CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En milieu rural, si le vieillissement a été plus longtemps qu’ailleurs accompagné de la solidarité familiale et locale, il est aujourd’hui relayé par des services de prise en charge spécifiques (aides à domicile et établissements d’hébergement). C’est surtout le cas auprès de la population âgée composée de retraités venus des villes, dont les exigences en la matière sont plus élevées et qui sont généralement loin de leurs enfants.

2Les images du milieu rural sont contrastées, sinon opposées : la campagne est souvent présentée, dans le sens commun comme dans certains ouvrages savants, comme le lieu du « rien », valant essentiellement par ses paysages et caractérisée par son sous-équipement en services, publics ou privés, en commerces, en infrastructures… Cet espace déserté serait également le lieu d’une solidarité retrouvée : la faible densité permettrait le maintien, voire l’épanouissement, de relations sociales plus authentiques et plus solidaires, à l’inverse de l’anonymat urbain. Les personnes âgées, le plus souvent assimilées dans les représentations sociales à d’anciens agriculteurs, y seraient abandonnées des pouvoirs publics, à distance des soins médicaux les plus performants situés dans les villes, et ne disposeraient que d’un faible éventail de services et de professionnels, sanitaires et sociaux, spécifiquement dédiés à l’accompagnement du vieillissement. Elles y bénéficieraient cependant d’une considération et d’une solidarité fortes par la vertu de liens communautaires encore vivaces, en raison d’une culture villageoise ou paysanne fondée sur l’entraide et sur le contrôle social, tant familiaux que locaux, dont elles seraient à la fois les représentantes, les conservatrices et les bénéficiaires. Or, de même que l’espace rural recouvre deux types d’espaces [1], la population rurale âgée n’est pas homogène. Le « vieillissement continu de la population rurale » (Détang-Dessendre et Piguet, 2003) est dû au vieillissement des populations natives, à un solde naturel négatif – et ce d’autant plus qu’on s’éloigne des villes –, mais aussi à un double mouvement migratoire de départ des jeunes qualifiés et d’arrivée de populations proches de la retraite. Sur ces territoires ruraux se côtoient donc des vieux « du coin » qui y ont toujours vécu ou sont revenus s’y installer à leur retraite, et des « étrangers », plus ou moins lointains, venus s’installer aux alentours de la retraite (Cribier et Kych, 1992). Comment l’accompagnement du vieillissement des aînés est-il construit en milieu rural ? Quels réseaux, locaux et familiaux, sont mobilisés ? Comment s’articulent-ils avec des services professionnalisés d’aides et de soins aux personnes âgées ? Et comment les personnes âgées elles-mêmes perçoivent-elles les aides et y ont-elles recours, de manière différenciée selon leurs appartenances et leurs trajectoires sociales ? Si les sociétés rurales se caractérisaient par un modèle de solidarité obligatoire entre les générations, assurant les soins aux plus âgés contre la transmission du patrimoine, les transformations du monde rural ont fortement érodé ce modèle. L’accompagnement actuel du vieillissement en milieu rural s’opère de manière différenciée selon les appartenances sociales des personnes âgées (génération, ancienne profession, sexe) et selon leurs trajectoires de vie. Des différences nettes existent entre les vieux du coin, ayant toujours vécu au pays, et les retraités installés tardivement en milieu rural.

Un modèle implicite de prise en charge

3Les recherches spécifiquement consacrées au vieillissement en milieu rural sont sporadiques [2]. La sociologie rurale s’est plus intéressée à l’attractivité renouvelée des espaces ruraux qu’au vieillissement de leur population ; quant à la sociologie du vieillissement, récente en tant que sous-champ disciplinaire, elle ne met pas les contextes sociogéographiques au centre de ses réflexions. La question des solidarités familiales intergénérationnelles constitue une part importante des recherches sur le vieillissement et son accompagnement ; pour autant, bien que les effets du contexte, urbain ou rural, sur ces solidarités aient été mis en évidence dans plusieurs enquêtes quantitatives, ils constituent rarement un point central de leurs conclusions. Serait-ce à dire que l’accompagnement du vieillissement ne différerait guère en milieu rural de celui observable en milieu urbain ?

