CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1De Vercingétorix à Yannick Noah, les visages qui symbolisent l’unité nationale dans l’esprit des Français sont multiples. Beaucoup de figures politiques peuplent cette galerie, fondateurs de dynasties ou grands organisateurs de l’État mais aussi hommes de guerre, savants, artistes et intellectuels, voire des sportifs qu’un titre prestigieux a couronnés. Plus rarement sortent de ces sondages des entités liées à un épisode marquant ou glorieux de la vie nationale : le 14 Juillet, Valmy, le Front populaire, la Résistance, l’Appel du 18 juin… selon l’importance que le répondant prête aux vertus que ces événements traduisent. Ce qui fait l’unité d’un pays est matière à des débats toujours recommencés que peu d’époques ont occultés. Mais entre toutes les réponses qui ont été apportées à la question au fil du temps, celle que le philosophe Ernest Renan a donnée le 11 mars 1882 en Sorbonne [1] passe à juste titre pour la plus magistrale. Et si elle n’a pas épuisé le débat, elle en a dessiné le contour avec tant d’autorité et de précision qu’on aborde désormais rarement le sujet sans y faire référence. Après un rapide, mais très complet, panorama de la variété et des spécificités des « formes de la société humaine » dans le temps et l’espace, le philosophe se propose d’examiner les caractéristiques de ce qu’il désigne comme la nation moderne, concept qu’il distingue de celui d’État, qui n’en est que la forme juridique. La nation, dit E. Renan, est « un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens ». Refusant de trancher quant à la priorité d’un de ces faits sur les autres, il s’attache à démontrer qu’ils interagissent pour composer des scénarios spécifiques à chaque pays mais semblant obéir à des lois qui restent à découvrir, et qui sont la trame même de l’Histoire. E. Renan oppose une vue qu’on appellera souvent « révolutionnaire » à la conception allemande, dite « romantique », de la nation, qui met l’accent sur le passé et idéalise un certain nombre de déterminants identitaires (la terre, les ancêtres, la langue…), définissant ainsi des communautés hétérogènes prédisposées à s’opposer les unes aux autres. Dans sa rigidité, une telle représentation du génie national porté par les citoyens du seul fait de leur naissance est évidemment contradictoire avec les idées de liberté et de développement puisque l’appartenance de l’individu à une nationalité conditionnerait absolument sa vie et sa manière de penser. Sans nier l’importance des constituants de la nationalité que sont la race (c’est-à-dire la lignée des ancêtres), la langue, la religion (c’est-à-dire les croyances collectives), l’identité des intérêts ou plus simplement la disposition des frontières naturelles, facteurs qu’il considère comme nécessaires mais insuffisants, Renan conçoit plutôt la nation sur le modèle du contrat, comme « une âme, un principe spirituel […] une grande solidarité constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore ». Et il recommande, la chose est moins souvent rappelée, qu’on consulte les populations sur leur opinion si des doutes s’élèvent quant au tracé des frontières.

Note

Mis en ligne sur Cairn.info le 21/02/2011
https://doi.org/10.3917/inso.162.0063
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