CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’offre de services aux familles constitue, pour de petites communes rurales, un argument de poids pour convaincre les parents de rester vivre au « pays » et en inciter d’autres à venir s’y installer. Les élus de la Creuse ne s’y trompent pas. Soucieux de lutter contre la désertification de leurs territoires, ils travaillent en étroite relation avec la caisse d’Allocations familiales (Caf) pour développer des structures d’accueil de la petite enfance.

2Sur de nombreux points, le rural s’oppose à l’urbain. Est-ce le cas en matière d’attentes et de besoins des familles ?

3Non, pas du tout. Bien sûr, en termes de densité de la population et de possibilités de se déplacer, il n’est pas équivalent de vivre dans un département comme la Creuse, dont l’espace est à 70 % rural, ou de résider dans de grands centres urbains tels Paris, Lyon ou Marseille. Par ailleurs, nous avons un taux d’activité des femmes et un taux de natalité inférieurs aux taux nationaux. Mais à part ça, les évolutions des modes de vie sont du même ordre. Ainsi, les couples sont souvent biactifs et, dès qu’ils ont un enfant, la question des possibilités de garde se pose à eux. Une petite différence subsiste, néanmoins, entre les deux milieux de vie : les solidarités familiales sont un peu plus vivaces chez nous qu’en zone urbaine. Encore que la population ne soit pas uniquement composée de gens enracinés sur leur terre natale. Différents publics font le choix de venir habiter en Creuse. C’est notamment le cas de « rurbains » qui travaillent en région parisienne, située à deux heures et demie d’ici. Nous connaissons, d’autre part, de plus en plus de phénomènes de mobilité professionnelle, à la fois parce que le département est très administratif et que des agents y sont mutés, et parce que nos petites entreprises font venir des personnels qualifiés. C’est là où l’on rejoint la problématique de la petite enfance et le rôle de la Caf : nous mettons en place des services aux familles sur les secteurs où il y a du développement économique, comme ceux de Boussac, dans le nord-est du département, et de La Souterraine, à l’ouest. Les entreprises et les collectivités locales ont bien compris qu’il s’agissait d’une condition indispensable pour inciter de jeunes couples à venir s’installer – comme pour éviter que les natifs s’en aillent.

4Quels sont les services que vous contribuez à promouvoir??

5En Creuse, comme partout en France, ce sont les assistantes maternelles qui, après les parents, constituent le principal mode de garde des enfants de moins de 3 ans. Cette formule individuelle ne correspond pas forcément aux desiderata des parents, qui ont une image de l’accueil collectif comme susceptible d’être plus adapté à leurs aspirations en matière d’éducation. Mais les établissements d’accueil collectif sont des équipements onéreux et ils doivent être implantés à un endroit précis, qui n’est pas forcément proche du lieu d’habitation des familles. Objectivement, par rapport à nos problèmes de densité démographique et de mobilité géographique, les assistantes maternelles, dispersées sur le territoire, répondent mieux aux besoins de la population. D’autant qu’en milieu rural, la proportion de parents ayant des horaires de travail atypiques est relativement élevée. Seules les assistantes maternelles sont en mesure d’offrir aux familles des plages d’accueil suffisamment souples. Dans une crèche, quand pour un ou deux enfants concernés vous êtes obligés, par sécurité, d’avoir deux agents, cela coûte évidemment très cher. Partant de ces constats et soucieux d’assurer l’égalité d’accès aux services, nous avons maillé l’ensemble du territoire de Relais d’assistantes maternelles (Ram). Essentiellement financés par la Caf et par les collectivités locales dans le cadre de Contrats enfance jeunesse, les Ram présentent l’intérêt d’être non seulement des lieux d’information pour les parents qui sont à la recherche d’un mode de garde, mais aussi des lieux de regroupement et de professionnalisation pour les assistantes maternelles. Celles-ci peuvent ainsi rompre leur isolement et enrichir leurs compétences avec l’animatrice de la structure. Parallèlement, les enfants bénéficient de temps d’accueil collectif.

6La Creuse compte-t-elle de nombreux Relais d’assistantes maternelles ?

7Il y en a actuellement sept, qui couvrent environ 80 % des territoires, et une proportion identique d’assistantes maternelles. Les secteurs qui ne sont pas touchés – du moins pas encore – sont des secteurs où la population est très clairsemée et où il y a très peu d’enfants. En contrepartie, les Ram ont de très vastes zones d’intervention, ce qui est une des caractéristiques et une des difficultés du milieu rural.

8Les Ram sont-ils situés dans des communes relativement importantes ?

