CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les campagnes françaises se repeuplent, mais de façon différente selon les régions. Cette renaissance profite surtout aux territoires que leur proximité avec un centre urbain dynamique rend attractifs. Elle est plutôt le fait de retraités actifs et de familles avec enfants, les jeunes adultes étant les moins représentés.

2« Agricole », « vieillissant », « pauvre », « peu animé », « en voie de désertification », tels sont les mots prononcés, voici à peine une quinzaine d’années, par des étudiants démarrant un cycle de formation en aménagement pour caractériser les zones rurales lors d’exercices de recueil de perceptions spontanées. Bien que le livre de Bernard Kayser, La renaissance rurale (1990), eût déjà été publié, les représentations dominantes étaient encore marquées par plus d’un siècle d’exode rural et par les déqualifications de ces espaces qui s’ensuivirent. Aujourd’hui, les regards changent sur ces territoires au point de leur conférer un statut mythique. La cote d’amour de la campagne est en forte hausse et nombre de nos compatriotes (et de voisins européens) déclarent souhaiter s’y installer.

3Qui habite en milieu rural ? Cette question de départ fait entrer dans une problématique complexe. Est-on bien passé du déclin démographique à la « renaissance » des territoires ruraux ? Cette dynamique concerne-t-elle l’ensemble de ces espaces ? Quelles recompositions sociales s’opèrent dans les campagnes ? Qui sont les ruraux d’aujourd’hui et ces nouveaux habitants qui s’installent en ces lieux ? Plutôt âgés ou encore actifs ? Riches ou pauvres ? Mènent-ils à la campagne leurs activités professionnelles ou celle-ci n’est-elle pour eux qu’un espace résidentiel ?

4Au-delà des mutations démographiques, sociales et professionnelles des nouvelles ruralités, qu’une littérature étoffée décrit avec précision, se posent aussi des questions sur les raisons qui poussent à choisir la campagne comme espace résidentiel (Farinelli, 2009) et sur les enjeux de telles évolutions. Les exemples des départements du Sud-Ouest, et notamment celui des Hautes-Pyrénées, serviront d’illustration. Bien des nuances, propres aux spécificités des territoires ruraux des diverses régions de l’Hexagone, seraient à apporter ; mais dans un court article, ce n’est guère possible.

5Deux remarques préalables. Premièrement, parler d’espace rural au singulier ne convient pas. Ces territoires ne sont pas homogènes. Le «?rural quasi périurbain?» ne se confond pas avec le rural éloigné, isolé.

6Deuxièmement, la définition des espaces ruraux ne s’est stabilisée que récemment, à la suite des travaux de l’Insee. Du simplisme antérieur – les « communes de moins de 2 000 habitants »?–, on est passé par des étapes conceptuelles et opératoires afin de caractériser les différents types d’espace, pour parvenir au classement actuel en aires urbaines, au nombre de 354. Notons tout de suite que les espaces ruraux correspondent à « ce qui reste », à ce qui n’appartient pas aux aires urbaines. Beaucoup de communes naguère dites « rurales » appartiennent aujourd’hui aux aires urbaines [1] en raison de l’étalement des villes, bien sûr, mais aussi en raison de la localisation dans les villes des emplois de leurs habitants (voir encadré).

Une sous-représentation des espaces ruraux ?

La nomenclature de l’Insee sur les types d’espaces se fonde sur une logique, celle de la localisation des emplois (40 % des actifs travaillent dans un pôle urbain). Autour des métropoles, la cartographie fait apparaître des zones immenses (démesurées ?) qui appartiennent aux aires urbaines. L’espace périurbain est censé couvrir le tiers de la superficie de la France métropolitaine…
Dans certains de ces espaces périurbains, le couvert végétal, c’est-à-dire une physionomie paysagère associée aux perceptions communes de la ruralité, est omniprésent (prés, champs, forêts). Lors d’enquêtes menées dans le Sud-Ouest, des habitants interrogés demeurant en ces lieux ont été fort surpris d’apprendre qu’ils résidaient dans des aires urbaines. Ce classement débouche sur des « bizarreries » : ainsi, seulement 63 % des agriculteurs travaillent en espace rural. La question n’est pas anodine. Le « rétrécissement » du rural réduit le nombre de ses habitants à onze millions ; ils auraient été seize selon les anciens découpages.