4Pourtant, il existe un modèle implicite de la prise en charge des personnes âgées en milieu rural, sur lequel reposent les représentations communes et auquel se réfèrent les discours savants, qui est celui de la « solidarité obligée entre les générations dans les sociétés rurales » (Segalen, 1995) dans lequel la transmission du patrimoine familial est couplée à la prise en charge des parents âgés par les héritiers. Selon les régions, et la logique de l’héritage qui y a cours, la charge des vieux est répartie collectivement entre les enfants (en cas de transmission égalitaire) ou assumée seulement par l’héritier et successeur désigné (dans le système inégalitaire), souvent sous la forme d’une cohabitation. Les soins aux petits-enfants sont alors assumés par les parents âgés. En revanche, l’absence de descendants, ou leur ingratitude, réduisent les vieux à la mendicité ou à l’hospice.

5Ce mode de prise en charge de la vieillesse en milieu rural s’effrite, plus ou moins rapidement selon les contextes locaux. L’institution de la Sécurité sociale, qui établit une solidarité entre générations au niveau national, introduit la possibilité d’une indépendance des générations au sein des familles. Surtout, de nombreux facteurs – les transformations démographiques et sociologiques du monde rural, le renouvellement et le vieillissement de sa population, le déclin et la transformation de l’activité agricole –, reconfigurent le soutien familial aux personnes âgées. Patrick Champagne (1979) a ainsi bien montré, pour la Mayenne, combien les politiques agricoles de soutien aux jeunes agriculteurs, qui incitent la génération antérieure à se retirer précocement, l’affaiblissement du poids de la famille dans les mécanismes de reproduction sociale au profit d’institutions spécialisées comme l’enseignement agricole, le Crédit agricole ou l’industrie agroalimentaire, ainsi que l’existence de la Sécurité sociale et la réduction de l’écart démographique entre les générations ont entraîné la constitution « d’une catégorie nouvelle de population, celle des paysans “retraités”, c’est-à-dire de paysans dont la force de travail n’a plus d’objet pour s’exercer », et qui passent le temps dans les clubs du 3e âge, occupés par des activités et des loisirs traditionnels (dominos, cartes, goûters et repas). Ces mêmes transformations font de la maison de retraite, et plus généralement des services professionnalisés de soins aux personnes âgées, un mode de prise en charge possible, acceptable lorsqu’elle est recommandée par l’assistante sociale ou l’institution médicale, signe que « la gestion strictement familiale de la vieillesse ne va plus de soi ». Dans un tout autre contexte géographique, des recherches (Drulhe et Clément, 1992 ; Cribier, 1992) ont montré que la cohabitation, qui subsistait dans les années 1980 assez largement dans le Sud-Ouest rural comme mode de prise en charge de la vieillesse, subissait des inflexions alors même que ce modèle de la cohabitation continue, où l’enfant qui hérite du patrimoine succède à ses parents sur l’exploitation agricole, vit avec eux depuis toujours et continue à en prendre soin restait un modèle idéal pour leurs enquêtés. Ce modèle traditionnel ne concerne pas seulement des agriculteurs, mais également des commerçants, des artisans, des ouvriers paysans ou ouvriers maraîchers. À côté de ces prises en charge traditionnelles apparaissent d’autres formes d’accompagnement des personnes âgées. Sans qu’il y ait cohabitation, la proximité géographique des enfants et des parents permet le maintien à domicile souhaité par les parents, grâce à un soutien matériel et affectif des enfants, et préserve l’autonomie des générations, en particulier celle des enfants. Les auteurs observent donc une disjonction progressive entre les normes de solidarité et de cohabitation, laquelle s’exprimait préférentiellement dans ce contexte du Sud-Ouest rural.

