Vieillir pour soi sous le regard des autres
« Des vieillesses en solitude. Trajectoires et expériences de solitude après la retraite », Arnaud Campéon. Thèse pour le doctorat de sociologie, Laboratoire Centre de recherche Individus, Épreuves, Sociétés, EA 3589, Université Lille III - Charles de Gaulle, Domaine universitaire du « Pont de Bois », Rue du barreau BP 60149, 59653 Villeneuve-d’Ascq Cedex, décembre 2010, 540 p.
1Nous le savons bien, la réforme du système de retraites ne pouvait s’expliquer que par l’appel à des arguments démographiques : les français vivent de plus en plus longtemps, il est dont normal qu’ils allongent leur temps de travail. Nous entrons tout droit dans un débat sur la prise en charge de la dépendance en recourant à des arguments médicaux : le vieillissement se traduit par une dégradation physique laquelle entraîne nécessairement des formes de dépendance. La mise sur agenda politique ne supporte pas la complexité et la succession des causes et des conséquences doit s’opérer implacablement. Dans une passionnante, et bien écrite, thèse, Arnaud Campéon démontre que les relations entre les phénomènes sociaux sont plus complexes que les débats du 20 heures ou de l’Assemblée nationale ne le laisse supposer. Béatrice a 84 ans, ancienne cadre d’entreprise, elle est veuve depuis trois ans. Angélique a 85 ans, divorcée à l’âge de 59 ans, elle se sent malheureuse et aimerait bien « se coucher et ne pas se réveiller ». Henri à 82 ans, veuf depuis une trentaine d’années, il a appris à vivre seul et à se débrouiller. Ces quelques personnes et bien d’autres rencontrées par Arnaud Campéon montrent qu’il ne faut pas parler de la solitude de manière univoque mais que celle-ci est vécue de façon très différente selon les personnes. Si pour une large partie des personnes rencontrées dans cette recherche, la solitude renvoie à la mélancolie, la tristesse ou la souffrance, elle est pour d’autres totalement assumée. Loin des explications psychologisantes, l’auteur de cette thèse montre que le vieillissement et ses façons de le vivre s’enracinent dans des expériences collectives, fruits de l’histoire et des épreuves communes. Mais le vieillissement n’est pas que la solitude, c’est aussi une étrangeté au monde, lorsque tout paraît plus éloigné, moins intéressant, cette étrangeté va jusqu’à faire de la personne une étrangère à elle-même. Mais là encore, ce mécanisme de vieillissement n’est pas totalement distinct des histoires de vie et des trajectoires sociales. Ainsi, il n’y aurait pas d’un côté des jeunes seniors fringants de voyages et de loisirs et de l’autre des personnes dépendantes et isolées, mais plutôt des organisations collectives de vie qui permettent au-delà de l’avancée en âge et de la maladie, de vivre différemment ces dernières années. Réf. 1615
Médecins du Monde, consultations françaises
« Rapport 2009, observatoire de l’accès aux soins de la mission France », Georges Fahlet, Françoise Cayla. Médecins du monde, Mission France, Observatoire de l’accès aux soins, 62, rue Marcadet, 75018 Paris, octobre 2010, 222 p., www.medecinsdumonde.org
2Réalisé pour la septième année consécutive avec l’Observatoire régional de la santé de Midi-Pyrénées, le denier rapport de l’observatoire de l’accès aux soins de la Mission France de Médecins du Monde dresse un constat très âpre de l’impact des politiques de sécurité et d’immigration sur le travail de prévention, de réduction des risques, d’accès aux soins, et plus globalement sur l’accès aux droits des personnes qui recourent aux centres d’accueil, de soins et d’orientation de l’association. La tendance à l’augmentation des consultations médicales amorcée en 2008 se poursuit en 2009 et concerne surtout des mineurs, des personnes vivant à la rue et des demandeurs d’asile. Effet probable de la crise financière et économique, les équipes de Médecins du monde voient arriver dans leurs centres des personnes dont les ressources sont au dessus des plafonds leur permettant d’accéder à la CMU complémentaire, mais trop faibles pour recourir aux services d’une mutuelle. Les personnes accueillies sont plutôt jeunes et sont très majoritairement étrangères, même si 20 % de ces étrangers résident en France depuis plus de trois années. L’absence de domiciliation, les barrières linguistiques, la méconnaissance des droits et les difficultés financières constituent pour cette population les obstacles les plus fréquemment cités pour l’accès aux soins. Ces blocages, auxquels il faut ajouter, l’existence de refus de soins et la peur des arrestations ont pour conséquence une nette augmentation du retard de recours aux soins. En vertu de la convention de l’ONU du 20 novembre 1989, convention ratifiée par la France, les mineurs devraient pouvoir bénéficier d’une protection quasi-totale, or près de 12 % des patients reçus par Médecins du monde sont des mineurs souffrant de pathologies respiratoires, d’épilepsie, et parfois de cardiopathies. Réf. 1616
