1Les zones rurales sont souvent présentées comme des espaces où les services sont peu présents mais où les liens sociaux et les solidarités sont plus affirmés. En tant qu’équipements de proximité qui offrent à la fois des services et des actions en liens étroits avec les habitants, les centres sociaux peuvent avoir un rôle important à jouer sur ce type de territoire. C’est pourquoi Informations sociales a souhaité s’intéresser aux actions menées par les centres sociaux en zones rurales.
2Nous avons choisi le centre social rural intercommunal de Saint-Romain-de-Surieu dans l’Isère en ce qu’il permet d’aborder plusieurs particularités des problématiques rurales, tant du point de vue des besoins de la population que des spécificités du partenariat et des modalités d’intervention sociale. Nous avons rencontré Marie-Pierre Bruschet, directrice de la Caisse d’allocations familiales (Caf) de Vienne, Gilbert Lascombe [1], responsable du territoire sud, Annick Rambot, responsable de l’action sociale de la Caf de Vienne, Annick Fouquet, directrice du centre social, Damien Pellat, responsable jeunesse du centre social et « coordinateur » de l’association Au fil de Lambre [2], Roger Regal, secrétaire de cette association, agréée Caf au titre de « petite structure d’animation locale ».
Un territoire sud « néorural »
3Le territoire de compétence de la Caf de Vienne présente une géographie humaine hétérogène d’où une organisation de l’offre de service articulée autour de trois territoires : l’agglomération viennoise et le territoire nord – plutôt péri-urbains – tandis que le territoire sud est rural. Le territoire sud comprend majoritairement des communes de 500 à 1 200 habitants. Les agriculteurs y sont peu nombreux, même parmi les anciens. Certaines communes ont connu une forte progression démographique ces cinq dernières années, avec l’arrivée de familles de citadins fuyant le coût du logement dans les villes. Cependant comme le fait remarquer Annick Fouquet, directrice du centre social rural, « On va se mettre au vert mais ces familles ne savent pas exactement ce que cela signifie. On va plus loin dans la campagne car les terrains sont moins chers mais c’est une vie que l’on ne connaît pas ».
4Ainsi des populations arrivent avec des besoins de services non prévus, comme l’accueil des jeunes enfants ou l’accueil périscolaire. De plus, la cohabitation entre anciens et nouveaux résidents donne lieu parfois à des incompréhensions, voire à des tensions. Les communes ne sont pas pauvres mais l’isolement et les problèmes de mobilité constituent de réelles difficultés pour certains habitants de ce territoire.
5Autre caractéristique de ce territoire, c’est le dynamisme du tissu associatif, avec une quarantaine d’associations aux finalités diverses : loisir, sport, seniors, etc. Toutefois la communauté de communes n’a pas de service support suffisamment important pour animer la vie sociale. Pour les élus, le développement des services et des commerces est un un atout pour favoriser la vie sociale, mais ce n’est pas insuffisant pour construire un projet de vie sociale. Les communes ont souvent besoin de moyens humains et de compétences spécifiques pour mettre en place ce type de projet. C’est une fonction que la Caf peut assumer. Selon Marie-Pierre Bruschet, directrice de la Caf de Vienne, sur les territoires ruraux, « la solution est l’intercommunalité avec toutes les difficultés techniques et politiques que cela pose ». Et d’ajouter qu’il faudrait sans doute mettre davantage de travailleurs sociaux sur ce type d’activité, en particulier lors des redéploiements. Pour elle, « les Caf devraient porter le développement social local (DSL) et y mettre du personnel ».
La création du centre social rural intercommunal de Saint-Romain-de-Surieu
6L’action du centre social rural intercommunal porte sur 4 communes : Assieu, La Chapelle-de-Surieu, Saint-Romain-de-Surieu et Ville-sous-Anjou. Sur ce territoire, à la fin des années 1990, il y a un foyer qui propose essentiellement des activités de centre de loisirs. À la demande de la Caf, un diagnostic approfondi est réalisé, il met en évidence un besoin de structure d’animation globale. Dans le prolongement de ce diagnostic, trois communes se groupent en syndicat intercommunal et créent le centre social ; une quatrième commune s’est jointe un peu plus tard.
7Il faut donc retenir que le centre social résulte de la volonté politique des élus, certes en réponsesaux demandes des habitants. « La phase diagnostic a été un levier pour les élus » nous dit Damien Pellat, l’un des animateurs. Et aujourd’hui encore, le centre social constitue un espace qui, dans le cadre de la démarche participative, réunit des élus et des habitants pour travailler sur des projets.
8Par ailleurs, l’enjeu est de pouvoir agir sur un territoire étendu géographiquement et avec une population qui n’a pas l’habitude de participer, aspect fondamental du fonctionnement des centres sociaux : « Partant de l’existence du centre de loisirs, avec les habitants on a essayé de voir ce qu’il fallait développer ». Le centre social a démarré sans afficher d’action particulière au départ. Ainsi, on ne trouve pas de liste d’activités adultes et enfants comme on le voit dans d’autres centres, d’autant que la vie associative est riche dans ces communes. Le centre s’est attelé à identifier les besoins du territoire sur le long terme.
