1Le monde rural français est concerné par la précarité économique et bon nombre de familles dépendent désormais des circuits de l’assistance. Légèrement plus élevé qu’en milieu urbain, le taux de pauvreté en milieu rural, qui peut atteindre 20 % de la population, cache il est vrai d’importantes disparités locales et une souffrance au quotidien. Cependant, de nouvelles formes d’intervention sociale témoignent d’un regain de solidarité.
2À plusieurs reprises, des programmes de recherche ont été consacrés aux transformations du monde rural français. Le plus souvent, ces travaux mettent en avant le changement de regard porté sur la campagne et soulignent un rattrapage des conditions sociales sous l’effet conjoint des mutations économiques et de l’arrivée de nouvelles populations. Cependant, des observateurs soulignent que vivre à la campagne n’est pas forcément facile [1] et certains espaces constitueraient même de véritables poches de pauvreté. Ce phénomène, qui refléterait l’envers du développement et de la mondialisation, commence à être pris en considération par de grandes associations caritatives.
Une connaissance plus précise de la pauvreté et des mécanismes d’exclusion
3À la demande des pouvoirs publics, un travail vient d’être réalisé par les services de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) en vue de procéder à une analyse approfondie de la pauvreté en milieu rural (Berthod-Wurmser et al., 2009). Selon les données figurant dans ce rapport, on s’aperçoit qu’en France, le taux de pauvreté est légèrement plus élevé en milieu rural qu’en milieu urbain : en 2004, la pauvreté touchait 13,7 % de la population en milieu rural contre 11,3 % en milieu urbain. Il existe d’importantes disparités locales, avec des taux de pauvreté monétaire pouvant atteindre 20 % dans certains bassins de vie situés au nord, au centre et au sud de notre pays [2]. Trois ensembles géographiques peuvent ainsi être distingués à la lecture de ce document.
4Au nord d’une ligne reliant la Normandie et la Picardie aux Ardennes, le taux de pauvreté est partout supérieur à la moyenne nationale (aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural) ; bon nombre de petites villes en déclin sont victimes de la désindustrialisation et des délocalisations. La situation est perçue comme assez inquiétante par les opérateurs de l’intervention sociale car on constate un déficit de formation professionnelle, y compris chez les jeunes gens. Dans la mesure où la cherté des loyers pousse certaines familles sans emploi avec des enfants à charge à quitter les grandes agglomérations, ces professionnels expriment la crainte de voir leur territoire se transformer en lieux de relégation de « familles en difficulté dont personne ne veut ».
5Dans une vingtaine de départements situés sur la « diagonale du vide » reliant les Ardennes aux Pyrénées en passant par la Bourgogne, l’Auvergne et le Limousin, et dans une moindre mesure dans les régions Aquitaine et Poitou-Charentes, la problématique est un peu différente. Dans ces bassins de vie qui correspondent à des espaces assez isolés (ils ont longtemps été marqués par le dépeuplement et l’exode), le taux de pauvreté est partout plus élevé en milieu rural qu’en milieu urbain. Même s’ils ont bénéficié des fonds structurels européens, les gestionnaires du développement rural doivent encore souvent faire face aux conséquences du vieillissement démographique. Au regard des données dont nous disposons, nous pouvons affirmer qu’en raison d’une économie tournant parfois au ralenti, les pensions de retraite et d’invalidité ont pu jouer, dans ces territoires, un rôle de redistribution non négligeable.
6Plus au sud, c’est-à-dire des Pyrénées centrales à l’arrière-pays niçois et en Corse, la situation est plus complexe à décrire. On retiendra qu’à l’image du Languedoc ou de la Provence, ces régions méridionales sont bien plus attractives que les précédentes et tendent à s’urbaniser. En plus des missions qui leur sont attribuées, les travailleurs sociaux doivent trouver les moyens d’améliorer les conditions de vie de tous ceux qui, à la suite d’un choix délibéré, ont décidé de s’installer à la campagne (ou au soleil) sans y avoir toujours préalablement trouvé un emploi stable. Ces nouveaux arrivants, dont la situation est parfois évoquée par la presse, rencontrent souvent des difficultés financières ou connaissent une réelle précarité économique. Des possibilités leur sont cependant offertes d’alterner des périodes travaillées et des périodes chômées, au risque de connaître l’expérience du travail fragmenté. Durant certaines périodes de l’année, il existe en effet une série de petits boulots saisonniers dans les secteurs du commerce, de l’hôtellerie et de la restauration, du bâtiment et de l’agriculture (récolte des fruits et légumes, vendanges…).