Les ruraux d’aujourd’hui : plus nombreux, surtout dans les régions « attractives »

7Onze millions de ruraux, tel est le chiffre donné pour 2006 concernant la France métropolitaine, soit 18 % de la population totale. Le déclin démographique du monde rural avait duré plus d’un siècle (1860-1980). Entre 1982 et 1999, cette population avait stagné, les prémices d’un regain n’affectant qu’une part des régions rurales. Depuis le début du XXIe siècle, la croissance de la population y est identique à la moyenne nationale : + 0,7 % par an. Vivent à la campagne 72 300 habitants de plus chaque année. Ce qui frappe à l’observation des données, c’est tout d’abord qu’il n’y a presque plus d’espaces ruraux en déclin démographique (à peine 3 % du territoire). Même dans la fameuse « diagonale aride », qui s’étire des Ardennes au Sud-Ouest, le nombre d’habitants tend à augmenter légèrement. À cet égard, le Limousin est particulièrement intéressant à analyser en ce moment. Ensuite, on observe une croissance soutenue de la population rurale liée à ce que l’on nomme « l’effet régional ». Aux métropoles dynamiques correspondent des territoires ruraux connexes également dynamiques. Outre le Bassin parisien, se dessine une carte des dynamiques spatiales qui a la forme d’un croissant inversé, allant de Rennes et Nantes à l’ouest, passant par Bordeaux, Toulouse, Montpellier, tout le quart sud-est, et remontant (de façon atténuée) jusqu’à Strasbourg.

8Cette augmentation du nombre d’habitants dans les espaces ruraux n’est pas due à un solde naturel positif. Elle vient du solde migratoire. On peut dire de manière simplifiée : « On naît en ville, on migre à la campagne » et « On naît au nord, on migre au sud ».

Population de la France métropolitaine en 2006

tableau im1
Population 2006 Part de la population (en %) Part de la superficie (en %) Densité (habitants au km2) ? Pôles urbains 36 947 569 60,2 8,1 840 dont villes centres 17 035 009 27,7 2,7 1 154 dont banlieues 19 912560 32,5 5,4 681 ? Périurbain 13 389 108 21,8 33 74 Total espace à dominante urbaine 50 336 677 82 41,1 225 Total espace à dominante rurale 11 062 864 18 58,9 35 France métropolitaine 61 399 541 100 100 113 Source : Insee, recensement de la population, 2006.

Population de la France métropolitaine en 2006

Des aînés, mais aussi des familles

9Les campagnes rassemblent une population de souche et de « nouveaux habitants ». Le mouvement migratoire que l’on vient d’évoquer est parfois assimilé à l’installation de ménages parvenant à l’âge de la retraite. L’âge effectif de cessation des activités professionnelles se situe actuellement à 59 ans en moyenne. Parmi ces personnes, le choix de s’installer à la campagne est très présent. Cette catégorie d’un « jeune troisième âge » participe à la « renaissance rurale » pour trois raisons (apparues notamment lors de diagnostics territoriaux en Béarn) : le nombre significatif de ces arrivants, tout d’abord, puis leur capacité de participation à la vie et à l’animation locales qui demeure forte à ces âges, enfin, leur propension à militer dans des projets associatifs, posture caractéristique d’une génération plus sensible à des enjeux collectifs locaux que – et c’est un brin paradoxal?– les générations plus jeunes de nouveaux habitants qui s’inscrivent davantage dans des pratiques d’individuation propres à la postmodernité contemporaine.

10Ce phénomène est réel, mais n’explique pas tout. Les nouveaux ruraux sont aussi des familles avec enfants, en particulier dans les régions rurales situées dans l’aire d’attraction des villes qui concentrent une part croissante des activités et des emplois. Il s’agit d’un choix résidentiel qui s’accompagne de migrations quotidiennes alternantes, parfois sur des distances notables. Ainsi, l’essor de l’aire toulousaine rejaillit dans des départements ruraux voisins. L’Ariège, après un long déclin, connaît une augmentation de population très sensible de 1 % par an, supérieure à la moyenne nationale. Il en va de même pour le Gers (+ 0,8 %) ou le Tarn-et-Garonne (+ 1,4 %).