Compter pour les associations
« Connaissance des associations », Edith Archambault, Jérôme Accardo, Brahim Laouisset. Rapport du groupe de travail du Conseil national de l’information statistique, 18 boulevard Adolphe Pinard, 75675 Paris Cedex 14, n° 122, 112 p., décembre 2010, www.cnis.fr
3Au cours des 10 dernières années, quelques 70 000 associations ont été crées chaque année. Ce chiffre n’était que de 20 000 dans les années soixante et de 30 000 dans les années soixante-dix. Contrairement à bien des idées reçues, l’univers associatif est en forte croissance. Il s’agit là d’une véritable évolution dont on ne prend pas véritablement la mesure. La seconde conférence nationale de la vie associative avait recommandé en 2009 qu’un rapport du Cnis soit consacré à l’analyse des statistiques disponibles pour rendre compte de la vie des associations. Ce n’était pas la première fois qu’une telle demande était formulée par les associations qui peinent à faire reconnaître leur poids par les pouvoirs publics.
4Ce rapport est maintenant disponible. Il confirme qu’en l’absence d’un recensement et d’obligations administratives plutôt légères, l’univers associatif reste mal connu. Certes, il existe bien un répertoire national, mais celui-ci n’enregistre que les déclarations et les dissolutions déclarées. S’agissant de l’emploi des associations, celui-ci représente près de 8 % de l’emploi total et les données sont plus fiables, surtout pour les associations du secteur sanitaire et social qui représentent la moitié des emplois. En revanche, le système statistique public reste entièrement défaillant dès qu’il s’agit de prendre en compte l’importance et la nature du bénévolat. Le Cnis recommande de réaliser tous les cinq ans une enquête nationale sur la vie associative et particulièrement sur les ressources des associations. Cette démarche pourrait être complétée par la création d’un compte national capable d’apprécier le poids économique du secteur associatif. Enfin, le Cnis insiste sur la nécessité de rendre compatible les travaux français sur les associations et les recherches conduites dans les autres pays européens et à l’international sur les ONG (Organisations non gouvernementales) et les ISBL (Institutions sans but lucratif). Réf. 1617
Dépendance et insécurité financière
« La maltraitance financière à l’égard des personnes âgées dans les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux », Alain Kolas, Véronique Desjardins, Jean-Pierre Médioni. Rapport réalisé à la demande du Médiateur de la République, 7, rue Saint-Florentin, 75008 Paris, février 2011, 81 p., www.mediateur-republique.fr
5Des petits larcins au domicile jusqu’aux dons et legs extorqués par malice, en passant par les prêts forcés, les assurances-vie démarchées avec insistance et les surfacturations, les formes de maltraitance financière semblent innombrables. Le rapport d’Alain Kolas et de ses collègues fonctionne un peu sur ce modèle. On regrettera qu’il laisse de côté la réalité et l’importance de ces pratiques délictueuses à l’intérieur des établissements comme au domicile des personnes âgées, pratiques dont on sait, par ailleurs, qu’elles sont assez mal documentées. En revanche, les réponses apportées au problème et principalement la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs sont analysées avec finesse. Les auteurs du rapport en montrent les enjeux, ils en définissent les différentes mesures et surtout indiquent que cette loi mériterait d’être mieux connue tant par les professionnels chargés de la mettre en œuvre que par les personnes à protéger et leurs proches. De très nombreuses recommandations viennent clore ce rapport. À plusieurs reprises, les auteurs esquissent une réflexion sur les notions de fragilité et de vulnérabilité des personnes, notions dont on devine qu’elles pourraient aller au-delà de la seule réforme des régimes de protection des majeurs. Réf. 1618
Entre la rue et le chez soi, le hall
« Halls d’immeubles, du regard à l’action », Collectif. Compte rendu du colloque organisé le 15 octobre 2009 par la mairie de Paris et le Réseau des villes correspondants de nuit et de médiation sociale, 38, rue de Liancourt, 75014 Paris, juin 2010, 95 p.
