1On se souvient que Cassandre, fille du roi Priam, possédait, selon Eschyle et Euripide entre autres auteurs, un don de divination portant principalement sur les « mauvaises nouvelles » ; ses prédictions et avertissements n’étaient jamais écoutés, ce qui conduisit Troie à sa chute.
2Sous un titre quelque peu ésotérique, La politique de Cassandre [*], Jean-Christophe Mathias, diplômé en philosophie à l’Université de Bordeaux et qui se présente comme « chercheur indépendant, artiste et paysan », se livre à une comparaison conceptuelle entre le principe de précaution et le principe de responsabilité qui, soutient-il, ne doivent ni être confondus ni surtout réduits l’un à l’autre.
3Se référant au philosophe allemand Hans Jonas (1903-1993), J.-C. Mathias inscrit sa réflexion dans le cadre d’une interrogation sur la notion de progrès. Le thème qu’il privilégie est le rapport de domination entre l’homme et la nature et son renversement lié au développement des techniques, qui génère des problèmes nouveaux et d’une ampleur sans précédent. Le pouvoir de destruction dont l’homme dispose désormais est à la fois sans limites dans l’espace (le nuage de Tchernobyl…) ni dans le temps (longévité des déchets issus de l’industrie nucléaire, irréversibilité de la présence d’organismes génétiquement modifiés dans l’espace naturel, prélèvements démesurés des ressources marines). Cela conduit, souligne l’auteur, à repenser l’éthique et la morale dans un cadre universel et non plus seulement « culturel ». La philosophie, note-t-il, « s’est depuis toujours occupée de l’action humaine, pour autant qu’il s’agissait d’une action d’humain à humain, mais elle ne s’est guère intéressée à l’homme en tant que force agissant au sein de la nature. Or voici que maintenant le temps en est venu ». Pour autant, le propos ne se réfugie pas dans l’abstraction ; il aborde au contraire des questions très concrètes et ancrées dans l’actualité, parmi lesquelles quelques-unes de celles qui ont guidé les débats lors du Grenelle de l’environnement en 2007 : responsabilité, développement durable, principe de précaution, gouvernance, etc. Pour J.-C. Mathias, la responsabilité politique ne consiste à intervenir ni en aval de la catastrophe, comme nous y oblige le développement technoscientifique, ni en amont de la catastrophe et en aval des causes de cette catastrophe, comme le voudrait le principe de précaution, mais en amont des causes de la catastrophe. Constatant que les questions relatives aux conditions du maintien de la vie sur la Terre sont très souvent de l’ordre de l’indécidable, parce qu’elles ne peuvent être appréhendées par la raison et qu’il n’y a pas de démonstration possible du devoir de protection de l’Homme et de la Nature, l’auteur en appelle à la mise en place d’une norme morale prenant la valeur de la vie du monde comme absolu et qu’il appelle la « politique de Cassandre ».
Note
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Mathias J.-C., La politique de Cassandre, Paris, éd. Le Sang de la terre, coll. « La pensée écologique », 254 p., 2009.