1« Ils se marièrent … et eurent beaucoup d’enfants ». Le happy end convenu de nombreux contes, romans et films traduit une conception de la famille qui repose sur un enchaînement chronologique considéré comme naturel : la formation du couple par l’institution (civile ou religieuse) du mariage puis son extension vers l’accomplissement familial (« une belle famille ») à mesure que naissent les enfants. Toutefois, les évolutions récentes des pratiques sociales ont fait perdre ce rôle d’acte fondateur de la famille au mariage, qui n’est plus depuis 1884 un engagement social irréversible, le divorce constituant même de nos jours l’issue de plus en plus précoce de près d’une union sur deux. Si l’on ajoute à ce constat celui d’une sorte d’inversion du calendrier en vertu de laquelle beaucoup d’enfants (un sur deux en 2007 selon l’Insee) naissent avant que leurs parents ne convolent, essentiellement alors dans le but de légitimer leur descendance, il devient difficile de soutenir que c’est toujours le mariage qui fait la famille.
2L’évolution n’a pas échappé au regard des chercheurs. Chez les sociologues, François de Singly [1] a salué, avec la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, la reconnaissance de l’enfant comme une personne « à part entière » tandis que sur un autre registre le pédopsychiatre Daniel Marcelli, accusant mai 1968, qui aurait tué le père et la Loi de 1970, qui a supprimé la puissance paternelle, alertait sur le danger d’ériger l’enfant en chef de famille [2]. Malgré leurs divergences, l’un et l’autre se retrouvent pour noter que c’est bien l’enfant qui joue désormais le rôle de pivot dans la famille.
3Le droit, qu’on accuse souvent d’être en retard sur l’évolution des mœurs, échappe cette fois à ce reproche et on pourrait même soutenir qu’il a pris, dès la Révolution, l’initiative de promouvoir des valeurs d’avenir au sein de la famille en y protégeant l’enfant contre l’autorité absolue du père qui représentait les valeurs du passé. Face aux transformations sociales et économiques du mode de vie des Français, et en particulier à l’apparition de formes nouvelles de vie en commun, la loi s’est adaptée à la diversité, laissant en quelque sorte à chacun la possibilité de « choisir son droit » en application d’un pluralisme juridique dont le doyen Jean Carbonnier, le fondateur de la sociologie juridique, s’était fait le théoricien [3]. On assisterait ainsi, selon de nombreux juristes [4], à une sorte de « redéploiement stratégique ». Persuadé qu’il ne peut plus imposer aux membres de la société ses choix en matière d’organisation familiale, le législateur concentrerait ses efforts sur ce qu’il considère comme l’essentiel : une cellule familiale à composition variable certes, mais capable d’assurer l’éducation des enfants. S’opère donc un renversement de perspective : la famille n’est plus construite à partir du couple, mais à partir de l’enfant, celui-ci ouvrant des droits à ses parents (c’est l’enfant « à charge » du droit social et du droit fiscal), devenant le créancier de ses parents (c’est la responsabilité parentale que l’on tend à substituer à l’autorité parentale) ou étant promu sujet autonome de droits (c’est l’enfant entendu et défendu, l’enfant dont les droits propres sont déclarés). Dès lors, le droit peut s’accommoder de la pluralité.
Notes
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[1]
de Singly F., 2004, Enfants-Adultes. Vers une égalité de statuts ?, Paris, Universalis.
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[2]
Marcelli D., 2003, L’Enfant chef de famille, Paris, Albin Michel.
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[3]
Carbonnier D., 1969, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ.
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[4]
Fulchiron H., 1987, « Les nouvelles formes de vie familiale », Le courrier du CNRS, n° 75.