1Le cinéaste et photographe Raymond Depardon [*] propose un long documentaire sur la vie quotidienne de paysans vivant en moyenne montagne dans plusieurs départements (Lozère, Ardèche, Haute-Loire). Le motif de ce film est l’oubli dans lequel est tombé cette petite paysannerie. Parmi les personnages de cette galerie de portraits, il y a Marcelle, une veuve retraitée de 85 ans, dont le fils de 60 ans est mort peu de temps auparavant ; elle s’exprime prioritairement en occitan. Et Louis, 85 ans lui aussi, agriculteur à la retraite ; il s’occupe encore d’une dizaine de vaches mais un problème de santé le rend de moins en moins actif.
2La plupart des scènes tournées en intérieur montrent la prise de repas dans la cuisine. Un long plan fixe présente une famille composée de deux frères, Raymond et Marcel, respectivement 75 et 80 ans, et de leurs neveu et nièce, Alain et Monique, 44 et 40 ans. On les voit préparer leur petit déjeuner qu’ils prennent l’un après l’autre, dans un décor pauvre et rustique, imprégné de l’esthétique des années 1950 ou 1960 : meubles en Formica, assiettes et verres en Pyrex, gazinière et poêle à bois. Cette scène appartient à un autre âge, celui où les paysans composaient la majorité de la population ou, à tout le moins, représentaient les valeurs majoritaires de la France. Depardon a décidé de prendre son temps pour faire son film.
3Ses prises de vue s’étalent sur plusieurs années et le premier chapitre de son documentaire présente les prises de contact, avec ses silences et ses évitements de regard. Le cinéaste tient particulièrement à montrer la difficulté qu’il y a à filmer cette population.
4Paul, un célibataire de 55 ans qui vit dans sa ferme en Haute-Loire, fournit un bon exemple de ce parti pris. Depardon explique qu’il le connaît depuis dix ans, mais que les discussions se sont toujours passées dans la cour. C’est seulement au bout de cette longue période d’observation que Paul accepte de recevoir le cinéaste chez lui. Suit une scène d’anthologie où Paul, qui est particulièrement taiseux, prend son petit déjeuner en silence, face à la caméra.
5Les séquences d’extérieur présentent les différents acteurs dans l’ordinaire de leurs travaux. Quand Marcel mène ses brebis dans la montagne, pas de scène bucolique mais un long plan qui montre le paysan silencieux, se protégeant de la pluie, à l’abri sous un arbre.
6Lorsque Louis meurt, après un séjour en maison de retraite, tout le village est présent à son enterrement. Il est inhumé selon le rite protestant, dans un champ proche de sa ferme, près d’autres membres de sa famille.
7Dans un?bonus du DVD, Depardon revient sur le tournage de ce film. Il explique que, pour lui, ce fut le film le plus dur à réaliser car il tenait à filmer le moins possible pour ne pas déranger ses « acteurs ». Contrairement à d’autres productions, il faisait peu de prises et n’a pas eu recours à de multiples versions pour le montage final. En fait, au-delà du documentaire, Depardon a tourné également un film autobiographique. Lui-même issu d’une famille paysanne de cette région, il a choisi l’exode rural et la vie urbaine. Ce film sur les paysans oubliés par notre société porte aussi sur le propre oubli que l’auteur a eu de ses racines.
Note
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[*]
Raymond Depardon, Profils paysans, La vie moderne, Arte Vidéo, 2001/2004.