures précédentes, expliquent les sociologues. Ceux qui la mettent en œuvre acceptent bien « l’idée d’une responsabilité majeure de la société dans la production de l’exclusion (...), mais aussi l’idée inverse de la responsabilité individuelle, ou du “coefficient personnel“, en particulier lorsque les bénéficiaires ne se sortent pas de leurs difficultés en dépit des aides qu’ils reçoivent ». Au-delà de cette diversité de sensibilités, R. Bertaux et P. Hirlet constatent qu’une logique majoritaire prime chez les travailleurs sociaux comme chez les responsables en charge du management des organisations sociales et médico-sociales. Mais ce n’est pas la même. Chez les professionnels de terrain, le style d’intervention le plus répandu est celui de l’implication contractuelle, alors que l’attitude dominante des décideurs est celle de la distance. Autrement dit, « en dépit du pouvoir légal et de la légitimité dont disposent ces instances dirigeantes, elles ne sont pas en pleine capacité d’imposer leurs conceptions de l’intervention sociale », commentent les auteurs. Bien sûr, selon le cadre institutionnel dans lequel s’inscrit leur action, les travailleurs sociaux n’ont pas tous la même marge de manœuvre. Cependant, même dans les situations de dispositifs « verrouillés par le pouvoir politique ou institutionnel, on trouve des formes importantes de résistance, de contournement des obstacles, de réinterprétation des consignes », témoignant que les travailleurs sociaux disposent d’un certain degré de liberté. Dans leurs entretiens avec les chercheurs comme dans des textes syndicaux, les intéressés affirment cependant être en permanence instrumentalisés par les élus et leurs dirigeants. Or, même si l’on assiste à un renforcement du pouvoir de ces derniers, Roger Bertaux et Philippe Hirlet estiment que les dénégations d’autonomie des travailleurs sociaux révèlent « en réalité une affirmation résolue de celle-ci face à la volonté des dirigeants de définir à leur place ce qu’il faut faire et ne pas faire à l’égard des personnes en difficulté ».
Notes
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[*]
Entre nécessité et vertu. Les acteurs du champ social dans la complexité de leurs pratiques et face aux mutations de l’environnement, Presses universitaires de Nancy, 2009.