11Dans les Hautes-Pyrénées, l’étude des cinq cantons de la petite région dite « des Coteaux » [2], à l’est du département, zone rurale par excellence hormis les communes les plus proches de Tarbes, confirme cette part croissante des familles parmi les populations qui y résident. Que montrent les données de la caisse d’Allocations familiales (Caf) du département pour les années 2005 à 2009 ? Au cours de la période, les familles allocataires avec enfants augmentent de 0,8 % pour l’ensemble des Hautes-Pyrénées ; pour la région des Coteaux, ce taux est de 11 % [3]. L’évolution est plus marquée pour les familles allocataires ayant trois enfants ou plus : + 0,3 % pour le département, + 13 % pour le territoire des Coteaux. Plus ces communes sont proches du bassin d’emploi tarbais (isochrone trente minutes), plus cette tendance est manifeste. La venue d’habitants du nord de l’Europe est souvent citée comme une explication, mais nous ne pouvons l’aborder ici car c’est un sujet d’étude à elle seule. Rappelons simplement que certaines campagnes du Sud-Ouest bénéficient également de telles installations (Périgord, Lot…), mais n’oublions pas toutefois que les départs sont nombreux.

12Quelles catégories de population trouve-t-on le moins dans les espaces ruraux ? En prenant le critère de l’âge, ce sont les 18-30 ans qui sont proportionnellement les moins présents. La poursuite des études s’effectue dans les villes universitaires. Le premier emploi – avec toutes les difficultés que les jeunes générations vivent en ce domaine?– s’obtient très majoritairement en ville. En outre, c’est la tranche d’âge qui ressent le moins l’attrait pour une vie à la campagne.

De l’emploi agricole à l’emploi tertiaire

13Dans notre culture, la campagne reste associée à l’activité agricole. Si la surface agricole utilisée globale (SAU) a un peu diminué, les surfaces de bois et forêts ont augmenté. En termes de valorisation de l’espace, les régions rurales demeurent fortement marquées par ces activités. L’idée d’une urbanisation galopante qui consommerait tout l’espace est erronée. En revanche, la perception d’une population rurale majoritairement paysanne ne correspond plus du tout aux réalités. Sur les 4,6 millions d’emplois recensés en 2006 dans les territoires ruraux, moins de 11 % sont des emplois agricoles (3 % en moyenne nationale). L’ancienne répartition en trois secteurs d’activités a été revisitée par l’Insee [4] et a laissé place à un regroupement en quinze fonctions, permettant de mieux repérer la réalité des emplois, tertiaires principalement. Les secteurs de la fabrication, qu’il s’agisse de production industrielle ou artisanale, représentent dans les zones rurales 14 % des emplois (10 % en moyenne nationale), le bâtiment et les travaux publics 8,8 % (6,5 % en moyenne nationale). Les campagnes sont donc ouvrières pour une part notable.

14Les autres fonctions (66 % des emplois) correspondent à des services. L’espace rural n’a pas échappé à la « tertiairisation » de l’économie. Certains emplois y sont cependant significativement moins présents : la gestion, la conception/recherche, les prestations intellectuelles ; autrement dit, les emplois qui se situent vers « le haut des hiérarchies professionnelles ». Mais, globalement, toutes les catégories d’emplois sont réunies dans les zones rurales. L’Insee note que « la distribution, les services de proximité, la santé et le social, l’éducation, fonctions dites “présentielles”, sont réparties de façon uniforme sur le territoire, proportionnellement à la population ». Attention à ne pas faire d’erreur d’interprétation quant à notre sujet qui traite de « qui habite en espace rural ? » : le lieu d’habitation est une chose, la localisation des emplois en est une autre. Des ruraux peuvent fort bien occuper certains emplois que nous venons de citer dans des aires urbaines, en pratiquant des mouvements pendulaires.

Riches ou pauvres, les ruraux ?