7Ces précisions données, comment se caractérisent les situations précédemment décrites ? On note le profil très hétérogène des populations les plus fragiles et le large éventail d’actions mises en œuvre pour leur venir en aide. D’après les informations recueillies par la mission de l’Igas et du CGAAER, il existerait un cloisonnement entre les services chargés de l’action sociale ainsi qu’une assez grande dispersion des efforts entrepris. Des initiatives ont été prises, ici ou là, en s’appuyant sur des réseaux de partenaires et des ressources locales. Elles ont le mérite d’exister et doivent être saluées pour leur originalité, mais les besoins sont tels qu’elles ne peuvent suffire pour y répondre et ont finalement peu de prise face à l’ampleur du problème. Pour améliorer l’existant, il conviendrait certainement d’introduire une approche transversale, d’intensifier les programmes entrepris et de développer une dynamique de projet reposant sur la valorisation de ressources locales. Cela étant dit, les auteurs de ce rapport reconnaissent que les administrations de l’État, pour leur part, devraient davantage inscrire leur action dans la durée, réaffirmer leur soutien aux projets locaux, mettre à la disposition des territoires des moyens d’ingénierie et prendre en compte les surcoûts de certains dispositifs, de manière à garantir la cohésion sociale sur l’ensemble de l’Hexagone.
De la pauvreté traditionnelle à la précarité économique
8Les observations que j’ai eu l’occasion de recueillir sur le terrain, voici déjà dix ans, confirment et complètent les analyses qui viennent rapidement d’être énoncées (Pagès, 2005a). Dans les villages et les hameaux dans lesquels je me suis rendu, il existait plusieurs formes de pauvreté (pour la clarté de l’exposé, nous les caractériserons comme « traditionnelles » et « contemporaines »), autant de situations que les travailleurs sociaux et les administrations locales étaient bien en peine de résorber avec les moyens qui étaient les leurs.
9Les situations « traditionnelles » concernent principalement des exploitants et des ouvriers agricoles dégageant de faibles revenus, des personnes âgées percevant le minimum vieillesse et des personnes souffrant d’un handicap reconnu. La plupart du temps, ces personnes ont toujours vécu à la campagne. Elles sont relativement bien intégrées dans la vie locale mais auraient tendance à intérioriser de façon douloureuse leur situation personnelle et à attendre assez (ou trop) longtemps avant d’entreprendre des démarches auprès des services sociaux. Certes, ces personnes qualifiées de « fragiles » dans mon travail de recherche vivaient avec le strict minimum et pouvaient parfois compter sur des formes d’entraide familiale ou inscrire leurs activités quotidiennes dans le cadre d’échanges de services avec leurs voisins et amis de longue date. Ces échanges de services permettent d’améliorer l’ordinaire et de ne pas dépendre totalement des circuits de l’assistance, mais il est des cas où ces solidarités familiales ou locales entraînent des situations de dépendance, notamment quand survient un problème de santé. Comment se déplacer pour se rendre chez le médecin ou faire des achats en ville quand on vit dans un hameau isolé ou une ferme difficile d’accès ? Comment demander de l’aide pour entretenir un logement ancien et sans confort alors que l’on n’a ni les moyens financiers ni la force physique de le faire ? Comment faire quand, tout simplement, on ne parvient plus à « joindre les deux bouts » et à se projeter dans l’avenir ?
10Dans la plupart des sociétés paysannes, les aléas de la vie étaient pris en charge dans un cadre familial ; les positions et rôles de chacun étaient clairement identifiés. Cette division familiale du travail était régie par de vieilles coutumes ; elle se manifestait par des solidarités entre les générations et par une spécialisation des tâches distinguant la sphère des activités féminines et celle des activités masculines. Aujourd’hui encore, il est fréquent d’héberger un parent âgé ou d’accueillir sous son toit un enfant de 30 ou 40 ans qui fait l’expérience du chômage ou qui, à la suite d’une séparation conjugale, se retrouve sans logis. Mais il est aussi des situations où, en l’absence de famille à proximité ou à la suite du décès des parents proches, une pauvreté silencieuse se double d’un sentiment de solitude et d’isolement, générant ainsi une souffrance au quotidien que ne peuvent soulager ni les travailleurs sociaux ni les professionnels de la santé. L’environnement local peut se révéler anxiogène et il n’est pas rare que des ruptures se produisent et provoquent dépressions, addictions et suicides [3].