Des services spécifiques dédiés à la vieillesse

6La prégnance de ce modèle traditionnel d’assistance familiale tend à occulter le développement, sur ces territoires ruraux, de services spécifiquement dédiés à la vieillesse. Dès les années 1970, des associations issues de mouvements d’aide familiale, comme l’Association du service à domicile (ADMR) et la Fédération nationale – aide, accompagnement et soin à la personne (Adessa), ou de défense des retraités, comme l’Union nationale des retraités et des personnes âgées (UNRPA) [3], organisent et développent localement des actions et des services en direction des personnes âgées, tant dans le domaine des loisirs que de l’assistance à la vie quotidienne ou des soins. Clubs des aînés ruraux ou clubs du 3e âge puis, à partir des années 1980, services à domicile (portage de repas, aide ménagère et soins infirmiers), sont mis sur pied. Des structures d’hébergement collectif sont créées ou rénovées sous diverses formes [4], tandis que les anciens hospices sont modernisés. En effet, la population rurale vieillit et sa transformation confronte municipalités et associations à de nouveaux problèmes. Les handicaps ou les difficultés de santé des vieux célibataires ou des personnes âgées dont la famille s’est éloignée, mais également la présence de retraités venus s’installer sur le tard et attachés à un niveau plus élevé de confort et de soins obligent à mettre en œuvre des services et à améliorer les structures de prise en charge. Fondés à l’origine sur le bénévolat, ces services se professionnalisent progressivement, même si certaines associations, comme l’ADMR, maintiennent le bénévolat au centre de leur action. Si les établissements d’hébergement sont souvent présents dans les territoires ruraux, on n’y trouve pas toujours de services de soins spécifiquement dédiés aux personnes âgées. Plus que par l’étroitesse (réelle) de l’éventail des services offerts, le milieu rural se distingue alors des espaces urbains par des possibilités réduites de choix entre différents prestataires pour un même service et par une distance importante des équipements médicaux de pointe. Comment ces offres professionnalisées de prise en charge sont-elles alors perçues par les personnes âgées et leur famille ? Comment ces dernières y ont-elles recours ?

Les modes de soutien aux personnes âgées

Il existe différents services dédiés aux personnes âgées. Ils peuvent être organisés par les municipalités, des associations ou des entreprises.
? Les services d’hébergement sont les plus anciens, puisqu’ils dérivent des anciens hospices (religieux le plus souvent) qui hébergeaient les personnes âgées pauvres et sans famille. Les établissements d’hébergement collectif sont diversifiés : ils rassemblent aussi bien les foyers logements ou les résidences services, où les personnes âgées disposent de leur propre appartement (avec notamment une cuisine personnelle), que les maisons de retraite plus classiques ou les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les Maisons d’accueil rural pour personnes âgées (Marpa), mais également l’accueil familial (des particuliers qui accueillent à leur domicile des personnes âgées).
? Les loisirs : les clubs du 3e âge ou clubs des aînés ruraux sont très présents et ont été développés en milieu rural de manière rapide dans les années 1970. Ces clubs dépendent d’associations, comme l’Union nationale des retraités et personnes âgées (UNRPA), qui ont parallèlement développé d’autres services.
? Le portage des repas (organisé le plus souvent par les municipalités ou des associations).
? Les services d’aide à la mobilité, transports payés par la municipalité ou par certaines caisses de retraite.
? Les services d’aide à domicile : aides-ménagères et aussi auxiliaires de vie.
? Les services de soins infirmiers à domicile.
D’autres services ou catégories de professionnels ne sont pas spécifiquement dédiés aux personnes âgées mais participent à leur accompagnement, comme les professionnels de santé libéraux, médicaux ou paramédicaux (par exemple, les kinésithérapeutes). Enfin, une part de l’accompagnement se fait dans les services ou les commerces maintenus en zone rurale (facteurs, commerçants opérant des tournées, etc.), ainsi que dans des associations qui ne sont pas spécifiquement destinées aux personnes âgées.

