CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le nouveau modèle libéral de gouvernance transforme les institutions du champ social et médico-social en organisations. L’exigence de résultats, la mise en concurrence, l’individualisation déconstruisent les rapports entre les salariés et érodent leur autonomie de pensée et d’action dans l’exercice de leurs métiers au service des personnes en difficulté. Des résistances sont à l’œuvre – pour combien de temps encore ?

2Les métiers du champ social se trouvent aujourd’hui dans un processus de changement rapide, rompant probablement de façon définitive avec les configurations antérieures. Une des causes se situe dans la transformation profonde des manières de gouverner?–?ce que nous appellerons «?la gouvernance?»?– et dans la transformation des institutions sociales et médico-sociales en «?organisations?». Vingt ans d’études de terrain sur l’action sociale, les travailleurs sociaux et les cadres du champ social [1] font apparaître des constantes qui s’accentuent d’année en année et montrent que l’exercice des métiers du champ social est bouleversé, d’autant plus fortement qu’un fossé d’incompréhension mutuelle se creuse entre les promoteurs de la nouvelle gouvernance et les intervenants sociaux.

Une transformation profonde de l’action sociale

3La construction politique et philosophique de l’action sociale dans les années d’après-guerre s’est réalisée avec le soutien de la puissance publique (État centralisateur, protection sociale et salariat). Elle s’est traduite par l’institutionnalisation progressive des structures et la professionnalisation des travailleurs sociaux, dans un contexte où ceux-ci jouissaient d’une grande autonomie de pensée et d’action, entraînant des transformations fondamentales dans ces domaines.

L’instauration d’un régime de gouvernance

4On qualifiera la gouvernance du champ (Hirlet, 2010) par la capacité d’agences à définir et à imposer la façon dont l’action sociale doit se structurer. Règles, procédures, guides de bonnes pratiques et référentiels sont créés désormais à destination des travailleurs sociaux mais sont souvent pensés sans eux, ce qui renforce inévitablement l’hétéronomie du travail. Cette gouvernance organise les modes de penser?: d’une part, elle renforce la logique de chalandisation (Chauvière, 2007) en accroissant la concurrence entre les associations et, d’autre part, elle permet un retour en force de thèses issues du taylorisme, favorisant ainsi la rationalisation des métiers du social (Sanchez-Mazas et Tschopp, 2010). Sous couvert de démarches qualité, d’évaluation, d’efficience des institutions sociales, une forme de néotaylorisme est en train de porter atteinte à l’autonomie professionnelle des acteurs de terrain. La particularité de cette gouvernance est qu’elle affecte la capacité des acteurs de l’action sociale à pouvoir résister (ce qui ne veut pas dire que la résistance des travailleurs sociaux n’existe plus)?; et surtout elle s’attaque aux catégories socioprofessionnelles les plus protégées, c’est-à-dire aux professions qui jusque-là étaient relativement épargnées parce qu’elles bénéficiaient de compétences fortes issues de la formation et étaient donc en possession d’une certification solide?: aujourd’hui, les postes d’éducateurs spécialisés sont de plus en plus souvent remplacés par des postes de personnes moins ou pas du tout qualifiées (aides médico-psychologiques, niveau V), alors même que beaucoup d’éducateurs spécialisés diplômés ne trouvent pas d’emploi. Le régime actuel de gouvernance s’appuie sur des outils et des indicateurs. Il devient de plus en plus difficile de faire survivre les collectifs de travail, précisément parce que le néomanagement pèse sur le travail lui-même et, surtout, parce qu’une partie des activités et du temps passe dans la réalisation de tâches qui sont imposées par des technostructures externes. Par cette pression constante exercée par les organisations et les gestionnaires sur les professionnels, la rationalisation des métiers s’organise, elle pénètre en douceur et indirectement. L’activité des travailleurs sociaux, classée dans les métiers de service ou d’aide à la personne, se voit aujour-d’hui mesurée dans des indicateurs de gestion, des tableaux de bord et des statistiques qui doivent permettre de prouver aux commanditaires le bien-fondé des mesures sociales proposées aux usagers.