11Parmi les populations concernées par le risque de pauvreté, les agriculteurs sont certainement le groupe professionnel sur lequel nous avons les informations les plus précises. D’après les études réalisées par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et les données émanant des caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA), ils connaissent d’importantes disparités de revenu et la situation s’est considérablement dégradée au cours des années 2000, à la suite des différentes crises qui ont ébranlé le secteur. Selon les comptes du ministère de l’Agriculture, le salaire moyen, toutes filières confondues, a baissé de 34 % en 2009, après avoir déjà baissé de 20 % en 2008. En septembre 2009, c’est-à-dire au moment de l’annonce du plan de sauvetage prévoyant une prise en charge d’indemnités d’emprunt et d’importantes réductions de charges, il avait été estimé que le revenu annuel moyen des agriculteurs devait se situer à 14 500 euros, soit moitié moins que le record de 28 500 euros en 2007 (aides comprises). Et leur revenu de 2009 aurait même été inférieur à celui du début des années 1990.
12Tout au long de ces dernières années, les problèmes spécifiques du secteur agricole ont été largement relayés par les organisations syndicales et les médias. Il n’est pas dans notre propos d’étudier les relations ambivalentes qu’entretiennent en France l’agriculture et la société, mais il importe de souligner que si la pauvreté matérielle concerne des personnes qui ont toujours été au bas de l’échelle sociale, elle touche aussi des exploitations familiales qui ont largement participé au changement technique et qui se sont lourdement endettées. De même, le problème du célibat paysan est connu de tous les ruralistes. D’un point de vue statistique, les chances de se marier sont assez nettement corrélées avec les revenus professionnels et la surface exploitée [4] ; il s’agit là d’un phénomène qui concerne la plupart des pays européens. En France, les données dont on dispose sont sans ambiguïté : si, dans bon nombre de travaux réalisés en sociologie rurale, on mettait en avant l’existence de stratégies matrimoniales dans les grandes exploitations (elles visaient alors l’acquisition de terres cultivables), des analyses plus récentes traduisent une précarisation du métier ; elles soulignent les difficultés que rencontrent les jeunes gens pour s’installer comme agriculteurs, comme les anciens pour trouver un repreneur, tout comme les crises à répétition qui ont secoué le secteur [5]. Des études mentionnent l’existence d’une souffrance psychosociale au sein de la petite paysannerie. Loin d’avoir totalement disparu, ces phénomènes concernent de nos jours des exploitations fragilisées par l’intensification de la production et une plus forte dépendance financière vis-à-vis des organismes de crédit [6]. En bout de course, il est bien difficile d’envisager une reconversion professionnelle et, malgré la détention d’un patrimoine, ce sont tous les ans entre 12 000 et 13 000 chefs d’exploitation qui cessent leur activité avant l’âge de 55 ans. Certains glissent alors d’un statut donné par le travail au statut de personne assistée et doivent être pris en charge par les services de la MSA dans le cadre des programmes d’accompagnement destinés aux agriculteurs en difficulté.
13Pour clore nos développements consacrés aux étalons de mesure de la pauvreté, notons enfin que la crise agricole a eu des répercussions sur la main-d’œuvre embauchée, dont on parle trop rarement. Officiellement, le salariat agricole n’est plus en réelle diminution ; l’importance des effectifs est surtout liée aux facilités accordées pour recruter (et déclarer) une main-d’œuvre temporaire. Au cours de l’année 2008, près d’un million de salariés ont ainsi exercé un travail à temps plein ou à temps partiel dans une exploitation agricole. Tout comme l’indiquent les données de la MSA, les salaires perçus par ces ouvriers agricoles sont à l’image d’un travail fragmenté. À l’exception des métiers très spécialisés et des professions connexes à l’agriculture, où l’on relève des salaires comparables à ceux d’autres secteurs d’activité (environ 15 000 euros annuels dans le secteur des coopératives et 16 000 euros dans les organismes de service), les revenus perçus par les salariés agricoles sont généralement compris entre 4 000 et 10 000 euros par an.
14Dans un contexte où, en raison d’un fort endettement ou de difficultés de trésorerie, il est très difficile, pour un petit agriculteur, de rémunérer tout au long de l’année une personne extérieure, les ouvriers agricoles ont rarement signé un CDI (ils sont seulement 16 % dans ce cas). Ils doivent donc multiplier les employeurs plutôt que d’en fidéliser un seul, et ils subissent l’épreuve du chômage chaque fois qu’une crise importante ébranle le secteur ou que des intempéries gâchent une récolte. Autant de situations qui caractérisent le « précariat » dont il est question dans les récentes publications du sociologue Robert Castel et que l’on retrouvera certainement dans les nouvelles populations couvertes par le Revenu de solidarité active (RSA).