15Au cœur de l’été 2010, deux publications concomitantes ont pu rendre leurs lecteurs perplexes. Le Monde diplomatique titrait « Exode urbain, exil rural : des pauvres relégués à la campagne » [5]. De son côté, l’Insee, étudiant les revenus des ménages, montrait, outre un accroissement des écarts de revenus selon l’âge (avec une singulière dégradation de la situation des jeunes), que les écarts de revenus entre villes et campagnes s’estompaient [6]. Qui croire ? Y aurait-il là une contradiction ? Tel n’est pas le cas. Dans les aires urbaines attractives et en forte expansion – comme celle de Montpellier étudiée dans cet article?–, la hausse des prix des logements conduit à exclure une partie des populations les plus précaires, même avec un parc social notable. Il s’agit bien, dans ce type de situation, d’une forme de relégation vers des espaces ruraux périphériques. Pour autant, ces cas de figure ne représentent pas la totalité des situations. Les espaces de relégation sont majoritairement urbains, d’où l’importance prise depuis vingt ans par la politique de la Ville.

16Les recompositions sociales que connaissent les espaces ruraux sont marquées par un triple phénomène : l’installation de ménages d’actifs plus aisés, l’arrivée de papy-boomers qui disposent de revenus (pensions et patrimoine) plus élevés que les moins de 50 ans, et la moindre présence des 18-30 ans qui ont les ressources les plus limitées.

17Un point est souvent méconnu : les écarts de revenus sont plus réduits qu’en zone urbaine. Le décile qui rassemble les revenus les plus élevés sont inférieurs de près de 30 % à ceux du même décile dans les pôles urbains ; en revanche, au bas de l’échelle, le décile des bas revenus est significativement supérieur dans le rural (+ 18 % par rapport au même décile dans les pôles urbains).

18En étudiant les revenus fiscaux de référence dans les Hautes-Pyrénées de 2005 à 2007, on s’aperçoit que, pour un indice 100 correspondant à la moyenne départementale, le niveau de la ville de Tarbes est inférieur à l’indice 90, tandis qu’il est voisin de 150 dans les communes rurales les plus prisées, situées au sud en direction de la chaîne des Pyrénées. Ce cas de figure est fréquent, notamment autour de villes moyennes. La spatialisation de la grande précarité ne serait pas un phénomène typiquement rural. Où sont les allocataires percevant le Revenu de solidarité active (RSA) dans ce département ? 54 % vivent sur les deux seules communes de Tarbes et de Lourdes, qui ne regroupent pourtant que 41 % du nombre total d’allocataires de la Caf. Dans la petite région des Coteaux, où les revenus fiscaux sont proches de la moyenne départementale, les bénéficiaires du RSA sont proportionnellement près de deux fois moins nombreux. Un autre indicateur éclairant fourni par les données de la Caf est le nombre d’allocataires dont le taux de dépendance aux prestations versées par la caisse est ? à 50 % : la majorité d’entre eux se trouvent, à nouveau, à Tarbes et à Lourdes.

19Toutefois, d’un département à l’autre, les situations diffèrent. Ainsi, dans le Gers voisin, les écarts sont moindres, les différents indicateurs de formes de pauvreté ou de précarité ne faisant pas apparaître de nettes distinctions entre Auch et les zones rurales.

20Il s’agit nullement de nier que les ressources demeurent peu élevées dans de nombreux foyers vivant à la campagne. Beaucoup d’indicateurs l’attestent, comme le nombre de bénéficiaires de l’Allocation adulte handicapé (AAH) et du minimum vieillesse, de logements indécents ou encore d’agriculteurs, et surtout d’éleveurs, en très grande difficulté, ainsi que la misère réelle de certaines personnes âgées. Car en effet, à la grande pauvreté matérielle s’ajoute une terrible solitude, consécutive à la distanciation des liens familiaux et sociaux. Cependant, il convient de sortir de la représentation d’une ruralité très pauvre, même si certains discours politiques tendent à faire perdurer l’image d’une ruralité déshéritée. Il faut aussi noter que les campagnes (de façon assez proche des villes) commencent à connaître des formes de « séparatisme social », pour reprendre une expression d’Éric Maurin. Les revenus des ruraux sont inégaux entre régions de France, entre types d’espaces ruraux (ils sont moindres dans le rural isolé), mais aussi entre communes rurales parfois limitrophes. Des enquêtes menées avec des étudiants de master dans le Sud-Ouest ont montré des formes effectives (elles ne sont bien sûr jamais affichées comme telles) de ce séparatisme : élaboration de documents d’urbanisme qui restreignent de fait l’arrivée d’habitants à ressources modestes, rôle de collectifs de défense qui, visant la préservation des espaces, militent pour limiter, voire arrêter les nouvelles constructions et recrutent, y compris parmi les derniers arrivants (syndrome du dernier arrivant qui ferme la porte derrière lui). Le « maintien d’un foncier agricole », « la qualité environnementale et paysagère », la « préservation de l’identité locale », telles sont les bases de cet argumentaire (en partie fondé). On ne dira jamais qui l’on ne souhaite pas voir venir. Pourtant, des ruralités de l’entre-soi, même si elles sont rares, commencent bel et bien à exister.