9Pour aller au plus près de la demande, certains d’entre eux sont itinérants. Nous avons notamment l’expérimentation du « Roul’doudou » dans la communauté de communes d’Aubusson-Felletin. Celle-ci regroupe dix-huit communes, soit 11 593 habitants pour un territoire d’environ 330 km2. Cette structure, qui a reçu le premier prix de l’innovation sociale en avril 2010 lors du Salon des professionnels de la petite enfance, dispose d’un lieu d’accueil fixe à Aubusson. En dehors de celui-ci, le relais prend la forme d’un camping-car aménagé bien identifiable, qui se rend selon un calendrier régulier (hebdomadaire ou bimensuel) dans les différentes collectivités participantes. Ces dernières mettent à la disposition du relais une salle où se déroulent les temps collectifs avec les enfants et les regroupements d’assistantes maternelles. Le camping-car, lui, est conçu pour que parents et assistantes maternelles puissent rencontrer l’animatrice en toute confidentialité, mais aussi pour que les assistantes maternelles disposent ainsi d’un endroit tranquille, adapté aux normes de la PMI, pour faire dormir, changer ou nourrir un bébé. Au vu de l’intérêt du Roul’doudou, une autre communauté de communes, celle du Haut Pays Marchois, a contractualisé avec Aubusson-Felletin et participe au financement de la structure. Celle-ci a ainsi pu créer un second poste et, les jours où le Ram est à son point fixe d’Aubusson, le Roul’doudou et sa deuxième animatrice se rendent dans plusieurs communes qui n’étaient pas desservies auparavant. Courant 2011, deux nouveaux services itinérants vont être lancés : dans le secteur d’Ahun-Pontarion et, au nord de la Creuse, dans une partie du département qui est limitrophe à l’Indre.

10Quelles sont les collaborations entre les Caf de la Creuse et de l’Indre ?

11Nous travaillons en visant une cohérence des bassins de vie. À cet effet, il faut que nous, Caf, dépassions nos logiques administratives. Ainsi, il existe une structure multiaccueil pour la petite enfance à Aigurande, dans l’Indre, et nous-mêmes développons, en complément, un Relais d’assistantes maternelles itinérant, associé à une halte-garderie organisée dans une salle mise à sa disposition par les collectivités. Ce service se déplacera dans neuf communes afin de dynamiser le réseau des assistantes maternelles et de répondre à des besoins d’accueil occasionnel ou régulier à temps partiel. Le but est d’optimiser la structure petite enfance de l’Indre, en sachant que même si on habite en Creuse, c’est à Aigurande, la « ville centre », que l’on va travailler et faire des démarches. Or, la structure d’Aigurande ne fonctionnait pas à 100 % alors que nous avions, nous, deux communautés de communes limitrophes – celles de Marche Avenir et des Deux Vallées – qui souhaitaient mettre en œuvre des projets petite enfance. Ils seraient forcément entrés en concurrence avec le multiaccueil de l’Indre. Les conseillers techniques des deux Caf ont donc travaillé avec leurs communautés de communes respectives pour qu’elles puissent cofinancer des services complémentaires. L’idée est de prendre en compte les zones d’attractivité existantes, peu importent les limites administratives des territoires. Nous faisons la même chose sur le plateau de Millevaches, qui est un parc naturel à cheval sur la Corrèze et la Creuse. Avec nos collègues de la Caf de Corrèze, nous avons établi des Contrats enfance jeunesse communs et développé ensemble des services aux familles, parce qu’il y a aussi bien des familles de la Creuse que de la Corrèze qui en bénéficient. Malgré une densité de population très faible sur le plateau de Millevaches – quatre habitants au km2 –, une crèche de douze places, un centre de loisirs et un accueil périscolaire ont ainsi pu être montés. Il y a là une vraie dynamique territoriale, parce que les élus se sont mobilisés et que nous avons trouvé les solutions administratives et financières à même de soutenir leur volonté.

12Le volontarisme politique est essentiel en la matière ?

13C’est évident car, à la différence du milieu urbain, la dispersion de la population nuit à la lisibilité des besoins et vous pouvez toujours dire de ces derniers qu’ils ne sont pas suffisants. Ce volontarisme a partie liée avec le souci de développement économique des territoires. À cet égard, le maintien des populations, voire la venue de nouveaux habitants, est déterminant.

14Précisément, quand il s’agit d’implanter un service destiné aux familles, chaque commune ou communauté de communes ne souhaite-t-elle pas le faire chez elle ?

15Si, bien sûr, c’est pour cela qu’il est un peu long et difficile de faire émerger des projets communs. On doit dépasser cet esprit de clocher parce qu’il faut un taux d’occupation minimal – c’est bien notre problème en milieu rural. Faute de quoi, la création de structures pour la petite enfance coûte trop cher aux collectivités, et également à la Caf. Il est normal que notre accompagnement financier soit assorti d’exigences en termes de qualité, mais aussi de quantité. Mais il peut y avoir beaucoup de tirage entre les parties prenantes pour se mettre d’accord sur le lieu d’implantation de la structure. C’est aussi cela la réalité du milieu rural… Sur ce plan-là, nous avons un rôle d’appui à jouer auprès des collectivités. Les petites communes, en particulier, doivent comprendre que, étant donné leur taille et leurs moyens financiers, la création de services aux familles ne peut se faire qu’au niveau de communautés de communes. Cela a été pris en compte par les politiques d’aide à l’investissement des Caf. Par exemple, quand c’est une communauté de communes, et non une commune, qui met en place une microcrèche, elle perçoit un bonus financier de plus de 1 000 euros par place créée. Cet argument sonnant et trébuchant contribue à convaincre les maires de se dessaisir de la compétence petite enfance au profit des communautés de communes. Mais persuader les collectivités de développer des structures d’accueil pour la petite enfance ne suffit pas ; elles n’ont pas forcément de personnel dédié à la politique enfance jeunesse et, là aussi, nous intervenons. L’accompagnement technique, le montage financier et les prévisions budgétaires, c’est la Caf qui s’en charge. Nous remplissons une fonction essentielle, longue et compliquée d’ingénierie sociale.