6Pas encore la rue, mais plus du tout le domicile, entre lieu public et espace privé, le hall d’immeuble est devenu dans de nombreux endroits d’habitat groupé, un entre deux propice aux apprentissages de la vie collective et à la découverte du groupe des pairs. À ces fonctions naturelles, même si leurs débordements sont parfois mal vécus par les autres résidents, s’ajoutent parfois des usages plus litigieux lorsque le hall se transforme en salle de prédication, ou en zone de revente ou de libre échange de produits illicites. Le hall est alors la partie la plus visible d’une zone grise qui peut comprendre les locaux techniques, les caves ou les garages. Dans ces halls les médiateurs et les correspondants de nuit, nouvelles variétés de professionnels, rencontrent des groupes composés de garçons et de filles dont les âges varient de 25 à 40 ans, pouvant être accompagnés de mineurs de 12 à 15 ans. Si certains regroupements sont plutôt conviviaux, d’autres tissent des rapports qui rendent très difficile voire impossible tout dialogue. Lieu de sécurité pour ces groupes, endroit où l’on peut fumer, boire, discuter sans être dérangé, cet investissement des halls qui ne date pas de ces dernières années est en revanche moins bien supporté et surtout devient le terrain des politiques de type sécuritaire. La majorité des acteurs qui ont participé au colloque organisé par le Réseau des correspondants de nuit et de médiation sociale ont mis l’accent sur l’importance d’une présence humaine manifestant par là même un certain recul par rapport à l’usage des outils de vidéo surveillance. L’instauration par la loi de sécurité intérieure de mars 2003 d’un délit d’occupation de hall d’immeubles est jugée inapplicable par la plupart des intervenants. Réf. 1619
Archives de l’éducation spécialisée
« La protection de l’enfance, Ecrits protégés, écrits ignorés », Collectif. Actes de colloque, Conservatoire national des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée, 63 rue Croulebarbe, 75013 Paris, diffusion La Documentation française, octobre 2010, 229 p.
7Créé en 1994 à l’initiative de militants de l’éducation spécialisée et d’historiens, le Conservatoire national des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée (Cnahes) s’est donné pour objectifs de rechercher et de recueillir dans toute la France les archives privées et les témoignages des premiers acteurs du secteur de l’éducation spécialisée et du travail social, de mettre en valeur ces archives par l’organisation de colloques, d’expositions et de rencontres. L’université d’Angers a accueilli dès 1994 les premiers fonds d’archives confiés au Cnahes. Un partenariat a été engagé par le conservatoire avec la direction des Archives de France afin de valoriser la sauvegarde et la communication de ces matériaux dans les meilleures conditions possibles. La publication à la Documentation française des actes des journées d’études organisées dans le cadre de ce partenariat constitue une avancée de premier ordre. En effet, si jusqu’alors le Conservatoire fournissait de manière ponctuelle des conseils et des aides aux détenteurs d’archives qui ne souhaitaient pas voir périr leur histoire, ces journées d’études apportent une véritable assistance méthodologique et une mine d’exemples. Les principales sources sont rappelées, des archives de la Protection judiciaire de la jeunesse aux archives des services de l’aide sociale à l’enfance en passant par des fonds particuliers. Plusieurs études de cas portant sur les dossiers personnels des pupilles ou des écrits des professionnels dans les dossiers du tribunal pour enfants de la Seine apportent d’utiles éclairages sur les façons d’aborder des matériaux. Plusieurs communications sont consacrées au cadre législatif et aux enjeux sociaux de la communication des dossiers individuels des mineurs. La déontologie de la recherche en matière de dossiers individuels est traitée avec une grande rigueur. Réf. 1620
Handicap, la compensation n’est pas toujours au rendez-vous
« Bilan du fonctionnement et du rôle des maisons départementales des personnes handicapées », Christine Branchu, Michel Thierry, Aurélien Besson. Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, novembre 2010, 56 p., téléchargeable sur www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/