Un accompagnement lié au parcours social des individus

7Une enquête menée sur deux territoires appartenant au milieu rural isolé, en Creuse et en Ardèche, et caractérisés par un vieillissement important [5] montre que les configurations d’accompagnement du vieillissement varient selon les appartenances et les trajectoires sociales des personnes âgées (Gucher et al., 2007). Les anciens ayant toujours vécu au pays s’appuient, au fur et à mesure de leur avancée en âge, sur un entourage local : leur famille quand ils en ont une et leurs voisins – plus ou moins proches – quand l’entourage familial fait défaut. Cet accompagnement s’inscrit dans des sociabilités et des solidarités locales activées tout au long du parcours de vie, mettant en œuvre des aides réciproques, entre familles et entre générations, au sein des sphères professionnelle et privée relativement indistinctes, particulièrement chez les anciens agriculteurs. L’accompagnement du vieillissement se « bricole » au quotidien, entre « débrouilles » conjugales ou domestiques [6], acceptations des propositions d’aide des voisins, recours ponctuel et prudent aux services professionnels d’aides et de soins à domicile, arrangements avec les commerçants ou les fonctionnaires des services publics et passages, plus ou moins fréquents selon leur éloignement, des enfants. Le recours aux médecins s’opère à l’occasion de maladies ou d’accidents de santé, dans une optique réparatrice et non préventive. Un exemple, la prise en charge de la fracture du col du fémur de madame Henry, donne à voir cette configuration d’aide à base locale, mêlant interventions professionnelles limitées et entraide informelle, dont une part seulement est familiale. Madame Henry, 85 ans, vit avec son frère célibataire, monsieur Labiole, 79 ans, depuis qu’elle est veuve, c’est-à-dire depuis quarante-sept ans. Anciens métayers, ils occupent un appartement que leur loue la commune. Les trois enfants de madame Henry, qui habitent à une vingtaine de kilomètres, leur rendent visite régulièrement et se relaient pour les aider?: sa fille les approvisionne une fois par mois, son fils vient lui tourner le jardin. Lorsque madame Henry se casse le col du fémur, en tombant dans sa cour, elle prévient dans un premier temps sa voisine, qui appelle les pompiers. Transportée à l’hôpital de la ville la plus proche, elle y est opérée et y reste durant dix jours. Elle passe ensuite une autre dizaine de jours chez sa fille, puis rentre chez elle. Durant ce temps, son frère allait chercher ses repas à la maison de retraite, arrangement conservé le temps que madame Henry se remette à la cuisine, ce qu’elle a souhaité faire le plus rapidement possible. Ce « bricolage » repose sur une conception naturaliste du vieillissement : la vieillesse est une étape naturelle, dans l’ordre des choses, qui s’accompagne de « misères », auxquelles il ne faut pas prêter attention, de peur de les voir se transformer en maladies. Le recours aux services professionnels, municipaux ou privés, ne s’effectue qu’en l’absence de soutiens familiaux vers lesquels se tourner. La compétence professionnelle est alors moins évaluée sur la base de savoirs et de savoir-faire techniques que sur celle de la proximité géographique et de l’insertion dans la communauté locale, comme l’illustre l’exemple suivant. Monsieur Aymard, ancien métayer, ayant tardivement acquis une propriété, ne pouvant plus guère se déplacer, définit son aide à domicile d’abord comme étant sa voisine. Les services qu’elle lui rend s’inscrivent pour lui dans des relations de voisinage, avant d’être des prestations financées par la Mutualité sociale agricole (MSA). De même, dans le territoire où sont implantées des maisons de retraite, l’entrée en institution est un horizon possible de la vieillesse, pas nécessairement dramatique ou redouté dans la mesure où les établissements, ouverts sur le village, abritent certes des vieux qui ont des difficultés à vivre seuls, mais qui sont aussi d’anciennes connaissances, des « classards » [7] ou des ami(e)s d’enfance, parfois.