16Vous travaillez aussi en lien avec le Conseil général et la Mutualité sociale agricole (MSA) ?

17Avec le Conseil général et la MSA, nous sommes vraiment dans un travail partenarial. Comme nos trois institutions sont de petits services, mais avec les missions pleines et entières de telles institutions, il est impossible de les assumer sans s’entraider. Le fait de se connaître nous permet cette collaboration de proximité. Ainsi, nous nous sommes réparti les compétences et les territoires en désignant des « pilotes » par domaine. En ce qui concerne la petite enfance et le développement des modes d’accueil, même si chacune de nos institutions conserve ses compétences et ses délégations, c’est la Caf qui coordonne. Ce rôle de coordination des acteurs figure dans le « Schéma départemental de l’enfance et de la famille », qui est un document contractuel obligatoire élaboré par le Conseil général. Nous assurons aussi l’animation et le secrétariat de la Commission départementale d’accueil du jeune enfant, qui est une commission présidée par le Conseil général et coprésidée par la Caf. Gagner en efficacité et en efficience, tel est le but de ces accords de méthode sur un pilotage commun.

18Nous tendons vers une logique de guichet unique pour rendre plus simples nos dispositifs envers les collectivités. Dès qu’une commune ou une communauté de communes a un projet petite enfance, nous souhaiterions qu’elle contacte la Caf afin de gérer en interne l’articulation avec nos collègues de la PMI, de la MSA… Ainsi, s’agissant des financements de la Caf et de la MSA, nous nous sommes mis d’accord pour que les structures et collectivités n’aient qu’un seul dossier à remplir. Une fois que ce dossier est traité par la Caf, il sert pour le traitement par la MSA. Nous sommes également en train de réfléchir à une politique commune de contrôle des financements – quand on contrôlerait pour la Caf, on contrôlerait aussi pour la MSA.

19Nous sommes vraiment, là, dans une politique de cohérence et de simplification pour l’usager – en l’occurrence, pour la collectivité ou la structure. Conseil général, Caf et MSA, nous avons à cœur d’avoir une égalité de traitement pour les familles. Le but est que l’ensemble du territoire soit couvert par les services et que ceux-ci ne se fassent pas concurrence. C’est, par exemple, la raison pour laquelle nous avons été conduits à donner un avis défavorable à un projet de jardin d’éveil sur un secteur où une structure petite enfance venait d’être financée.

20Beaucoup de jardins d’éveil ont-ils vu le jour en Creuse ?

21Non, il n’y en a aucun. Les élus n’y sont pas favorables, car ils redoutent que les jardins d’éveil – payants pour les familles – mettent en péril le maintien de classes maternelles qui accueillent les enfants de 2 ans. Et de fait, leur taux de scolarisation est très élevé. Les microcrèches, en revanche, constituent une formule bien adaptée au département. Sept structures sont créées ou vont bientôt démarrer, ce qui est important au regard de l’existant. Ces équipements ont pour cadre des communes qui, jusqu’à présent, ne voulaient pas entendre parler de crèches traditionnelles, trop onéreuses. Les différentes mesures réglementaires d’assouplissement relatives aux microcrèches ont eu un effet de levier pour emporter la décision des collectivités locales, mais il est toujours long de faire sortir de terre de nouvelles structures.

22Pour accueillir les écoliers en fin de journée, le mercredi et pendant les vacances, le département s’est-il doté de nombreux équipements périscolaires ?

23Oui. Les communes et communautés de communes sont d’autant plus sensibles à la question du périscolaire qu’elles ont des obligations à exercer en matière de scolarité primaire (regroupements scolaires, entretien des bâtiments, etc.), alors que l’accueil de la petite enfance est, pour elles, une compétence facultative. Les élus se disent qu’en proposant des services complémentaires à l’école, ils inciteront les parents à scolariser leurs enfants dans celle-ci et lutteront ainsi contre les fermetures de classes. Dans ce domaine également, nous invitons les collectivités à se regrouper, mais les rivalités peuvent être très fortes, même à l’intérieur de communautés de communes. Ce qui explique que certains élus clairvoyants soient preneurs de microcrèches. Ils ont vu que s’ils en avaient une, les tout-petits fréquenteraient peut-être ensuite l’école maternelle de la commune, même s’ils n’y habitent pas. Maintenir un minimum de services constitue un enjeu important en milieu rural. En contribuant à la lutte contre la désertification, les Caf jouent à cet égard un rôle important.

Entretien avec
Marie-Claire Laurent-Sanna
Directrice de la Caf de la Creuse
Propos recueillis par
Caroline Helfter
Journaliste
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Mis en ligne sur Cairn.info le 29/06/2011
https://doi.org/10.3917/inso.164.0110
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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