CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Henri Mendras (1927-2003) est le sociologue qui, dans les années 1950 et 1960, a créé la sociologie rurale en France, alors que ce champ de recherche était plutôt l’apanage des géographes et des folkloristes. Cette spécialisation, qui allait devenir une expertise reconnue au plan international, est plus ou moins le résultat d’un hasard, comme il le raconte avec humour dans son autobiographie relatant les « souvenirs d’un vieux mandarin » [*].

2Ses premiers travaux d’étudiant, dans les années qui suivent la fin du second conflit mondial, sont deux monographies réalisées en milieu rural. La première étudie un village du Rouergue, où il passe habituellement ses vacances chez sa grand-mère, la seconde concerne un village mormon aux États-Unis.

3En 1950, il s’embarque pour l’Amérique du Nord où il perfectionne sa pratique de chercheur avec des sociologues de l’Université de Chicago, comme Burgess, Warner et Hugues, membres de ce que l’on appela plus tard l’École de Chicago. C’est Edward Banfield qui l’engage comme assistant pour réaliser la monographie du village de Saint George, dans l’Utah. Mendras décrit cette expérience à la fois comme éprouvante et nécessaire. En effet, il ressent toute la difficulté à vivre pendant un an dans un quasi-désert au milieu d’une centaine de paysans confits en religion, mais il réalise aussi l’importance de faire du travail de terrain, en mettant à l’épreuve ce qu’il appelle l’« œil du sociologue ». Au demeurant, le chercheur en profite pour jouer les cow-boys et parcourir à cheval ces paysages que les westerns ont immortalisés.

4À son retour en France, H. Mendras publie ces deux études qui le font reconnaître aussitôt comme le sociologue de la ruralité, ainsi que le lui confirme Gabriel Le Bras, un grand universitaire de l’époque. Georges Friedmann, sociologue influent dans ce milieu académique en plein développement, au point de désigner les responsables de chaque spécialité, lui dit : « Mendras, Mendras ! Touraine, c’est les ouvriers, Tréanton, la ville, Crozier, les fonctionnaires. Vous, vous comprenez quelque chose aux paysans et vous êtes le seul, alors occupez-vous-en ! » Ce qu’il fait, en s’intéressant à la diffusion des innovations, comme celle du maïs hybride, en étudiant pendant dix ans un village lorrain, ou encore en évaluant la force sociale des Jeunesses agricoles chrétiennes. Son principal constat tient dans le titre d’un de ses livres, La fin des paysans. Cet ouvrage montre comment la société paysanne millénaire analysée par Georges Duby disparaît au profit d’un monde qui ne connaît plus que des exploitants agricoles intégrés à une économie capitaliste. Tout en devenant alors un expert incontesté de cette question, H. Mendras oriente par la suite ses recherches dans une perspective généraliste de changement social.

5Il crée, entre autres, toute une filière d’enseignement à l’Université de Nanterre ainsi que l’Observatoire sociologique du changement (OSC), un laboratoire de recherches lié à Sciences Po Paris. C’est avec Marco Oberti et Patrick Le Galès, deux jeunes chercheurs de l’OSC, qu’il réalise son ouvrage autobiographique en fin de carrière.

Note

  • [*]
    Mendras H., avec la collaboration de Le Galès P. et Oberti M., 1995, Comment devenir sociologue. Souvenirs d’un vieux mandarin, Arles, Actes Sud.
Alain Vulbeau
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/06/2011
https://doi.org/10.3917/inso.164.0085
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