Les conséquences de l’éloignement familial

8En revanche, les personnes s’étant installées sur le tard ont souvent une famille dispersée, qui ne peut pas les accompagner au quotidien dans leur vieillesse. Cet éloignement géographique de la famille les oblige à conserver des activités et des mobilités autonomes et, plus leurs enfants sont éloignés, plus elles tiennent à cette autonomie. Le déménagement dans une autre région que celle de leur vie professionnelle les invite à anticiper leur vieillissement. Elles sont donc dans un rapport plus stratégique à l’offre d’aides locales, évaluant les avantages et les inconvénients relatifs du territoire sur lequel elles ont élu domicile, et allant parfois chercher au-delà de ses limites un meilleur service (Callois et al., 2003). Alors que le soutien des enfants, et plus largement de la parentèle présente dans le pays, va de soi pour les anciens qui y ont toujours vécu, les personnes venues s’installer sur le tard se refusent plutôt à faire peser leur vieillesse sur leurs enfants. Lorsque leur conjoint tombe malade, elles ont recours aux services de professionnels de soins à domicile. La manière dont madame Héritier a accompagné la vieillesse de son mari et anticipe son propre vieillissement en fournit une bonne illustration. Monsieur et madame Héritier, d’un milieu aisé, sont venus s’installer tardivement dans leur ancienne résidence secondaire ; elle avait alors 67 ans. En vieillissant, les problèmes de santé de son mari se sont accumulés. Il a fallu en particulier le soigner durant ses dernières années pour un cancer du poumon. Le couple a alors alterné séjours à l’hôpital dans une grande ville de province à proximité de chez leur fille, et retours à leur domicile, aidés par les infirmières libérales de la commune, en l’absence d’un service de soins infirmier à domicile. Le manque de compétence des infirmières locales est alors sévèrement critiqué par madame Héritier, bien que « la providence », ainsi qu’elle le rapporte, ait mis sur son chemin une infirmière venue de Marseille le temps d’un remplacement et qui l’aidera « de manière extraordinaire » dans l’accompagnement de la mort de son mari. Devenue veuve, elle souhaite rester vivre chez elle et met en œuvre des stratégies pour prolonger cette situation le plus longtemps possible. Autonome, elle prend tout de même une aide-ménagère deux heures par semaine afin qu’elles s’habituent l’une à l’autre, pour le jour où elle en aura besoin. Lorsqu’elle s’est cassé le poignet, elle a appelé une de ses amies au village. Puis, après avoir passé une vingtaine de jours chez deux de ses enfants les plus proches [8], elle est revenue chez elle, dans le hameau dont elle est l’une des deux occupants permanents. Si la solidarité familiale peut être activée lors d’accidents exceptionnels chez ces personnes installées sur le tard, c’est plus la sociabilité, entretenue lors de séjours réciproques chez les uns et les autres, que la proximité qui renforce les liens familiaux. L’accompagnement familial du vieillissement se fait plus sous la forme d’un soutien affectif que d’une aide matérielle, sauf en cas de coups durs, l’aide au quotidien étant prodiguée par des professionnels. En outre, vieillir sur place ne va pas de soi pour ces personnes installées sur le tard : si nombre d’entre elles souhaitent mourir là où elles vivent, elles ne se voient pas en revanche assumer un handicap important ou une maladie dégénérative dans ce milieu, imaginant alors se rapprocher de leurs enfants et de services plus nombreux. Le milieu rural, qui apparaît comme un endroit propice à vivre une retraite sans soucis, n’est souvent qu’une étape dans le cycle de vie, des migrations s’opérant avec l’avancée en âge et la confrontation aux difficultés de santé ou de mobilité (Christel, 2006).

9***

10L’accompagnement du vieillissement en milieu rural ne peut donc plus être résumé à une solidarité intergénérationnelle obligée, familiale ou locale. Si cette solidarité demeure, en milieu rural comme dans les villes, malgré l’existence d’une solidarité institutionnelle grâce à la Sécurité sociale, elle est relayée par des associations d’aides à domicile et des institutions d’hébergement collectif. Les configurations d’aide aux personnes âgées diffèrent alors selon les trajectoires sociales de ces dernières. Les anciens toujours demeurés sur place, issus des classes populaires pour la plupart, dont les exigences en matière de confort ou de loisirs et les préoccupations de santé sont peu élevées, trouvent localement d’abord auprès de leur famille ou de leurs voisins les appuis nécessaires à leur vieillissement. Ils n’ont recours que de manière ponctuelle et limitée aux aides professionnelles, lorsqu’un handicap, un accident ou une maladie l’impose. En revanche, les personnes installées sur le tard de leur vie à la campagne, souvent éloignées de leur famille, comptent, elles, sur les services professionnels avant d’avoir recours aux amis ou aux connaissances qu’ils ont pu rencontrer sur place. Anticipant les difficultés éventuelles du vieillissement, elles n’écartent pas l’idée de déménager encore, pour se rapprocher de leurs enfants ou bénéficier d’un meilleur accompagnement (Nowik et Thalineau, 2008). Faut-il voir, dans ces transformations de l’accompagnement du vieillissement, une urbanisation du milieu rural ? Le faible nombre d’enquêtes menées sur les formes du vieillissement en milieu rural ne permet pas encore de le dire et appelle de nouvelles recherches.