Passage de l’institution sociale et médico-sociale à l’organisation

5Parallèlement, on est passé, de façon tout aussi progressive et insidieuse, de l’institution sociale et médico-sociale à l’organisation. L’institution sociale peut se définir par plusieurs caractéristiques?: importance des références déontologiques sur le plan des valeurs (humanistes et altruistes), autonomie des professionnels dans la conception et l’exécution de leur travail, insertion des personnels dans des rapports salariaux fordiens. Inversement, l’organisation peut se définir par la recherche de la rationalité et de l’efficacité, la subordination des professionnels aux orientations des dirigeants des organisations et la déconstruction des anciens rapports salariaux. Dans le cadre de l’ancienne institution sociale, ce sont en effet les professionnels formés, revendiquant la légitimité de leur charisme et de leur expertise, qui concevaient et mettaient en œuvre les dispositifs au sein desquels ils intervenaient, dans des logiques certes diversifiées mais fondées sur une conception commune de ce que François Dubet (2000) appelle le «?programme institutionnel?». Par ailleurs, sur le plan des rapports salariaux, l’action sociale s’est mise en place après la Seconde Guerre mondiale, en lien avec la construction sociale de l’emploi à la française et le développement des protections salariales ou sociales. Le travail social s’est ainsi structuré dans des institutions sociales publiques ou privées à but non lucratif, financées par des fonds publics. Le système d’emploi du secteur social s’est construit (en même temps que le salariat) sur la qualification des personnels, la classification professionnelle, des conventions collectives, une reconnaissance salariale, un poste de travail lié à la qualification de l’individu, la norme du temps plein et des possibilités de promotion sociale et de formation continue.

6Mais, depuis la fin des années 1990, les institutions d’action sociale sont transformées par les politiques néolibérales, lesquelles ne valorisent pas la formation, le diplôme ou la qualification, mais introduisent la référence à la compétence, l’individualisation et la méritocratie. L’utilité sociale du travail social est mise en doute en permanence et le champ de l’action est élargi à des professionnels formés en dehors des instituts de formation au travail social, souvent appelés intervenants sociaux. Le pouvoir politique essaie par ce biais de contourner la citadelle du travail social, perçue comme résistante aux changements, en l’ouvrant soit à d’autres types de professionnels (les «?nouveaux métiers du social?»), soit aux entreprises privées du secteur marchand. Un processus de déprofessionnalisation est en cours, au sens où les organisations gestionnaires, et en amont les technostructures, définissent et imposent aux professionnels leurs propres conceptions, procédures et pratiques dans l’ensemble des domaines de vie de l’organisation (budget, management, rapport aux usagers…). Un exemple des plus significatifs en est donné, dans le secteur du handicap, par l’Offre de services unifiée, imposée au Cap Emploi par l’Agefiph [2] à la suite de la pression exercée par des audits répétés, assortis de menaces de déconventionnement.

7L’organisation d’actions sociales repose désormais sur des logiques plus individuelles?: la compétence, l’évaluation, la performance, le management par la qualité et le projet. Les valeurs antérieures fondées sur l’égalité des chances, la solidarité, le don, voire la charité, s’affaiblissent?; ce qui domine désormais, c’est la gestion, la performance, la commande publique, l’individualité, le fait qu’on ne demande plus aux professionnels de s’approprier le travail puisqu’il est pensé par d’autres et en dehors d’eux. Le mode de management des organisations sociales impose aux salariés d’être réactifs, performants. Les institutions sociales tendent à devenir de simples prestataires de service, et les travailleurs sociaux de simples exécutants.

8La recherche de productivité et d’efficience devient un leitmotiv dans le secteur social, comme on le voit par exemple dans la fixation des montants de subvention en fonction des résultats chiffrés obtenus dans le secteur de l’insertion professionnelle. Le patronat le plus classique, celui du secteur privé marchand, s’introduit de plus en plus dans le champ social (aide à domicile, personnes âgées, insertion professionnelle…), soucieux d’en tirer le plus grand profit grâce à la captation des financements des collectivités territoriales, des organismes de sécurité sociale et de l’État. La généralisation des appels d’offres et de la mise en concurrence, issue en droite ligne des directives européennes sur les services, favorise ce mouvement qui tend à faire entrer dans le jeu marchand un pan entier de l’activité qui jusqu’ici lui échappait (Chauvière, 2007).

Les logiques d’action des intervenants sociaux

9Nous souhaitons examiner maintenant les principales modalités d’action des intervenants sociaux auprès des personnes en difficulté et leurs façons d’en rendre compte, ce que nous appellerons leurs «?logiques d’action?» (Dubet, 1994), à la suite de quoi nous pourrons confronter ces logiques d’action aux injonctions de la nouvelle gouvernance.

