1Le traitement d’un certain nombre de questions sociales, telles que l’échec scolaire ou la délinquance juvénile, passe aujourd’hui par un soutien aux parents dans leurs fonctions. Cette réorientation de l’action sociale interroge la prise en compte par les professionnels de la variabilité des conditions d’exercice de la fonction parentale, la connaissance des publics ainsi que la question de l’évaluation des dispositifs.
2Mieux satisfaire aux intérêts de l’enfant et de la collectivité en intervenant directement auprès des parents dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives résume l’ambition actuelle du soutien à la fonction parentale. Comme levier de réduction des facteurs de risque et de promotion des facteurs de protection dans la sphère familiale, il vise à maintenir ou conforter les parents, même vulnérabilisés, dans une position de « premier responsable » du bien-être et de la réussite éducative de leur enfant.
Atteindre l’enfant par une stratégie de soutien des familles dans leurs tâches éducatives
3Cette inspiration générale est un axe principal des recommandations des organisations internationales et des institutions européennes en matière d’enfance et de jeunesse depuis une vingtaine d’années. La Convention internationale sur les droits de l’enfant (Cide), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1989, est ainsi venue consacrer l’idée que le soutien à la fonction parentale est le premier levier d’action pour satisfaire l’intérêt de l’enfant. Si la Cide établit l’enfant comme détenteur de droits, elle stipule également que la responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents, ces derniers devant avant tout être guidés par l’intérêt supérieur de l’enfant (article 18). Ce même article peut être interprété comme un article de « provision » : il faciliterait moins la mise en cause de la responsabilité des parents qu’il n’imposerait aux États des obligations actives de soutien à leur égard. Les autorités publiques sont ainsi invitées à ne pas se limiter à la garantie des droits de l’enfant – le cas échéant, contre son milieu familial – mais à reconnaître les responsabilités des parents et à les soutenir afin de leur permettre d’élever leurs enfants (« droit à recevoir un soutien approprié des autorités publiques dans l’exercice des fonctions parentales ») [1].
4Cette perspective est reprise et approfondie dans la recommandation du Conseil de l’Europe relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive (2006) qui suggère aux gouvernements des États membres « de reconnaître le caractère essentiel des familles et de la fonction parentale et de créer les conditions nécessaires à une parentalité positive qui tienne compte des droits et des intérêts supérieurs de l’enfant » par « toutes les mesures appropriées, législatives, administratives, financières et autres » [2]. La recommandation souligne, notamment, qu’au regard des « changements sociaux actuels », « la parentalité, tout en restant liée à l’intimité familiale, devrait être considérée comme un domaine relevant aussi de politiques publiques » : outre les mesures de politique familiale générale, sont préconisés des services dédiés de soutien aux parents (centres et services locaux, lignes téléphoniques d’aide, programmes éducatifs et de soutien pour les parents, développement de la coopération entre écoles et parents), renforcés pour les parents à risque d’exclusion sociale. L’hypothèse d’une fréquence plus élevée de parents en difficultés éducatives est ici sous-jacente, en lien avec les nouvelles réalités sociales constatées : développement de la précarité socio-économique, instabilité des liens conjugaux, monoparentalité, installation permanente des migrants et de leurs familles, autonomisation précoce des jeunes et montée des exigences scolaires, etc. La généralisation de la problématique du soutien à la fonction parentale apparaît comme le fait d’un ajustement de l’action publique aux transformations récentes de la famille et reflète une préoccupation nouvelle quant à l’action éducative des familles (démission, défaillance ou difficultés).
Renforcer les pères, et plus souvent les mères, dans leur rôle de parent
5Ces perspectives internationales ont rencontré un terrain particulièrement favorable en France, qui présente une tradition déjà longue en matière d’éducation familiale et d’accompagnement des relations enfants-parents. La France s’est caractérisée, dès l’entre-deux guerres, par l’existence d’un mouvement « familialiste » intéressé par l’amélioration des modalités concrètes d’exercice de l’autorité parentale (voir la création de l’École des parents en 1929) (Ohayon, 2000). L’adhésion aux approches psychanalytiques et aux théories psychologiques du développement de l’enfant ont par la suite constitué un terreau favorable à un renouveau de l’aide à la parentalité sur des bases plus professionnalisées. L’ouverture à la fin des années 1970, sous l’impulsion de Françoise Dolto, des premières « Maisons vertes » (lieux pour l’accueil des jeunes enfants et de leurs parents) en est une illustration privilégiée. Enfin, à partir de la fin des années 1980, en parallèle à la montée du divorce, les promoteurs de la médiation familiale (dont les associations animatrices des Points rencontre enfants-parents pour la reprise et le maintien des liens familiaux) sont venus compléter l’offre à destination des parents. Sous l’influence de la Cide, l’argumentaire pour l’accompagnement de la parentalité et des liens familiaux s’est depuis placé très directement sous l’égide de l’intérêt supérieur de l’enfant.