Notes

  • [1]
    L’Insee distingue en effet, au sein de l’espace à dominante rurale, les « aires d’emploi de l’espace rural » et les « autres communes de l’espace rural » en fonction du nombre de résidents de ces deux aires travaillant dans un pôle d’emploi rural (commune ou petite unité urbaine comptant au moins 1 500 emplois).
  • [2]
    Il existe peu de publications françaises récentes consacrées au vieillissement en milieu rural.
  • [3]
    Noms actuels de ces organismes ayant remplacé les dénominations en cours dans les années 1970.
  • [4]
    Des logements foyers aux maisons de retraite, médicalisées ou non, en passant par les Maisons d’accueil rurale pour personnes âgées (Marpa).
  • [5]
    La proportion des plus de 60 ans était de 43 % en Creuse et de 40 % en Ardèche.
  • [6]
    C’est dans cette population d’anciens n’ayant jamais bougé qu’on trouve le plus de cohabitations, qu’il s’agisse de fratries ou de parents et enfants âgés.
  • [7]
    « Classards » : nés la même année, conscrits.
  • [8]
    Ils habitent à une centaine de kilomètres, dans le département voisin.
Français

Résumé

L’accompagnement du vieillissement en milieu rural s’est transformé. Le modèle de solidarité obligée entre les générations, familiale ou locale, qui gouvernait les sociétés rurales s’est érodé sous l’effet des transformations du milieu rural. Le double mouvement migratoire d’exode des jeunes qualifiés, laissant les plus vieux habitants sur place, et d’arrivée de populations retraitées, aux exigences de confort et souci de santé plus affirmés que les populations autochtones, ont permis le développement de services d’aide aux personnes âgées et la rénovation des institutions d’hébergement collectif.

Bibliographie

  • Callois J.-L., Mazuel L., Roussel V., Sencébé Y. et Vollet D., 2003, « Les retraités et les espaces ruraux du Massif central », rapport pour le Commissariat du Massif central et la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draf) Auvergne.
  • En ligneChampagne P., 1979, « Jeunes agriculteurs et vieux paysans », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 26-27, p. 83-107.
  • Christel V., 2006, « Trajectoires résidentielles des personnes âgées », Données sociales, p. 525-529.
  • En ligneCribier F., 1992, « La cohabitation à l’époque de la retraite », Sociétés contemporaines, n° 10, p. 67-91.
  • En ligneCribier F. et Kych A., 1992, « La migration de retraite des Parisiens : une analyse de la propension au départ », Population, vol. 47, n° 3, p. 677-717.
  • Détang-Dessendre C. et Piguet V., 2003, « Les ruraux en 1999 : qui sont-ils et d’où viennent-ils ? », Inra Sciences sociales, n° 1-2.
  • En ligneDrulhe M. et Clément S., 1992, « Transmission du patrimoine et prise en charge des parents âgés du Sud-Ouest rural », Sociétés contemporaines, n° 10, p. 93-109.
  • Gucher C., Mallon I. et Roussel V., 2007, « Vieillir en milieu rural : chance ou risque accru de vulnérabilité ? », rapport pour le Groupement d’intérêt scientifique (GIS) Institut national de la longévité et du vieillissement.
  • Nowik L. et Thalineau A., 2008, « Mobilités résidentielles et maintien à domicile des personnes âgées de 75 à 85 ans », rapport pour le Plan urbanisme, construction, architecture (Puca).
  • Segalen M., 1995, « Continuités et discontinuités familiales : approche socio-historique du lien intergénérationnel », in Attias-Donfut C. (dir.), Les solidarités entre générations. Vieillesse, famille, État, Paris, Nathan, coll. « Essais & recherches », p. 27-40.
Isabelle Mallon
Sociologue, elle est maître de conférences à l’Université de Lyon (Université Lumière-Lyon 2) et membre du GRS. Elle a récemment publié « Le milieu rural isolé isole-t-il les personnes âgées ? », Espace populations sociétés, n° 1, 2010, p. 109-119.
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/06/2011
https://doi.org/10.3917/inso.164.0100
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales © Caisse nationale d'allocations familiales. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...