10Ces logiques d’action peuvent être comprises, pour l’essentiel, comme un compromis entre les deux modèles d’action sociale antérieurs aux trois dernières décennies, encore bien représentés aujourd’hui?: le modèle libéral en usage particulièrement au XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe, et le modèle d’État social en vigueur dans les trente années d’après-guerre. Le modèle libéral peut se résumer en deux éléments principaux. Premièrement, la personne en difficulté est considérée comme personnellement responsable de celles-ci?: ses comportements sont dits «?inadaptés?» sur les différents plans de la compétence professionnelle et de l’emploi, de l’éducation des enfants et des principes de socialisation?; plus profondément, les caractéristiques de personnalité sont décrites de façon négative, comme des manques, des défauts, voire des pathologies. Deuxièmement, puisque les comportements sont «?inadaptés?» et les caractéristiques de personnalité «?négatives?», la véritable aide ne peut consister qu’en la transformation des comportements et de la personnalité. La logique d’action qui en découle peut être nommée logique de distance, en ce qu’elle marque le fossé qui sépare l’intervenant social et la personne dont il s’agit de transformer en profondeur les manières de penser et de se conduire. Les principaux outils associés à cette logique d’action sont l’enquête sociale (pour établir le bon diagnostic des difficultés) et le conseil ferme de changer ses comportements.

11Le modèle d’État social, quant à lui, peut se résumer dans les éléments inverses. Premièrement, la personne n’est pas vue comme responsable de ses difficultés, lesquelles sont expliquées par les dysfonctionnements économiques et sociaux?: les richesses sont inégalement réparties, l’emploi n’est pas accessible à tous les citoyens avec la même facilité, l’école conduit à l’échec scolaire pour les catégories défavorisées, l’habitat social produit l’exclusion et la délinquance, etc. Deuxièmement, il s’ensuit logiquement que l’aide aux personnes devrait d’abord consister à corriger ces dysfonctionnements économiques et sociaux («?changer la vie?»), mais ceci est plus l’affaire des élus politiques et de citoyens engagés que des intervenants sociaux?; dès lors, lorsqu’on est intervenant social, l’aide à apporter consiste d’abord à transformer les conditions de vie des personnes (et non pas les personnalités) dans les domaines divers du niveau de revenu, de l’accès à l’emploi, au logement, à la santé, etc. grâce à l’usage des ressources attribuées par la législation sociale?; cette aide consiste également à déculpabiliser les personnes de la responsabilité des difficultés qu’elles rencontrent et à les valoriser dans les qualités dont elles sont porteuses. La logique d’action qui en découle peut être nommée logique de proximité, en ce qu’elle se caractérise par une forme d’attention extrême accordée par l’intervenant social aux plus pauvres, aux plus faibles?: il se sent proche de leur souffrance et de leur misère.

12Le modèle contemporain, que nous nommons «?implication contractuelle?», est une sorte de compromis entre les deux modèles précédents, ou encore une mise en tension de ces derniers, compromis ou mise en tension qui s’expliquent par le climat d’incertitude lié à la critique des modèles antérieurs et à l’épuisement des «?grands récits?». Dans ce modèle, l’attribution des difficultés des personnes est double?: la société génère certes l’essentiel des exclusions, mais la personne porte une part de responsabilité, surtout si elle ne fait «?aucun effort pour s’en sortir?» au moment même où la société lui apporte son aide. Dès lors, le principe d’intervention est lui aussi double?: il s’agit de mobiliser les ressources de la société pour aider les personnes, mais également celles de la personne dans un effort d’insertion. D’où le terme d’«?implication contractuelle?» pour décrire cette double logique?: contrat mutuel entre la personne et la société, chacun des contractants s’engageant dans une démarche de réciprocité?: aide de la société, effort d’implication de la personne.

13Ces trois logiques d’action sont inégalement représentées chez les acteurs sociaux, aussi bien chez les travailleurs sociaux de terrain que chez les dirigeants d’organisations sociales, les élus politiques et les hauts fonctionnaires de l’administration sociale. La difficulté actuelle de l’exercice des métiers sociaux tient au décalage de plus en plus grand entre ces logiques d’action, selon qu’elles sont portées par les intervenants de terrain ou par les décideurs. Certes, en soi, les oppositions les plus franches sont à situer entre la logique de distance et la logique de proximité?; mais la diffusion limitée de cette dernière, forte il y a trente ans et très affaiblie aujourd’hui, fait que cette situation est peu courante. Les oppositions les plus importantes, car les plus fréquentes,?se jouent aujourd’hui entre la logique de distance et celle de l’implication contractuelle?; la première se rencontre surtout chez les élus politiques et les dirigeants des grandes associations acquis au paradigme libéral?(pas tous, on s’abstiendra de généraliser)?; la seconde, chez la majorité des intervenants sociaux de terrain. Ce cas de figure rend l’exercice de l’intervention sociale fort difficile au quotidien, dans un contexte où la nature et la répartition du pouvoir se sont profondément transformées depuis trente ans.