6Dans le contexte « familialiste » de la société française, l’idée de renforcer les pères, et plus souvent les mères, dans leur rôle de parent n’est pas une idée nouvelle. Un tournant a toutefois été effectué dans les années 1990 et 2000, dès lors que ces initiatives, qui relevaient pour l’essentiel de la société civile, ont trouvé un relais et une reconnaissance par les pouvoirs publics et la branche famille. Cette évolution traduit une réorientation de l’action publique. D’une stratégie de prise en charge essentiellement professionnelle et institutionnelle des difficultés de l’enfance et de la jeunesse, une transition s’opérerait – du moins en théorie - vers une stratégie d’aide et de soutien à un cercle élargi de familles dans leurs tâches éducatives, dès lors qu’elle sont, temporairement ou plus durablement, déstabilisées par des facteurs qu’elles maîtrisent peu ou mal. Cet intérêt pour la parentalité, risque et remède, est partagé par une majorité de pays de l’OCDE (Organisation de coordination et de développement économiques). Que l’on considère l’action publique en France, mais aussi en Belgique, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, il est de plus en plus établi que la prévention de nombreuses questions sociales, telles que l’échec scolaire, l’inadaptation psychologique et sociale de certains enfants et adolescents ou la délinquance et les incivilités juvéniles, appelle une réorientation de l’action sociale en direction des familles. Au-delà de la prise en compte par les pouvoirs publics des dynamiques récentes de transformation de la vie familiale, les stratégies de soutien à la fonction parentale trouvent une justification décisive dans la mise en évidence des limites ou des échecs des stratégies de compensation des inégalités précoces de développement constatées chez les jeunes générations.
Les limites des stratégies compensatrices alimentent l’intérêt pour les stratégies préventives
7Les difficultés de l’action publique à corriger – par l’école, la solidarité, voire la protection de l’enfance - la divergence très précoce des trajectoires argumentent nettement en faveur de stratégies plus préventives, dont le soutien à la fonction parentale est une des dimensions. Ce diagnostic est à mettre en relation avec les travaux d’expertise s’intéressant notamment aux déterminants de la réussite scolaire. À titre d’illustration, dans la France contemporaine, la majorité des inégalités d’acquis cognitifs constatés à l’entrée en 6e reste imputable aux écarts de compétences mesurés dès l’entrée au cours préparatoire, eux-mêmes très différenciés socialement (Caille et Rosenwald, 2006). Elle est également en lien avec les résultats des recherches conduites sur le devenir des enfants des familles défavorisées, ou n’offrant pas de modèle d’attachement stable et sécurisant, voire maltraitantes. Elle réfère enfin aux analyses des logiques d’entrée des mineurs dans la délinquance. Les conclusions de ces différents travaux ont conduit à réévaluer l’impact de l’éducation familiale et des conduites parentales sur le niveau de bien-être de l’enfant et, à plus long terme, sur les trajectoires socio-économiques individuelles [3]. Ces conclusions ont aussi mis en évidence les limites d’action des différentes institutions éducatives ou de sauvegarde de l’enfant. Le constat, formulé dès les années 1970 et 1980 d’un échec relatif de la démocratisation scolaire et des difficultés d’intégration des jeunes élevés en institution (dans le cadre de la protection de l’enfance, de l’enfance inadaptée ou de la protection judiciaire de la jeunesse) a conduit à repenser les politiques publiques [4]. Dans le cas de la France, comme dans de nombreux pays développés, l’investissement accru des pouvoirs publics depuis une quinzaine d’années dans des dispositifs visant à préparer et soutenir les parents dans leurs soins et leurs tâches éducatives auprès de leurs enfants est ainsi particulièrement manifeste. Il s’observe dans un nombre croissant de domaines : protection de l’enfance, santé publique, politiques éducatives, familiales, de prévention et de lutte contre la délinquance juvénile. Cette stratégie prend corps dans un renouveau des modes d’action sociale et d’assistance éducative à destination des familles : développement des interventions dans le champ du conseil, de la formation et de l’accompagnement des parents et futurs parents, des services de médiation familiale ainsi que de médiation culturelle ou sociale entre les familles et les différents services publics.
