1Certains clichés ont la vie dure. Ainsi, celui du conservatisme des femmes qui vivent en milieu rural. Or, pour être plus silencieuses peut-être que les urbaines dans leurs revendications d’égalité, les femmes de la campagne n’en constituent pas moins, elles aussi, un ferment de modernité. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. À cet égard, l’histoire du mouvement Familles rurales semble exemplaire. Depuis la création de cette fédération d’associations il y a soixante-dix ans, la volonté des familles adhérentes de répondre aux aspirations des femmes est une constante.
De la vulgarisation ménagère à l’émancipation des femmes
2Dans l’après-guerre, les conditions de vie en milieu rural sont très dures. Les difficultés d’ordre domestique pèsent pour l’essentiel sur les femmes. Afin de les soulager, les associations Familles rurales font l’acquisition d’appareils électroménagers et de matériels divers, comme des machines à laver ou à tricoter ; ces engins motorisés que les familles adhérentes se prêtent sillonnent alors les campagnes… sur des brouettes. Parallèlement, le mouvement axe son congrès de 1951 sur « l’allégement des tâches de la mère de famille rurale ». Différentes activités sont organisées durant cette décennie à l’intention de ces mères, notamment des cours d’enseignement ménager et des déplacements à l’étranger. Ces derniers sont destinés à permettre aux intéressées d’élargir leur point de vue sur ce qu’il est alors convenu d’appeler la condition féminine.
3Bien sûr, il faut aussi s’occuper des nombreux enfants du baby-boom. Tel est le but des?« ruches », accueils de loisirs à la journée pour les 3-12 ans, et des colonies de vacances destinées à leurs aînés, qui apparaissent au début des années 1950. Les associations mettent aussi en place du transport scolaire et des cantines pour les enfants scolarisés loin de leur domicile. « La femme rurale doit pouvoir (…) choisir et exercer une véritable profession (…) contribuant à parfaire une formation et un épanouissement personnels, lui assurant une sécurité présente et future, un moyen d’expression et de participation à la vie sociale rurale », proclame le congrès de Familles rurales en 1963 – soit deux ans avant que les épouses aient le droit d’exercer une profession sans permission maritale. Un peu plus tard, s’appuyant sur la loi Neuwirth de 1967 qui autorise la contraception, de nombreuses actions se développent en matière d’information sur les méthodes contraceptives, d’éducation sexuelle et de conseil familial. En 1967, également, le mouvement crée des clubs féminins qui s’ajoutent ou se substituent aux anciens groupements de vulgarisation ménagère. D’ailleurs, les préoccupations des femmes de tous milieux qui se rencontrent dans ces clubs n’ont souvent rien de ménager. Leur mot d’ordre?en témoigne, selon lequel « l’engagement grandit et libère, il faut encourager les femmes à oser ». Les membres de ces clubs n’hésiteront pas à le faire elles-mêmes dans différents domaines, notamment celui de la défense des consommateurs, qui constitue aujourd’hui un secteur d’activité majeur du mouvement. Pour autant, il ne s’agit pas d’opposer les femmes ayant des activités en dehors de chez elles à celles qui se consacrent à leur foyer, estime Familles rurales qui réclame un statut social des mères de famille. Cette position est défendue par les responsables des clubs féminins lors des États généraux de la femme organisés en 1970 par le magazine Elle.
4Garderies familiales, relais d’assistantes maternelles, structures d’accueil mobiles comme les camping-cars aménagés baptisés « bébés-bus » : au début des années 1980, Familles rurales développe de nouveaux modes de garde pour permettre aux mères de concilier responsabilités familiales et professionnelles et/ou politiques. De fait, en 1982, les participantes aux clubs féminins sont pour la première fois conviées à se poser la question « Conseillère municipale, pourquoi pas moi ? » lors d’une session nationale de formation à la vie municipale. À charge pour les stagiaires de démultiplier ensuite cette formation dans les départements. Deux mille cinq cents femmes prennent part aux réunions locales organisées dans ce cadre, dont une partie est mise sur pied en partenariat avec les militantes de l’Union féminine civique et sociale (UFCS) [1]. Résultat ? Les conseils municipaux issus des élections de 1983 intègrent 500 femmes ayant participé à ces formations – qui seront ensuite régulièrement renouvelées avant les échéances municipales. Même avec ce sang neuf, on est évidemment encore loin de la parité au plan global… Celle-ci, en revanche, est d’ores et déjà quasiment atteinte dans les instances fédérales, à tous les échelons du mouvement. Et aujourd’hui, « la parité est strictement respectée dans le conseil d’administration et le bureau de la fédération nationale », précise Matthias de Chassey, qui en est le chargé de mission parité-égalité des chances. Les fédérations départementales et régionales, quant à elles, comptent 60 % de femmes parmi leurs mille représentants et 53 % de présidentes.
Éradiquer les stéréotypes de genre
5À maints égards, l’histoire du mouvement, qui regroupe aujourd’hui 180 000 familles, témoigne du rôle que les femmes ont joué pour faire évoluer les mentalités et les comportements des habitants des campagnes. Cependant, en milieu rural aussi il reste beaucoup à faire pour promouvoir un meilleur partage des responsabilités au sein de la famille comme des autres domaines de la vie sociale?: telle est la conviction de Familles rurales, qui a réuni un groupe de travail sur cette question au cours des deux dernières années. Cette thématique est aujourd’hui érigée au rang de priorité nationale. Il s’agit de « diffuser la culture de l’égalité dans le mouvement et [de] veiller à ce que les notions de mixité et de respect entre les genres soient prises en compte dans les structures du réseau », explique Thierry Damien, président de la Fédération nationale. Celle-ci, forte de 2 500 associations locales depuis que l’UFCS a intégré le mouvement en 2009, entend impulser de nombreuses actions dans ce sens. L’une des plus remarquables vise à éradiquer les stéréotypes de genre qui imprègnent les esprits dès le plus jeune âge. À cet effet, Familles rurales a monté un ambitieux projet de formation à l’intention des professionnels de ses 1 500 structures et services d’accueil destinés à la petite enfance, à l’enfance et à la jeunesse. Engagée en partenariat avec la Caisse nationale des Allocations familiales (Cnaf), cette initiative intitulée « Conjuguer il et elle dans la société d’aujourd’hui » devrait se dérouler sur près de deux ans (mars 2011 à décembre 2012), si elle obtient les soutiens financiers nécessaires, notamment celui du Fonds social européen. « Notre objectif est de sensibiliser les équipes qui interviennent auprès des 0-17 ans et les chargés de mission départementaux sur ces secteurs afin qu’ils intègrent dans leurs approches éducatives et leurs pratiques la prise en compte des évolutions de la famille et de la société », explique Matthias de Chassey.
6Concrètement, l’ambition est, par exemple, d’amener les professionnels à ne plus dire à un père « J’aimerais parler à votre femme » : les animateurs/trices qui souhaitent communiquer avec une famille peuvent aussi bien le faire avec ce parent. De fait, le programme de cette formation, bâti en lien avec des universitaires, fait la part belle à la prise de conscience du sexisme ordinaire et au travail à réaliser par chacun sur ses propres représentations. À terme, les structures locales devraient être à même de mettre en place des méthodes d’animation et une offre d’activités spécifiques auprès des enfants et des jeunes autour de l’égalité hommes-femmes, de la diversité familiale et culturelle et du respect filles-garçons.
Note
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[1]
Mouvement suffragiste créé en 1925, l’UFCS sera, en 1993, l’une des organisations fondatrices du réseau « Elles aussi pour la parité dans les instances élues ».