Pourquoi un tel engouement pour l’habitat en régions rurales ?

21La question de l’engouement pour les régions rurales n’étant pas au cœur de cet article, nous l’aborderons assez brièvement. En mai 2010, un sondage CSA réalisé pour l’Université d’accueil des nouvelles populations est venu confirmer des chiffres antérieurs analysés par Bertrand Hervieu et Jean Viard (2005). Parmi les Français qui souhaiteraient vivre ailleurs que là où ils demeurent, il y a davantage de résidents des régions urbaines que de ruraux. La campagne n’est plus le lieu du mal vivre. Regardons le révélateur qu’est le cinéma : le message de films comme Le bonheur est dans le pré ou Une hirondelle a fait le printemps, qui ont connu un grand succès auprès d’un large public, est l’association bonheur/campagne.

22Les raisons positives de ce flux migratoire vers les espaces ruraux sont bien connues et n’appellent pas de longs commentaires : prix des terrains, possibilité d’accéder à une maison individuelle, aspiration (idéalisée) à vivre dans des lieux où la « nature » est préservée, cadre de vie perçu comme favorable à la vie familiale et à l’éducation des enfants, tout au moins quand ils sont jeunes, quête d’un territoire calme, à distance de la ville ressentie comme « agressive ». Les distances sont relativisées par les ménages. Le taux d’équipement en véhicules particuliers est élevé à la campagne. Plus que l’éloignement géographique, ce sont les temps de déplacement qui sont pris en considération. Jusqu’à vingt à trente minutes du lieu de travail et à dix minutes des principaux services publics et privés, les espaces ruraux ne sont pas perçus comme répulsifs. C’est pourquoi ce sont les espaces dans l’aire d’attraction des villes ou à proximité des pôles ruraux qui connaissent la plus forte croissance de population.

23L’espace-temps est un critère important pour les aînés à propos des services de santé. Les régions rurales sont-elles des déserts médicaux ? En ce qui concerne les médecins spécialistes, oui ; mais pour les généralistes et les soins infirmiers, c’est nettement moins vrai. La différence de densité oppose davantage les régions entre elles (elle est plutôt faible au nord de la France) que les espaces urbains et ruraux. Le cabinet médical et infirmier à moins de douze minutes, c’est ce que connaît la majorité des ruraux du Sud-Ouest.

24L’enquête conduite par l’Inserm de Bordeaux en 2007 laisse toutefois apparaître un moins bon état de santé des personnes âgées vivant en milieu rural. Pour les familles avec enfants, la question de la présence de l’école, notamment maternelle, est jugée essentielle. L’éloignement du collège est regretté, plus que celui de l’école primaire. Certes, les budgets alloués par les communes rurales sont modestes (Rouault et Caro, 2010). Mais les parents semblent se satisfaire des résultats en fin de primaire. En outre, l’école est le premier lieu de sociabilité. C’est l’espace de rencontre entre habitants de souche et familles nouvellement arrivées. Autour de l’école se développent des activités éducatives et récréatives animées par des associations. Les nouveaux habitants s’y investissent, car c’est pour eux un moyen de s’intégrer et de combler leur déficit en sociabilité informelle (avec des pratiques mi-participatives, mi-consuméristes).