15Cette plus grande dépendance vis-à-vis des prestations sociales ne concerne pas seulement le monde agricole. À la campagne, les agriculteurs sont même minoritaires : représentant seulement 7 % de la population active résidant en milieu rural, ils sont comparativement moins nombreux que les ouvriers (32 %) et les employés (27 %). Sur le temps long, la pauvreté a progressivement basculé des générations les plus âgées vers les générations les plus jeunes, et elle s’étend aujourd’hui à de nouvelles catégories socioprofessionnelles. Ce phénomène plus général soulève une série d’interrogations et contraint les actions qui sont conduites à mieux prendre en considération les nouveaux visages de la précarité économique. Dès le début des années 1990, le réseau des missions locales pour l’insertion des jeunes avait d’ailleurs engagé une réflexion de fond sur le thème de l’insertion économique en y associant des militants associatifs, des universitaires et des experts. Il avait stimulé la réalisation d’enquêtes portant sur les sociabilités juvéniles [7] et repéré des « gisements d’emploi » avec le développement de nouveaux métiers répondant à une demande sociale, comme les métiers liés à la sauvegarde du patrimoine et de l’environnement, les services aux personnes âgées ou les métiers de la petite enfance et de l’animation socioculturelle. Il s’agissait alors de repenser un projet rural où les jeunes seraient acteurs du développement et où ils auraient peut-être les moyens de « vivre et travailler au pays », à condition bien sûr d’être entendus. Sur une trentaine de sites pilotes, ces réflexions avaient finalement ouvert la voie à la réalisation de projets concrets et facilité la mise en place de l’intercommunalité (Pagès, 2005b). Cependant, en mettant l’accent sur les dispositifs d’insertion par l’économique, c’est-à-dire en ciblant des catégories de population, certes précaires mais directement employables (une série de dispositifs couvraient alors les demandeurs d’emploi et les jeunes), on aurait involontairement oublié l’existence de difficultés matérielles qui perdurent et renvoient à des figures de pauvreté que l’on croyait totalement disparues.
Vers de nouvelles formes de solidarité ?
16Contrairement aux idées reçues, le monde rural n’est pas toujours un havre de paix où les solidarités locales viendraient atténuer la dureté des conditions de vie. Depuis ces dernières années, d’importantes organisations, comme le Secours populaire, la Croix-Rouge française, la Fondation nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars) ou la Caisse centrale de mutualité sociale agricole (CCMSA), ont organisé des journées de réflexion comprenant des axes de travail thématiques en vue de lutter contre la pauvreté rurale et de mieux l’appréhender. J’ai eu l’occasion de l’indiquer à cette occasion en reprenant mes notes de terrain : il existe malheureusement des situations extrêmes nécessitant la mise en place de secours d’urgence. Les travailleurs sociaux et les professionnels de la santé reconnaissent cet état de fait ; il est des cas où les plus démunis auraient tendance à se replier sur leur univers domestique et à n’avoir que très peu de contacts avec l’extérieur. Ces personnes finalement très vulnérables sont prisonnières de leur situation et leur repérage est rendu difficile par l’isolement dans lequel elles se trouvent (Pagès, 2005a, p. 88-101). De façon à inverser cette tendance, pour agir plus efficacement en direction de ces populations qui présentent souvent un handicap (physique ou psychique) ou de graves problèmes de santé, il conviendrait de poursuivre les visites à domicile et de multiplier les médiations. La création d’antennes mobiles pour distribuer des colis alimentaires ou la mise en place de transports à la demande est testée un peu partout en France car il s’agit d’un moyen de desservir les communes les plus isolées. Dans un contexte de moindre présence médicale (certaines zones rurales sont désormais autant de « déserts médicaux »), la mutualisation des moyens dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires est une autre piste à explorer pour répondre aux besoins de manière souple et efficace. Un deuxième levier, identifié par les associations caritatives et les professionnels du champ médico-social, concerne l’enjeu des programmes d’amélioration de l’habitat. Prenons l’exemple des résultats de l’étude récemment menée en Bourgogne pour le compte de la Fnars (Lambert et al., 2009). À la lecture des différents sujets développés dans cette étude, on voit bien que le logement est un problème réel pour les usagers des services sociaux. Dans les communes où ils se sont rendus, les enquêteurs avaient d’ailleurs noté qu’un nombre assez important d’usagers vivaient, ou avaient vécu, dans un logement insalubre. Ce phénomène, qui concerne aussi bien de jeunes couples locataires du parc privé que des propriétaires occupants, se manifeste par des problèmes d’isolation et de chauffage, parfois même de toiture.
