1Dans la langue des juristes, qui est réputée pour sa grande précision lexicale, quelques termes font parfois question en raison de leur imprécision sémantique. C’est par exemple le cas de la notion d’« intérêt de l’enfant » à laquelle, en matière civile, le juge est invité à se référer pour fonder sa décision lorsqu’un mineur est en cause. Même s’il est censé baliser et guider la décision du magistrat, l’intérêt de l’enfant est moins un concept juridique qu’un principe général à connotation psychologique dans la définition duquel l’appréciation d’un tiers considéré comme expert (travailleur social, psychologue, médecin) sera souvent déterminante.
2Le fait que la notion n’ait pas été définie a priori par le législateur a, pour beaucoup d’observateurs, participé de la grande souplesse grâce à laquelle l’ordonnance de 1958 modifiée en 1970 sur l’assistance éducative a pu traverser les années sans devoir être modifiée sur le fond. Cette relative faiblesse conceptuelle ne l’a pas non plus empêchée de prospérer et l’analyse de la réforme du système français de protection de l’enfance [1] (loi du 5 mars 2007) révèle le rôle essentiel qu’elle y joue via les références que le législateur a faites au principe d’intérêt supérieur de l’enfant affirmé par la Convention internationale sur les droits de l’enfant (Cide) de 1989.
3Sans produire d’avancée décisive dans la définition du terme, la Cide s’est quand même attachée à préciser ce qui doit être considéré comme les conditions d’un développement harmonieux de l’enfant. Parmi ces conditions, le droit de vivre avec ses parents ainsi que celui d’être protégé des dangers que ces derniers peuvent représenter pour lui. Mais pour certains professionnels de l’enfance, la législation française ne tenait pas suffisamment compte de l’intérêt supérieur du mineur et, au moment de la réforme du CASF (Code de l’action sociale et des familles), des interventions déterminées ont été entreprises afin de substituer la notion d’intérêt de l’enfant à celle de danger comme fondement de l’assistance éducative. Pour de nombreux observateurs, elle apparaît désormais comme une notion-clé de la loi non seulement parce qu’elle est affirmée de nombreuses fois dans des dispositions du CASF ou du Code civil mais encore parce que c’est maintenant sur elle que la loi fonde plusieurs de ses principes d’action et définit des objectifs de prise en charge qui en appellent à la prise en considération du besoin d’attachement et de stabilité affective de l’enfant.
4L’intérêt de l’enfant a donc bien changé de statut. Naguère évoqué presque « à défaut » pour justifier une décision difficile à arrêter, il est devenu argument principal de la loi, gagnant grâce à la Cide la propriété et le qualificatif de supérieur qui lui confèrent un avantage décisif quand il entre en concurrence avec d’autres intérêts auxquels il ne s’oppose pas, comme celui des parents, mais sur lesquels il prend le pas.
Notes
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[1]
Naves P., Rabin-Costy G., Briand C., Lianos F., 2007, La réforme de la protection de l’enfance : une politique publique en mouvement, Paris, Dunod, coll. « Enfances ».