Incidences de la gouvernance sur l’exercice des métiers sociaux

Au niveau macro

14Aujourd’hui, dans un contexte où les institutions se sont restructurées en des organisations complexes, les administrateurs ont élargi leur champ d’intervention?: ce sont eux le plus souvent, aidés par les directions, qui définissent de manière précise non seulement la façon de décliner la mission qui leur est déléguée par les autorités légales, mais aussi la façon de la remplir, les dispositifs et procédures à mettre en œuvre et à respecter, la répartition des rôles entre les différents types d’intervenants sociaux et les formes que doit prendre l’évaluation?; ils déterminent aussi, et surtout, les résultats à atteindre, présentés le plus souvent en termes quantitatifs.

15Le rôle nouveau des élus politiques locaux complexifie ce raisonnement. Les conseillers généraux, en particulier, décident des orientations globales de l’action sociale départementale?; ils habilitent, subventionnent, contrôlent et recourent de plus en plus souvent aux appels d’offres?; dès lors, plus proches du terrain que les ministres parisiens d’avant la décentralisation, ils sont soucieux que les deniers publics dont ils sont comptables devant leurs électeurs soient utilisés le plus efficacement possible. L’exigence de résultats est ainsi présente dans de nombreux domaines, en particulier dans celui de l’insertion professionnelle (lutte contre le chômage) et celui de la sécurité des espaces urbains (lutte contre la délinquance).

16Pour les intervenants sociaux, ces évolutions se caractérisent au quotidien par une modification des conditions d’exercice de leur métier. Sur le plan des orientations globales, les décideurs imposent de plus en plus fréquemment un contrôle étroit des conditions de soutien des personnes en difficulté (attribution d’aides financières, recherche d’emploi…), assorties d’une obligation de contrepartie, dans une logique de stigmatisation des usagers et de dénonciation des effets pervers de l’assistance. Certes, cette volonté peut se voir contrée par la résistance des travailleurs sociaux, mais celle-ci ne peut réellement s’exercer que dans le face-à-face de la rencontre?; dès qu’il faut passer par les procédures en vigueur, leur marge de liberté se réduit très sensiblement.

17Surtout, et c’est un pilier sans doute majeur de la gouvernance, se généralisent les procédures d’appel d’offres, incitant chaque organisation à entrer en compétition avec les autres et incitant, plus encore, chaque salarié à jouer ce jeu de la concurrence sous peine de voir son organisation affaiblie et, à terme, être condamnée à la fermeture. L’introduction de ce véritable cheval de Troie dans les anciennes institutions sociales et médico-sociales et dans les anciennes logiques professionnelles n’a pas seulement pour effet de normaliser les pratiques. Elle va désormais jusqu’au formatage des esprits, acculés à penser dans les termes du paradigme libéral (individualisation, compétition, performance…).

Au niveau micro

18Dans ce contexte, où les dirigeants tendent souvent à mettre en œuvre les caractéristiques de la gouvernance, telles que nous venons de les présenter, et à instaurer, à l’égard des usagers, une logique de distance [3], les marges de liberté de penser et d’agir des intervenants sociaux persistent néanmoins. Mais aujourd’hui, de plus en plus, elles se situent au seul niveau du face-à-face entre l’usager et l’intervenant. Dans ce face-à-face, celui-ci dispose encore d’une grande liberté dans la manière de conduire la relation avec la personne, de comprendre ses difficultés et de chercher les solutions les meilleures pour y répondre?; sur cette base, il doit ensuite chercher le moyen de faire valider par sa hiérarchie les solutions qu’il souhaite. Des pratiques clandestines d’évitement et de contournement se mettent en place, souvent dans le cadre d’un accord informel avec un groupe de collègues?; elles consistent généralement à présenter de manière ad hoc les difficultés de la personne à la hiérarchie, de façon à déclencher la solution attendue. On en voit des exemples chez les travailleurs sociaux lorsqu’il s’agit de rédiger un rapport sur la situation d’un usager à destination d’une autorité qui décidera d’une mesure (rapport à l’ancienne Commission locale d’insertion pour déclencher l’attribution du Revenu minimum d’insertion, ou rapport au juge des enfants pour déclencher une mesure de suivi en milieu ouvert…). Du côté des cadres intermédiaires, le même processus est à l’œuvre?: le cadre, pris entre les injonctions de sa direction et la sensibilité des équipes qu’il pilote, peut choisir entre plusieurs solutions?: imposer les injonctions directoriales, s’aligner sur les résistances des équipes ou trouver un compromis entre ces deux positionnements.

