CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Qu’entend-on par « monde rural » ? Cette entité s’est sensiblement écartée d’une image centrée sur l’agriculture et a connu, ces dernières décennies, des évolutions rapides qui expliquent la difficulté à lui donner aujourd’hui une définition univoque. À cela s’ajoute le fait que l’étude de l’urbanisation et des phénomènes urbains, questions majeures des derniers siècles, a d’abord conduit à définir différentes catégories d’espaces urbains, principalement en fonction du cadre bâti – l’espace rural trouvant alors son contour uniquement en contrepoint.

2Néanmoins, depuis 1997, l’Insee a affiné son approche des communes rurales précédemment définies comme celles qui n’appartiennent pas à une unité urbaine (cette dernière équivalant à un ensemble d’une ou de plusieurs communes dont le territoire est partiellement ou totalement couvert par une zone bâtie d’au moins 2 000 habitants). Le découpage du territoire en « aires urbaines » et en « aires d’emploi de l’espace rural » permet notamment de distinguer plusieurs catégories d’espaces ruraux : les pôles d’emploi de l’espace rural (les petits bourgs), par exemple, n’ont pas les mêmes caractéristiques en matière de démographie, d’emplois, de logement, de santé, d’activité et de dynamique économique que le rural profond avec un habitat isolé. L’opposition tranchée urbain/rural s’atténue progressivement et l’on parle plus volontiers d’espaces à dominante urbaine ou rurale. Ainsi, l’espace à dominante rurale – composé des pôles d’emploi de l’espace rural, des couronnes de ces pôles et des autres communes du même espace – couvre environ 60 % du territoire métropolitain, mais 18 % seulement de la population y réside.

Des difficultés anciennes et des mutations récentes

3Depuis plusieurs dizaines d’années, la ruralité se caractérise à la fois par sa « dépopulation », liée à l’exode rural, et par son vieillissement. Néanmoins, ces deux phénomènes ont tendance à se modifier. D’une part, la migration vers les zones rurales apparaît comme une tendance forte de la dernière décennie et, d’autre part, la régression démographique ne se poursuit que sur certains territoires, tandis que d’autres zones rurales sont en augmentation très rapide. Dans la décennie 1990 déjà, malgré un solde naturel négatif, mais grâce à un solde migratoire non négligeable, le nombre d’habitants de l’espace à dominante rurale est resté à peu près stable.

4Globalement, depuis le début des années 2000, l’espace rural se repeuple : la progression démographique y est plus rapide que dans les pôles urbains. Si le solde démographique naturel y reste légèrement négatif, le solde migratoire y a progressé très rapidement, dépassant celui de toutes les catégories d’espace à dominante urbaine, et y entraînant, avec un taux d’accroissement moyen global de 0,7 % par an, un dynamisme d’ensemble.

5Pour autant, la dynamique de l’emploi n’a pas gagné ces zones rurales. Cette difficulté n’est pas récente. Dans les années 1990, le taux d’emploi était déjà sensiblement plus faible dans l’espace rural que dans l’espace urbain. L’écart entre les deux catégories d’espaces, qui avait un peu diminué entre 1990 et 1999 (de 6,5 à 5,6 points), a nettement augmenté en 2007 (passant de 5,6 à 8 points) [1]. À partir de 1990, et surtout dans la seconde moitié de la période qui va jusqu’à 2007, le taux de progression annuel moyen de l’emploi en zone rurale a été supérieur à celui de la population, mais nettement inférieur à celui des zones urbaines : l’écart entre les deux univers du point de vue des facilités à trouver un emploi n’a fait que se creuser. La situation de l’emploi dans l’espace rural apparaît donc bien comme un élément central du point de vue de la pauvreté de ces territoires.

6S’agissant de la structure de sa population par tranches d’âge, le monde rural se caractérise, depuis des dizaines d’années, par une forte proportion de personnes âgées. En 2006, il comptait 27,5 % de plus de 60 ans et 11,4 % de plus de 75 ans, contre respectivement 20,0 % et 7,7 % dans l’espace urbain. Ces dernières années, l’ensemble de la population française a connu un profil de vieillissement inégal selon les classes d’âge : en effet, la part des 60-75 ans, qui appartiennent à des classes creuses, a diminué, mais la part des plus de 75 ans est passée de 7,1 % à 8,4 %, entre 1999 et 2006. La population de l’espace rural a moins vieilli que celle de l’espace urbain. La part des 60 à 79 ans régresse dans l’espace rural (de – 1,6 point), tandis qu’elle demeure inchangée dans l’espace urbain. Celle des adultes d’âge actif progresse dans l’espace rural (+ 0,6 point) et demeure quasiment inchangée dans l’espace urbain (– 0,1 point). Celle des enfants et des très jeunes adultes est en baisse dans les deux catégories d’espaces, mais cette diminution est moins forte dans l’espace rural. Enfin, seule celle de la population des plus de 80 ans continue de progresser plus vite dans l’espace rural.