17Malgré la réalisation de rénovations dans les centres anciens de bon nombre de villages, des locataires doivent faire face à des propriétaires peu scrupuleux qui profiteraient de l’absence (ou du manque) de logements sociaux. C’est notamment le cas pour les néoruraux qui, dans certains secteurs, déclarent se heurter à l’hostilité des habitants de longue date et rencontreraient des difficultés pour se loger convenablement.
18Le troisième levier que l’on peut repérer concerne justement ces nouveaux arrivants. Même si les attitudes à leur égard paraissent très ambivalentes (les uns considèrent qu’ils redonnent vie à des lieux abandonnés depuis longtemps, les autres soulignent un style de vie peu conformiste), ces néoruraux auraient tendance à se regrouper entre semblables et à (re)créer des liens sociaux. Il n’y a rien de vraiment semblable avec les communautés décrites par Bertrand Hervieu et Danièle Léger (1979), le contexte ayant beaucoup changé, mais il n’en reste pas moins vrai que, pour ces personnes nouvellement installées, la nature représente un idéal de vie agrémenté d’une petite dose d’utopie et de bien-être personnel. Dans le fait de s’installer dans les villages les plus isolés, en moyenne montagne notamment, il y a probablement une part de rêve avec l’idée de mener à bien un projet original et de vivre de son propre labeur en tant que travailleur indépendant. Mais il peut y avoir aussi un choix délibéré à la suite d’un événement marquant (décès d’un proche, incarcération, vie dans la rue…) ou d’une série d’échecs personnels. Passé les premiers mois, le premier hiver, les premiers soucis, certains reprennent la route, tandis que d’autres envisagent de s’installer durablement et, faute de bénéficier de ressources stables, font prévaloir leurs droits sociaux.
19Malgré l’étiquette souvent négative qu’ils doivent porter, ils parviennent à maintenir de la présence humaine et à inaugurer de nouvelles activités (économiques et culturelles), contribuant plus largement à ce que le regretté Bernard Kayser avait désigné par l’expression de « renaissance rurale » dans un ouvrage du même nom (1990). À ceci près que le modèle de développement qu’ils préconisent se situe à contre-courant de celui qui a prévalu jusqu’à présent.
Notes
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[1]
On cite souvent les contributions réunies à l’occasion du congrès de l’Association des ruralistes français, en 1984 à Toulouse, et les publications de Michel Blanc, Jean-Louis Brangeon, Gwenaël Jégouzo, Pierre Maclouf, Nicole Mathieu, Alexandre Pagès, Philippe Perrier-Cornet et Bernard Rozé.
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[2]
Du nord au sud, les taux de pauvreté en zone rurale sont par exemple de 20,2 % dans les bassins de vie ruraux du département du Nord, 17,3 % dans l’Aisne, 19,5 % dans la Creuse, 21,6 % dans le Cantal, 17,9 % en Lot-et-Garonne, 18 % dans l’Ariège, 21,1 % dans l’Aude, 19,6 % dans l’Hérault, 18,3 % dans l’Ardèche, 17,6 % dans le Vaucluse et 21,4 % en Corse (données 2004, taux de pauvreté défini à 60 % du revenu médian).
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[3]
On trouvera des analyses complémentaires dans le dossier spécial que la revue Rhizome (Bulletin national précarité et santé mentale) a consacré au monde rural en octobre 2007.
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[4]
Le sociologue Pierre Bourdieu l’avait bien noté dans le cadre de ses premières enquêtes, tout comme d’ailleurs, un peu plus tard, Gwenaël Jégouzo avec l’équipe du Laboratoire d’économie et de sociologie de l’Inra de Rennes. Sur ces questions, voir notamment Brangeon et al., 1998.
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[5]
D’après le recensement agricole de 2000, la situation chez les éleveurs est particulièrement préoccupante : 31 % des éleveurs de bovins/viande vivent sans conjoint(e) et le phénomène continue de concerner les jeunes générations. Sur ces questions, voir également Purseigle, 2005, p. 41-59.
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[6]
La vulnérabilité au sein de la profession et les capacités d’adaptation dont elle a su faire preuve ont été très bien décrites dans les travaux de Michèle Salmona portant sur les effets psychologiques de la modernisation agricole. On lira en particulier Salmona, 1994.
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[7]
Ces enquêtes ont donné lieu à un ouvrage collectif : Guérin et Perez, 1996.