1Dans presque tous les pays dotés d’un système de protection sociale, la mise en place de celui-ci est attachée au nom d’un homme politique ou d’un haut fonctionnaire qui en est considéré comme le « père », ainsi de Bismarck en Allemagne ou Pierre Laroque en France [*]. En Grande-Bretagne, ce nom est celui de SirWilliam Henry Beveridge, dont les efforts ont conduit, entre 1945 et 1951, à l’adoption des lois organisant le Welfare State, institution connue de ce côté de la Manche comme l’État-providence. Dès 1946, les assurances nationales fondées sur le principe de cotisations ont été étendues par le gouvernement travailliste à pratiquement tous les citoyens anglais, y compris les travailleurs indépendants.
2À l’instar de ses homologues allemand et français, Beveridge (1879-1963), professeur d’économie, membre du parti libéral et président d’une commission parlementaire, a été à la fois le concepteur et le maître d’œuvre du dispositif. Les idées sur lesquelles se fonde celui-ci constituent la matière de deux rapports, respectivement consacrés en 1942, aux assurances sociales (Social Insurance and Allied Services) et, en 1944, au plein-emploi (Full Employment in a Free Society). Très inspirées par la pensée de John Maynard Keynes à laquelle elles s’attachent à donner un prolongement social, elles posaient comme principe que l’état de détresse matérielle dans lequel se trouvaient beaucoup d’Anglais ne devait pas être toléré dans un pays riche et qu’il appartenait à la collectivité de dégager les moyens nécessaires pour lutter contre l’indigence : « À l’avenir, écrit Beveridge, l’État aura la charge d’une nouvelle fonction publique. Il doit assurer un décaissement total suffisant pour protéger ses citoyens contre un chômage massif aussi énergiquement qu’il lui appartient de les défendre […] contre le vol et la violence ».
3Convaincu que c’est le plein-emploi qui fait la prospérité d’une nation et non l’inverse, Beveridge affirmait le droit de tous à une protection unique, universelle et uniforme contre les accidents de la vie (perte d’emploi, invalidité, maladie, ignorance). Les moyens de cette politique sont d’abord la réduction du chômage et, quand cette mesure est insuffisante, une intervention de l’État étayée par le recours à l’emprunt public, mesure que Beveridge considère comme une forme de transfert des revenus. Ainsi s’exprime l’opposition « assurance/assistance » sur laquelle repose aujourd’hui encore l’analyse des politiques de protection sociale. Cette doctrine, qui a fortement influencé nombre de pays européens, surtout nordiques, s’opposait radicalement au modèle dit « bismarckien », fondé sur les cotisations sociales des employeurs et des salariés, qui domine en France, en Allemagne et en Italie. Proposée en 1942 à un peuple en guerre dont il fallait soutenir le moral, elle a résisté à beaucoup d’épreuves parmi celles que le pays a traversées et nombre de ses analystes partagent la conviction qu’elle a joué un rôle décisif dans le maintien et le développement de la citoyenneté britannique au fil des ans.
Notes
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[*]
Dumont J.-P., 1998, Les systèmes de protection sociale en Europe, Paris, Economica.