8L’Igas oscille toujours entre des fonctions traditionnelles d’inspection et celles, plus récentes et moins stabilisées, d’évaluation. On ne s’étonnera pas alors de voir un rapport sur les maisons départementales des personnes handicapées utiliser d’une page à l’autre et indifféremment les termes de bilan et d’évaluation. En fait, ce rapport propose surtout une analyse des forces et des faiblesses de cette création de la loi de 2005 sur le handicap. Au rang des réussites, le rapport mentionne les progrès réalisés dans l’accueil et l’instruction des demandes, la meilleure continuité de la prise en charge à tous les âges éliminant une grande partie des ruptures anciennes entre les Cotorep et les commissions départementales de l’éducation spéciale. En revanche, des décisions d’orientation restent inadéquates, en particulier pour les enfants, les capacités d’accès à l’emploi peinent à être solidement diagnostiquées, la prestation de compensation du handicap n’est pas elle non plus suffisamment définie. Plus grave, les Maisons du handicap souffrent d’une grande complexité et d’une insécurité de gestion. Si l’État a tenu ses engagements en matière de frais de fonctionnement, en revanche les emplois des personnels n’ont pas toujours été intégralement financés, ce qui conduit aux difficultés actuellement rencontrées. L’une des solutions pourrait résider dans le transfert intégral des maisons aux collectivités locales, mais celles-ci, déjà largement échaudées par d’autres dossiers comme le RSA et la dépendance, ne se précipitent pas sur cette idée. Réf. 1621
Banques : la discrimination par l’emploi
« Les conditions d’accès aux services bancaires des ménages vivant sous le seuil de pauvreté », Pauline Jauneau, Christine Olm. Crédoc, 142 rue du Chevaleret, 75013 Paris, février 2010, 221 p.
9Réalisée par le Crédoc à la demande du Comité consultatif du secteur financier cette étude qui visait à dresser un état des lieux des conditions d’accès aux services bancaires et des conditions d’usage de ces services par les ménages en situation de pauvreté a permis d’interroger par téléphone ou en face à face un échantillon de 1 792 ménages à bas revenus ou titulaires d’un minima social. Les résultats de ce premier échantillon ont été confrontés aux informations obtenues auprès d’une population de 800 ménages représentatifs de l’ensemble de la population. Enfin, ces résultats sont confrontés à ceux d’une précédente enquête datant de 2001. La comparaison à 8 années d’écart montre la forte hausse de l’accès aux services bancaires même si les ménages les plus pauvres restent moins nombreux que les autres à disposer d’un compte épargne, d’un chéquier ou d’une carte de crédit. S’agissant des préconisations, l’équipe du Crédoc insiste sur la nécessaire poursuite de l’information des usagers, en particulier sur le coût des différents moyens de paiement. Si ces résultats pourraient paraître intéressants car témoignant d’un recul de la discrimination liée à la pauvreté, les auteurs de l’enquête montrent aussi que l’accès aux services bancaires, à ressources égales, est d’autant plus difficile que les personnes sont sans emploi. Discrimination des banques ou plus grand isolement lié au non emploi, l’hypothèse mériterait des investigations complémentaires. Réf. 1622
Budgets familiaux très contraints
« Ressources, crise et pauvreté », Dominique Saint-Macary. Rapport 2009 réalisé à partir des statistiques d’accueil. Secours catholique, Département Enquêtes et analyses statistiques, novembre 2010, 80 p., www.secours-catholique.org
10Poursuivant le travail de collecte des informations sur la pauvreté des personnes accueillies par ses équipes, le Secours catholique propose un nouveau rapport qui montre une réelle augmentation des demandeurs d’aide. Cette augmentation est liée aux effets de la crise mais aussi à une plus grande mobilisation des bénévoles. D’une année sur l’autre, le nombre d’étrangers augmente dans les accueils, les demandeurs sont un peu plus jeunes et surtout le Secours catholique met l’accent sur l’augmentation du nombre des couples avec enfants. Si la situation des inactifs reste stable, en revanche, et l’on retrouve bien là un effet de la crise, la proportion des chômeurs, surtout jeunes, est en augmentation régulière. Chaque année, le Secours catholique regarde la pauvreté en utilisant un angle différent. L’étude des budgets familiaux est au cœur du rapport 2010. Il ne s’agit pas de présenter des budgets moyens ou des budgets types, pour reprendre des méthodologies bien éprouvées, mais plutôt de mesurer les budgets réels des familles. Cette approche, très intéressante, conduit à mettre en valeur la notion de reste à vivre après que les dépenses contraintes comme le loyer et les assurances aient été enlevées. Cette notion de reste à vivre devrait être au centre des débats de nombreux travaux à venir sur la mesure de la pauvreté. Réf. 1623