25L’espace rural, un désert culturel ? Voire. Les ruralités d’aujourd’hui sont inventives. À cet égard, la commune de Marciac, dans le Sud-Ouest, avec son festival de jazz international, est emblématique à juste titre. Bien d’autres exemples attestent d’une réelle vitalité culturelle, qu’elle soit propre à un territoire ou qu’elle relève d’une organisation réticulaire, comme la Scène nationale du Parvis a su la développer dans les Hautes-Pyrénées avec des partenaires ruraux.

26***

27La ruralité existe-t-elle encore aujourd’hui ? Cette question provocante est à la mode. L’homogénéisation des pratiques et des modes de vie rendrait la distinction obsolète. Pourtant, même si, à bien des égards, les habitants du milieu rural ne se distinguent pas des urbains, la distinction demeure pertinente. Par un certain nombre de traits sociaux et culturels, tels que le rapport à l’espace, le sentiment d’appartenance ou les formes d’identité, les ruraux ne s’assimilent pas complètement aux urbains… pas encore.

28Les enjeux de l’habitat, du développement durable et de la politique familiale posent des questions spécifiques dans les régions rurales. Tout d’abord, la ruralité n’entre pas dans le champ d’application de la loi Solidarité renouvellement urbain (SRU). Le logement social est modérément présent en fonction des volontés locales. Convient-il d’étendre ce champ ? Le locatif manque à la campagne malgré les initiatives des communes et les effets très positifs d’un certain nombre d’Opérations programmées d’amélioration de l’habitat (Opah) [7] (que les propriétaires, d’ailleurs, soient bailleurs ou non). Élus et habitants sont peu enclins à une telle évolution. N’y a-t-il pas lieu cependant d’en débattre ? Outre la question de la mixité sociale se pose le problème très concret de jeunes couples qui souhaitent vivre à la campagne et ne trouvent pas à louer de logements décents.

29En deuxième lieu, l’amplitude des déplacements et l’habitat très majoritairement individuel sont « énergivoraces ». Des choix d’orientation allant dans le sens du développement durable pousseraient à ne pas encourager trop de nos contemporains à quitter les villes. Fort heureusement, des formes alternatives se développent : l’offre TER des régions, la pratique de plus en plus fréquente du covoiturage, le recours à des énergies renouvelables pour l’habitat. Mais le paradoxe est tout de même là : on quitte la ville pour avoir un « environnement » agréable et, ce faisant, on participe à la dégradation de l’environnement.

30Enfin, dans un tout autre domaine, les nouvelles ruralités viennent interroger la politique familiale, et donc les Caf et la Mutualité sociale agricole (MSA) [8]. L’accueil du jeune enfant relève très majoritairement des assistantes maternelles ; le développement de la formule pertinente des Relais d’assistantes maternelles (Ram) permet un accompagnement de leur travail.

31Mais la demande des parents pour des structures collectives d’accueil de la petite enfance, malgré la mobilisation de certaines collectivités et de réseaux associatifs comme l’Association des collectifs enfants, parents, professionnels (Acepp), n’est que partiellement satisfaite. Ces structures sont moins présentes dans les campagnes qu’en ville. En dépit de l’apparition de formes innovantes, comme les microcrèches, les besoins plus diffus dans l’espace ne sont pas tous couverts. La réponse échappe d’ailleurs pour une bonne part à la branche Famille, car elle relève de collectivités telles que les communes, et surtout les intercommunalités, niveaux pertinents pour la conduite de tels projets d’équipement. Or, la loi n’a pas fait de la compétence enfance/jeunesse une compétence obligatoire. Beaucoup d’intercommunalités l’ont heureusement prise à leur compte et ont mené à bien des projets [9].

32La branche Famille, à travers l’outil partenarial que sont les conventions territoriales globales, peut donner de l’ampleur à ce mouvement et contribuer ainsi à répondre à un besoin essentiel des habitants du milieu rural.