19Des contestations plus visibles et plus affirmées peuvent également s’exprimer, cette fois sur le terrain du débat idéologique et avec l’appui de groupes organisés – associations professionnelles, syndicats… Elles consistent généralement à critiquer les injonctions des directions, voire des élus politiques, sur la base d’une compétence revendiquée par les professionnels et d’une conception de la qualité du service rendu différente de celle des décideurs. Cette contestation ouverte se fonde sur les deux logiques d’action susceptibles de contrer les orientations de la gouvernance?: la logique de proximité et la logique d’implication contractuelle.

20Mais on voit également des intervenants sociaux chercher un nouvel emploi dans un autre secteur du champ social, voire en dehors de ce champ, lorsque le sentiment de «?perdre son âme?» devient insupportable. La typologie d’Albert Hirschman s’applique assez bien ici?: «?voice, exit, loyalty?» (protester, partir, se conformer), typologie à laquelle on ajoutera les pratiques clandestines de contournement des injonctions.

21***

22En conclusion, il ne fait guère de doute que ces résistances ne pourront pas s’opposer longtemps à la puissance des réorganisations en cours dans le champ social, mises en œuvre par les acteurs de la gouvernance, et dont le levier le plus efficace est l’introduction des règles du marché et de la compétition. Cette évolution peut être retardée non seulement par l’action de résistance des intervenants sociaux, mais aussi par des modes de gouvernement (via élus politiques, directions et cadres intermédiaires) qui ne soient pas ceux de la gouvernance néolibérale contemporaine. Pour autant, le coup d’arrêt à ces évolutions ne peut se concevoir que dans un retournement, tout à fait improbable dans la situation présente, des positionnements des acteurs de la gouvernance, lequel ne peut à son tour se concevoir que dans une transformation fondamentale du régime global de gouvernement de la société.

Notes

  • [1]
    Nous parlons ici de la notion de champ en référence à Pierre Bourdieu, mais surtout nous l’employons pour caractériser largement l’intervention sociale, au-delà du seul travail (du) social?; c’est-à-dire tous les secteurs d’activité dans lesquels travaillent des travailleurs sociaux ou des intervenants sociaux qui, eux, ne sont pas forcément formés dans les écoles en travail social et sont donc recrutés en dehors de compétences initiales associées au travail social et reconnues par la Direction générale de la cohésion sociale.
  • [2]
    Agefiph : Association pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.
  • [3]
    Il existe d’autres types de positionnement des dirigeants, que le cadre de cet article rapide ne permet pas de développer.
Français

Résumé

La gouvernance actuelle transforme en profondeur l’exercice des métiers de l’intervention sociale, à travers une approche des problèmes des usagers de type libéral et à travers des modes de management qui opèrent une mutation des anciennes institutions sociales et médico-sociales en organisations d’action sociale. Les intervenants sociaux voient leur degré d’autonomie professionnelle se réduire et se localiser principalement dans le face-à-face avec l’usager.

Bibliographie?

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Bertaux Roger
Sociologue, ancien responsable du département de recherche de l’Institut régional du travail social (IRTS) de Lorraine. Ses domaines de recherche?sont l’action sociale, le travail social, les professions sociales, l’insertion/exclusion, les politiques sociales. Parmi ses publications?: Pauvres et marginaux dans la société française, Nancy, Presses universitaires de Nancy (Pun), 1994 ; avec Philippe Hirlet, Olivier Prépin et Frédérique Streicher, L’encadrement intermédiaire dans les champs sanitaire, social et médico-social, Paris, Seli Arslan, 2006?; avec Philippe Hirlet, Entre nécessité et vertu, les acteurs du champ social dans la complexité de leurs pratiques et face aux mutations de l’environnement, Nancy, Presses universitaires de Nancy, (Pun), 2009. Site?: www.roger-bertaux.com
Philippe Hirlet
Sociologue, Ater en sociologie à l’Université de Nancy de 1998 à 1999, il est, depuis 1999, cadre de formation à l’Institut régional du travail social (IRTS) de Lorraine où il est responsable de la formation des cadres de proximité (certification d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale [Carefuis]) et où il coordonne le département de recherche. Il est chercheur associé au Groupe de recherche sur l’éducation et l’emploi (Grée)/2L2S (Laboratoire lorrain des sciences sociales), Université de Nancy. Parmi ses publications : avec Lionel Jacquot, «?Les cadres face à l’effritement de la condition salariale?: construction et déconstruction d’une catégorie fordiste???», in Boulayoune A. et Jacquot L., Figures du salariat. Penser les mutations du travail et de l’emploi dans le capitalisme contemporain, Paris, L’Harmattan, 2007.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 19/01/2012
https://doi.org/10.3917/inso.167.0104
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