Un déficit d’évaluation et d’ordonnancement des dispositifs
8Soutenir la fonction parentale pour renforcer la part des parents dans l’éducation de leurs enfants, voire pour prévenir les risques de défaillance et de maltraitance parentale, apparaît désormais comme une idée de « bon sens » préconisée par un nombre croissant d’acteurs publics. Pour autant, ce mouvement relève en partie d’un affichage de priorités plus que de réalisations concrètes et les crédits affectés restent limités. À titre d’illustration, les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (Réaap), installés depuis 1999, plafonnent en dessous de 50 millions d’euros de crédits, tous financeurs confondus (État, collectivités locales, Caf et MSA). Cette notion recouvre surtout une grande diversité de dispositifs, souvent disparates et localisés, dont le succès est conditionné par leur adaptation aux publics « cibles » : parents « ordinaires » à l’épreuve de la désunion du couple, parents populaires face à l’institution scolaire, parent isolé et/ou en grande difficulté psychosociale…
9Au regard des évaluations disponibles, quelle est l’efficacité des dispositifs de soutien à la fonction parentale du point de vue du bien-être de l’enfant ? Il est à souligner qu’à ce stade, l’essentiel des dispositifs n’ont pas fait l’objet d’une évaluation spécifique quant à leur « impact ». Sur la base d’une évaluation des moyens mis à disposition, le rapport de l’Igas de 2004 avait conclu à une pertinence des Réaap tout en soulignant un déficit de structuration et de pilotage des réseaux (Roussille et Nosmas, 2004). À ce diagnostic semble s’ajouter, au regard des observations sur le terrain, une difficulté persistante de stabilisation des bonnes pratiques et des référentiels d’intervention, ainsi que le maintien d’un nombre limité de parents inclus dans ces dispositifs, en dépit de l’intérêt voire de l’originalité manifeste de nombreuses initiatives (dont, par exemple, le développement des universités populaires de parents dédiées à la relation parents-école). Si l’on considère la médiation familiale, celle-ci bénéficie d’un cadre légal favorable et de financements. Pourtant, si le nombre de médiations familiales est en augmentation continue depuis 2003, les différents rapports publics (Médiateur de la République, Défenseur des enfants, etc.) ont constaté que la médiation familiale jouait toujours un rôle très marginal dans le processus de traitement des conflits, sa pratique restant très inégale selon les lieux et les tribunaux. Du point de vue de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, les premiers résultats d’évaluation (Cnaf, Fenamef) feraient apparaître que si « seulement » 51 % des médiations étudiées ont permis d’aboutir à un accord écrit et à une résolution du conflit total ou partiel, 62,4 % estiment que la médiation les a aidés à trouver des solutions concernant les besoins des enfants, et 30,4 % que leur relation avec leurs enfants est meilleure. Ces analyses mériteraient d’être approfondies (Delannoy, 2009).
Un recours à l’expérimentation pour mieux démontrer l’impact sur le développement des enfants
10Dans la période la plus récente, on constate la tentative d’expérimenter des protocoles d’intervention auprès des parents en fonction d’un ciblage mieux ajusté de leurs difficultés et d’un pilotage étayé par une démarche robuste d’évaluation. Parmi les (trop) rares exemples, on peut citer l’expérimentation « La mallette des parents », réalisée dans l’académie de Créteil et évaluée par l’École d’économie de Paris. L’objectif de cette expérimentation était d’accroître la participation des parents d’élèves de 6e à la scolarité de leurs enfants en évaluant les effets de la mise en place d’ateliers d’accompagnement et de débats pour renouer le lien avec le milieu scolaire. Parmi les effets notables l’on a observé (par comparaison à un groupe témoin) une implication plus forte comme parents d’élèves, une amélioration sensible du comportement des enfants (moins d’absentéisme, moins d’exclusions temporaires) et un impact sur certains résultats scolaires en français, notamment pour les exercices les plus simples, à la portée des élèves faibles (l’intervention agissant d’abord sur les motivations et les comportements). Cette évaluation tend à démontrer qu’une politique simple et peu coûteuse peut avoir des effets sur le rapport des parents à l’école et sur la socialisation des élèves.
