1Dans la riche histoire de la presse britannique, The New Statesman tient une place tout à fait particulière qu’il serait difficile de comparer à celle d’un de ses homologues français. La fondation de l’hebdomadaire en 1913 [*] répondait à la suggestion d’un ancien Premier ministre, pourtant conservateur, Arthur Balfour, de donner une tribune et un support d’échanges à la Fabian Society, un groupe d’intellectuels attachés à promouvoir les idées progressistes par la réforme plutôt que par la violence. Porté par des hommes et des femmes comme Sidney et BeatriceWebb ou George Bernard Shaw, entre autres, le journal fut dès son premier numéro une entreprise collective à visée prosélyte. Le nom de The Statesman (qu’il convient de traduire plutôt par « Le Politique » avec un P majuscule) d’abord envisagé pour la publication, fut remplacé dès le deuxième numéro par celui de The New Statesman afin de ne pas prêter à confusion avec le titre du plus grand quotidien de langue anglaise en Inde.
2La grande originalité du magazine réside dans l’approche qu’il a très vite proposée des questions d’actualité [1]. Il était engagé, certes, mais d’une manière nouvelle, c’est-à-dire davantage sur des principes généraux de philosophie sociale que sur des options de politique « politicienne ». Surtout, il mettait les questions qu’on qualifierait aujourd’hui « de société » au cœur de son champ d’intérêt, ce qui constituait pour l’époque une innovation audacieuse. Les noms de plusieurs intellectuels et artistes figurent parmi les parrains de la publication, à laquelle ils ont conféré une aura de liberté fondée sur leur indépendance vis-à-vis des partis politiques traditionnels. Le New Statesman s’imposa d’emblée grâce à un style didactique et des choix éditoriaux qui recueillirent une large adhésion des lecteurs. Quelques mois après son lancement, il affichait un tirage de plus de 3 000 exemplaires et talonna rapidement la diffusion de son grand rival, le littéraire et conservateur Spectator fondé en 1828. Fort du nombre croissant de ses lecteurs, le magazine attira également les grands noms de la littérature au fil des ans, chaque nouvelle génération ayant à cœur de laisser ses signatures les plus prometteuses au bas des colonnes du journal.
3Après avoir fusionné en 1931 avec l’hebdomadaire libéral Nation qui était dirigé par l’économiste John Maynard Keynes, le New Statesman s’orienta de plus en plus ouvertement à gauche, s’engageant assez tôt et résolument dans l’antifascisme. Il suivit cette ligne jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au terme de laquelle il adopta des positions hostiles au colonialisme et favorables au désarmement nucléaire. À la fin des années 1960, la revue tirait à près de 100 000 exemplaires et pouvait, après une nouvelle fusion impliquant cette fois son confrère New Society, s’engager sur une voie éditoriale faisant un large appel aux sciences sociales et s’intéressant aux pratiques inspirées par celles-ci, éducatives en particulier. Sa mise en ligne, à partir de 1998, et la refonte de son site Internet à la fin de l’année 2006 lui ont permis, via l’interactivité qu’autorisent les nouvelles technologies de la communication, d’établir avec son lectorat une relation très dynamique pour un presque centenaire.