7Une partie essentielle des dynamiques démographiques nouvelles du milieu rural provient des phénomènes migratoires récents. Entre les recensements de 1999 et de 2006, les pôles urbains et les communes multipolarisées [2] ont vu 13 habitants sur 10 000 les quitter annuellement pour s’installer dans l’espace rural, et les couronnes périurbaines 18 habitants sur 10 000. Ces mouvements ont correspondu respectivement à 44, à 4 et à 16 nouveaux habitants sur 10 000 résidents en zone rurale – soit, au total, 64 néoruraux par an sur 10 000 habitants. Ce phénomène, qui ne concernait annuellement que 27 habitants sur 10 000 dans la décennie 1990, s’est donc fortement amplifié.

8Avec quel bagage et dans quelle perspective ces nouvelles populations arrivent-elles ? Certains sont partis de la ville parce qu’ils ne parvenaient plus à y vivre, et notamment à s’y loger. Une partie de ces migrations sont de relative proximité, mais beaucoup n’ont pas hésité à venir de loin pour changer de vie.

9Concrètement, l’arrivée de ces nouveaux habitants ne s’articule pas toujours de façon très favorable avec la structure socioprofessionnelle du monde rural, déficitaire en main-d’œuvre qualifiée. En outre, les couples ne sont pas systématiquement dotés d’un emploi pour chacun et se retrouvent ainsi à la campagne dans une situation de fragilité économique et sociale qu’ils n’avaient pas prévue.

Des caractéristiques socio-économiques relativement tranchées

10En termes d’emploi, l’espace rural est massivement un espace ouvrier (plus de 30 % des actifs) et employé (un peu moins de 30 % des actifs). Si, globalement, 17 % des emplois se situent dans l’espace rural, la part de l’espace rural dans l’emploi ouvrier est de 23 %. Il ne s’agit pas pour autant principalement d’ouvriers agricoles ou de salariés des industries agricoles et alimentaires : 17 % des ouvriers seulement y sont employés dans ces secteurs.

11L’activité est avant tout orientée vers les services à la population. L’économie résidentielle (les services aux particuliers, le commerce de détail, les activités financières et immobilières, ainsi que les services administrés – éducation, santé, action sociale principalement) y est largement dominante. Elle est suivie d’une économie industrielle, qui emploie environ le tiers de la population active. Le secteur éducation-santé-action sociale offre de loin les emplois les plus nombreux (19 % des emplois, majoritairement de catégories « professions intermédiaires » et « employés »). Dans les différents secteurs de l’industrie, viennent d’abord le commerce (12 % des emplois, majoritairement « employés » et « ouvriers ») et, seulement après, l’agriculture (11 % des emplois, dont deux tiers d’« agriculteurs exploitants » et un quart d’« ouvriers »), l’administration et la construction.

12En zone rurale, l’agriculture et l’industrie occupent une place plus importante que le secteur tertiaire. Or, ces trente dernières années, ces deux grands secteurs ont connu des taux de croissance moyens négatifs, entraînant des difficultés économiques. Dans le Nord et dans l’Ariège, par exemple, les territoires où la pauvreté est fortement présente sont – ou étaient – des territoires industriels. Dans le même temps, l’agriculture a réduit de façon drastique ses emplois. Mais, contrairement aux réductions d’emploi dans l’industrie qui ont mis au chômage les salariés, les réductions d’emploi dans l’agriculture se sont opérées en partie à l’occasion de départs en retraite d’agriculteurs.

13Les exploitants agricoles restent naturellement proportionnellement beaucoup plus nombreux dans l’espace rural, en particulier hors bourgs et petites villes.

14Toutefois, 40 % d’entre eux habitent dans l’espace urbain, majoritairement dans les couronnes périurbaines. Les agriculteurs exploitants en activité ne constituent au total qu’un peu plus de 7 % de la population en activité dans l’espace rural. Les cadres ainsi que les professions intellectuelles supérieures sont, en zone rurale, non seulement la catégorie la moins nombreuse, mais celle qui est proportionnellement la plus déficitaire. Contrairement à ce que tend parfois à suggérer la vision d’un nouveau travail à la campagne appuyé par les nouvelles technologies pour tous, les cadres et les intellectuels, concentrés à 75 % dans les pôles urbains, n’ont pas encore fait leur entrée massive dans le monde rural. Il apparaît aussi clairement que les personnes les plus qualifiées s’échappent toujours des territoires de pauvreté. Les cadres des entreprises fermées sont partis avec ces dernières, et les enfants qui vont étudier en ville ne reviennent plus par la suite, à la différence de ce qui se passait il y a quelques années encore.

15Les migrations de ménages venant de l’espace urbain tendent à accentuer la part de la population faiblement qualifiée. En effet, l’exode urbain est, pour une grande part, une migration de pauvreté, et les nouveaux arrivants tendent surtout à renforcer les professions faiblement qualifiées déjà dominantes, et notamment les employés. Les personnes sans activité professionnelle représentent plus de 30 % des nouvelles arrivées d’adultes de 15 à 65 ans.

Notes

  • [1]
    Source : Insee, recensements. Les chiffres suivants donnés dans cet article proviennent également de cette source.
  • [2]
    D’après la définition de l’Insee, cette notion recouvre les communes situées hors des aires urbaines (pôle urbain et couronne périurbaine), dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans plusieurs aires urbaines, sans atteindre ce seuil avec une seule d’entre elles, et qui forment avec elles un ensemble d’un seul tenant.

Source

Clothilde Roullier
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/06/2011
https://doi.org/10.3917/inso.164.0006
Pour citer cet article
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