1En tant qu’espace de socialisation commun à la plupart des enfants de la nation et reposant sur un projet d’effacement des différences sociales, l’École républicaine est-elle capable de réduire l’impact des idées préconçues et, en particulier, celles qui se rapportent aux différences des sexes ? Elle s’y est attachée jadis en matière de mixité et, plus récemment, pour apporter sa contribution à la lutte contre l’homophobie.
2La mixité à l’école est le résultat d’un long combat. Envisagée dès 1833 (loi Guizot), elle n’a été généralisée qu’en 1975 (loi Haby) et il est clair qu’elle n’a pas été combattue au fil des ans que pour des raisons de pudibonderie. Longtemps, en effet, c’est l’éducation des filles dans son principe même et a fortiori l’idée qu’elle devrait être identique à celle des garçons et dispensée dans les mêmes lieux qui a alimenté la verve de ses adversaires : destinées à séduire puis à procréer, les filles avaient-elles besoin de savoir lire et écrire ?
3Quant à l’éducation sexuelle, elle ne s’est imposée que par étapes prudentes à partir de 1973, accompagnée de visées utilitaires : prévenir les grossesses non souhaitées et les avortements clandestins d’abord, puis tenter d’endiguer le développement des MST, le sida en particulier. Depuis 2001, elle est inscrite dans les programmes scolaires sous la forme d’une « information et une éducation à la sexualité » qui est dispensée dès le CM1.
4Après avoir dû attendre si longtemps la « révélation » de l’existence de deux sexes, égaux en droit à l’éducation, les petits écoliers français, que l’on initie pourtant très tôt aux émois des bergères pour les princes charmants devront attendre pour savoir que la tendresse et l’amour - sans évoquer encore explicitement la sexualité - peuvent exister aussi entre deux personnes du même sexe.
5Un petit film d’animation de vingt-six minutes, Le Baiser de la Lune, destiné à des élèves de CM1 et de CM2 (neuf/dix ans en moyenne) ne sera finalement pas diffusé dans les écoles.
6Le scénario met en scène l’amour de Félix, le poisson-chat, pour Léon, le poisson-lune, et l’indignation que cette affinité suscite d’abord de la part d’Agathe, la grand-mère du premier nommé, avant qu’elle ne soit attendrie par la qualité des sentiments réciproques de Félix et de Léon et n’évolue vers une attitude plus compréhensive.
7Tout autant que le thème de l’homosexualité, celui de la tolérance prend dans l’histoire une place essentielle ; mais cet aspect semble avoir été totalement occulté par les commentateurs.
8Au cours de l’échange nourri qui opposa les partisans et les adversaires de l’utilisation du film en milieu scolaire, des arguments assez étonnants fusèrent : apologie, voire incitation à l’homosexualité, manipulation des esprits et ouverture à la pédophilie pour les uns, simple évocation sur un registre poétique et philosophique d’une situation banale pour les autres, le site causeur.fr en appelant à Bruno Bettelheim et à son fameux ouvrage sur la psychanalyse des contes de fées(1) pour dénoncer la dangerosité du procédé narratif retenu par les auteurs du film et la perversité des messages subliminaux qu’il véhiculerait.
9Les écoliers ne verront donc pas ce film, mais tout porte à croire – et l’analyse de cet incident renforce cette conviction - que son intention de diffuser une information sereine aux enfants sur l’ouverture aux différences et la lutte contre les discriminations était bien fondée.