11Dans un autre registre, voir aussi la recherche-intervention CAPEDP (Compétences parentales et attachement dans la petite enfance : diminution des risques liés aux troubles de santé mentale et promotion de la résilience). Initiée en région parisienne depuis 2008, elle consiste à intervenir de façon précoce auprès de mères isolées en difficulté sociale, pendant la grossesse et jusqu’aux deux ans de leur premier enfant. L’intervention CAPEDP vise à promouvoir les comportements de santé positifs (alimentation, santé…) durant la grossesse et les premières années de vie de l’enfant, les soins adaptés à l’enfant, l’attachement et une relation mère-enfant de qualité, les compétences parentales dont la gestion des comportements difficiles, le recours au réseau familial, l’accès aux crèches et au réseau sanitaire et social de la petite enfance, le développement personnel de la mère (contacts avec le système de soins, avec l’environnement social, l’accès à la formation professionnelle et au monde du travail). L’étude menée actuellement en Île-de-France permettrait d’évaluer la valeur ajoutée d’une intervention codifiée sur la mise en place des premiers liens, le développement et la santé de l’enfant. L’intervention est surtout représentative des nouvelles interventions globales telles qu’elles se développent dans les pays anglo-saxons : il s’agit de travailler à la fois sur le retour vers l’emploi, la santé, les compétences parentales et le recours aux modes de garde. Ces interventions sont orientées vers un ensemble cohérent d’objectifs (Boisson, 2008).
Faire correspondre à la diversité des publics une diversité des dispositifs
12La question de la connaissance des publics ainsi que celle de l’évaluation sont centrales pour l’analyse de l’impact de ces dispositifs sur le développement et la socialisation de l’enfant, les pratiques parentales et la qualité des relations parents-professionnels, la satisfaction des usagers et des bénéficiaires. En matière de soutien à la parentalité, le passage de la théorie à la pratique ne saurait faire l’économie d’une connaissance fine des conditions d’exercice de la fonction parentale, variables selon la trajectoire et la situation socio-économique des familles. De plus, dès lors que certains des dispositifs peuvent se révéler intrusifs dans la vie privée des bénéficiaires, il s’agit d’accompagner leur développement par une démonstration de leur plus-value en matière de bien-être et d’inclusion des jeunes générations. Certains modes d’intervention peuvent susciter un embarras chez une partie des professionnels, pour partie imputable à un déficit de diagnostic et d’évaluation dans le contexte français, pourtant seuls à même de valider les bonnes pratiques. Cette inspiration doit enfin délimiter nettement son domaine de pertinence : elle trouve ses limites notamment dans les cas où l’intérêt de l’enfant se trouve durablement compromis par son environnement familial ou dès lors que la violence physique ou psychologique d’un parent sur un ex-conjoint vient invalider les bénéfices attendus d’une démarche de médiation familiale ou de maintien des liens.
Notes
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[1]
Voir également le préambule : les États parties signataires sont réputés « convaincus que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté ».
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[2]
Recommandation Rec(2006)19 du Comité des ministres aux États membres relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive, adoptée par le Comité des ministres le 13 décembre 2006.
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[3]
La redécouverte de l’importance de l’activité éducative des parents et le développement des interventions dans le champ de l’éducation familiale sont particulièrement bien renseignés par Durning P., 2006, Éducation familiale. Acteurs, processus et enjeux, Paris, Presses universitaires de France. En lien plus spécifiquement avec la délinquance des mineurs, voir également Boisson M. et Delannoy L., (2008), La responsabilisation des parents, une réponse à la délinquance des mineurs ? Perspectives internationales, Centre d’analyse stratégique, disponible sur http://www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=708.
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[4]
La dénonciation des insuffisances et des effets pervers de la prise en charge institutionnelle de l’enfant privé de milieu familial normal est portée par le rapport Dupont-Fauville dès 1973 : « Trop d’enfants sont retirés de leurs familles sans qu’aient pu être apportés tous les moyens qui pourraient permettre à leur famille de les garder » ; voir également la contribution des pédopsychiatres Michel Soulé et Jeanine Noël, « Le grand renfermement des enfants dits «cas sociaux» ou malaise dans la bienfaisance », Pour une réforme de l’Aide sociale à l’enfance, texte du rapport Dupont-Fauville, Paris, ESF.