Des projets pour répondre aux besoins prioritaires de la population
9Un diagnostic social réalisé en 2004 montrait que les évolutions démographiques n’avaient pas été anticipées. Les attentes les plus fortes concernent la petite enfance et la jeunesse, d’autant que l’amplitude de garde en milieu rural doit être plus large qu’en zone urbaine compte tenu des distances entre le travail et le domicile. Le syndicat intercommunal a signé un contrat enfance avec la Caf. Depuis, le centre social propose les services d’une halte-garderie de 0 à 6 ans, d’un relais assistantes maternelles, d’un centre aéré maternel pour les 3 à 6 ans et un lieu d’accueil parents/enfants.
10Dans le contexte de l’intercommunalité rurale, l’association Au fil de Lambre a fait le choix de l’itinérance. Malgré les contraintes, les activités sont décentralisées sur chacune des communes. On transporte et on installe beaucoup le matériel, mais les habitants participent. « On veut que ce soit des espaces ouverts qui mixent les gens ; cela oblige à créer de la proximité avec eux » explique Damien Pellat.
11Pour les nouveaux habitant ces lieux d’accueil facilitent les premiers contacts avec d’autres parents, et dès lors, permettent de tisser des liens. Cette itinérance des centres d’accueil favorise également les relations intergénérationnelles : à titre d’exemple, un habitant de 89 ans, ayant vu les enfants sur sa commune, a proposé de visiter une sorte de mini musée de trains électriques installé chez lui.
12Concernant les actions à destination de la jeunesse, le centre social travaille avec l’association Au fil de Lambre. Au total, 1 000 jeunes entre 11 et 18 ans sont concernés. Les actions « jeunesse » sont devenues prioritaires d’autant que, depuis une dizaine d’années, de nouveaux phénomènes de délinquance sont apparus : usage de drogues dures et existence de groupuscules racistes et extrémistes. La population d’origine étrangère est très marginale mais la méfiance voire la peur sont manifestes, elles sont alimentées par la méconnaissance. L’explication à ces violences pourrait résider dans la cohabitation des anciens et des nouveaux habitants, et les incompréhensions mutuelles. Le dialogue avec les jeunes est donc privilégié. Les animateurs interviennent dans le collège que fréquentent les jeunes, ce qui leur permet d’être identifiés et les encourage à participer aux animations.
13Durant l’été 2010, avec leurs animateurs, les jeunes ont pu réaliser un grand projet, aller jusqu’à la mer Méditerranée en vélo. Préalablement, tout au long de l’année, il y avait eu des temps de préparation avec les adolescents et avec leurs parents. Ce projet a été une réussite pour les jeunes, il a été l’occasion de toutes sortes d’apprentissages : respect des différences, vivre en groupe, entretien des vélos, organisation de « l’expédition », créant une véritable cohésion de groupe ; les parents ont également appris à faire confiance à leurs jeunes, à les laisser prendre de l’autonomie.
14En revanche, du côté des seniors, il n’existe pas de structure collective particulière ; dans leur grande majorité, ceux-ci ont un réseau relationnel et des pratiques associatives. En outre, comme le précise Roger Regal de l’association Au fil de Lambre, « Ce n’est pas le domaine sur lesquel les élus nous attendent en priorité, ce public étant pris en charge à ce jour par les CCAS ».
De l’utilité d’un centre social en milieu rural?
15L’équipe de la Caf de Vienne a souligné que les élus ont parfois des difficultés à assumer l’image du centre social qui peut être un lieu de rencontre des familles vulnérables, cette image pouvant nuire à l’image de la commune. Aussi, la phase préalable à la création d’un centre est de faire prendre conscience aux élus, de les convaincre de la nécessité de porter un regard sur l’ensemble du territoire dans le cadre d’échanges avec les habitants pour anticiper les besoins en matière d’animation de la vie sociale sur le territoire. Le projet social se situe ainsi à l’articulation entre la commande publique et les demandes des habitants. L’enjeu pour le centre social est de s’adapter à la configuration d’un territoire particulièrement étendu dans le cadre d’une intercommunalité, ce qui, en l’occurrence, demande de la coordination entre le centre social, le syndicat intercommunal et les conseils municipaux. Le centre social devient finalement un espace d’échanges entre les habitants du territoire et les élus. Comme le souligne la directrice de la Caf : « S’il n’y avait pas de centres sociaux, ils ne feraient rien » ou encore le secrétaire de l’association Au fil de Lambre : « Les élus, peut-être insuffisamment armés, ne pourraient pas conduire les projets sociaux que nous développons avec eux ».
Notes
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[1]
Nous tenons particulièrement à remercier Gilbert Lascombe pour sa disponibilité et pour la bonne organisation des entretiens.
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[2]
L’association Au fil de Lambre est une structure d’animation sociale agréée « petite structure d’animation locale » par la Caf depuis mai 2007 ; elle regroupe 4 communes : Agnin, Anjou, Bougé-Chambalud et Sonnay. Elle mène des actions collectives avec les familles, favorise les solidarités de voisinage, les relations intergénérationnelles et les liens sociaux. Au fil des années, les communes ont reconnu l’utilité des actions développées, puisque la subvention de fonctionnement calculée sur la base du nombre d’habitants a fortement évolué, de 2 euros par habitant en 2007, elle atteint actuellement 25 euros par habitant.