Notes

  • [1]
    Le lecteur se reportera utilement au site de l’Insee, rubrique « Définitions ».
  • [2]
    Cantons de Tournay, Pouyastruc, Trie-sur-Baïse, Galan, Castelnau-Magnoac.
  • [3]
    Comme pour toute donnée en part relative, l’interprétation doit rester prudente car la région des Coteaux ne représente que 8 % du total des allocataires avec enfants du département.
  • [4]
    Voir notamment Cyrille Van Puymbroeck et Robert Reynard, Répartition géographique des emplois, Insee, février 2010.
  • [5]
    Élie G., Popelard A. et Vannier P., Le Monde diplomatique, n° 677, août 2010.
  • [6]
    « Les revenus des ménages entre 2002 et 2007 : un rééquilibrage entre territoires », Insee Première, août 2010.
  • [7]
    Sur financement de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).
  • [8]
    L’équation « familles en milieu rural = MSA » est derrière nous. Les habitants de ces espaces sont aujourd’hui davantage allocataires du régime général et les deux institutions amenées à collaborer. Par exemple, dans la zone des Coteaux déjà citée, des conventions pour les Ram ou les centres de loisirs sont tripartites : collectivité, Caf et MSA.
  • [9]
    Une typologie des attitudes des collectivités fait apparaître que celles qui se montrent les plus actives sont celles où les élus substituent la notion d’investissement social local à la primauté de l’analyse par les coûts. Dans un contexte de concurrence entre territoires, investir dans l’accueil du jeune enfant, c’est donner une image forte du lieu, attirer des familles avec enfants, créer des emplois directs et favoriser la compatibilité entre vie professionnelle et vie familiale.
Français

Résumé

L’exode rural est derrière nous. Les campagnes connaissent de profondes mutations. La recomposition sociale qui s’y opère va plus vite que les représentations que nous gardons de ce milieu. Les territoires ruraux accueillent un nombre croissant d’habitants d’âges variés. Les agriculteurs s’y font rares. Comme partout, la tertiairisation des activités gagne en importance. Recherchées, les campagnes d’aujourd’hui deviennent des espaces à forts enjeux. Reste à savoir si ces nouvelles ruralités, dans un contexte d’homogénéisation des pratiques sociales, existent encore vraiment comme territoire spécifique.

Bibliographie indicative

  • Farinelli B., 2009, Quitter la ville, mode d’emploi, éd. Le Sang de la terre, coll. « Retour aux sources ».
  • Hervieu B. et Viard J., 2005, Au bonheur des campagnes (et des provinces), La Tour d’Aigues, éd. de l’Aube.
  • Jean Y., 2007, Géographies de l’école rurale : acteurs, réseaux, territoires, éd. Ophrys ; 2005, Rural-urbain : nouveaux liens, nouvelles frontières, Presses universitaires de Rennes (Pur).
  • Kayser B., 1990, La renaissance rurale. Sociologie des campagnes du monde occidental, Armand Colin, coll. « U Sociologie » ; 1993, La naissance de nouvelles campagnes, La Tour d’Aigues, éd. de l’Aube, coll. « Monde en cours » ; 2004, Ils ont choisi la campagne, La Tour d’Aigues, éd. de l’Aube.
  • Perrier-Cornet P., 2002, Repenser les campagnes, La Tour d’Aigues, éd. de l’Aube, coll. « Bibliothèque des territoires ».
  • Rouault R. et Caro P., 2010, Atlas des fractures scolaires en France. Une école à plusieurs vitesses, Paris, éd. Autrement.
  • Revues

    • 2003, « Les promesses du rural », Projet, éd. Ceras, n° 274.
    • 2010, « Enfants des villes, enfants des champs », Agir en rural, éd. Chrétiens dans le monde rural (CMR), n° 82, juillet.
  • Sites

Bruno Morin
Géographe, il a travaillé pendant vingt ans dans une compagnie d’aménagement régional opérant dans cinq départements du Sud-Ouest. Il a été responsable du service développement agricole, encadrant une vingtaine d’ingénieurs et techniciens ; service devenu au moment de la décentralisation des années 1980 service développement de l’espace rural. Il a mené conjointement des missions d’audit pour le compte des organisations professionnelles agricoles. Il a ensuite rejoint l’Université de Pau, enseignant en mastère professionnel « Aménagement et développement territorial » en formation initiale et en formation continue.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/06/2011
https://doi.org/10.3917/inso.164.0011
Pour citer cet article
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