1Moqués sur des registres aussi talentueux que différents par Courteline dans Messieurs les ronds-de-cuir [1] ou par Rimbaud avec Les Assis [2], souvent décrits comme bornés et formalistes, peu humains et plus soucieux de leur tranquillité que de la tâche qui leur est confiée, les agents du service public, ceux qu’on appelle « les fonctionnaires », ont souvent mauvaise presse dans notre pays.
2Leur procès est nourri davantage par des stéréotypes et des préjugés que par des faits établis et bien souvent injustes. Mais l’image sur laquelle il repose fait hélas partie du paysage culturel, au sein duquel elle est véhiculée avec complaisance. S’il peut sans doute se produire des défaillances individuelles regrettables et ponctuelles (on parle des trains en retard, pas de ceux qui arrivent à l’heure !), le niveau de qualité des services publics et des prestations de ceux qui les rendent en France n’est pas pointé par les études comparatives européennes comme inférieur à celui qui est observé ailleurs [3].
3La satisfaction de l’usager, rappelle France qualité publique, bulletin de l’association éponyme, est d’abord un sentiment ; et il est bien difficile de modifier un sentiment. Un tel constat n’interdit pourtant pas de chercher à repérer les éléments concrets sur lesquels se fonde cette impression, piste qui conduit directement aux conditions d’accueil des usagers du service public.
Cinq engagements pour la qualité
4Dans l’évolution d’une relation, chacun le sait, le premier contact est déterminant. Ce principe s’applique aux rapports de service tout autant qu’à d’autres types de contacts sociaux.
5De la qualité de l’accueil dépend en grande partie celle des rapports entre le prestataire et l’usager, l’établissement entre eux d’un climat de confiance ou de défiance et, finalement, la qualité de la prestation elle-même.
6Fort de cette conviction, le secrétariat d’État à la réforme de l’État s’est attaché à piloter, à partir de 2003, un travail interministériel destiné à concevoir une charte générique, modulable, ouverte et évolutive de l’accueil destinée aux administrations recevant du public, sur le modèle britannique de la Charter Mark Unit [4].
7Dans un premier temps, un travail de recensement et d’analyse des chartes existantes a été entrepris, suivi par la rédaction d’un pré projet d’abord soumis à un groupe de cinquante fonctionnaires, puis présenté à un groupe-test d’usagers avant d’être ajusté en conséquence.
Trois principes clés ont été retenus :
- la continuité des projets déjà accomplis (il n’était pas question de « réinventer » l’accueil à partir de zéro mais de l’améliorer),
- la recherche d’une base commune d’engagements qui soit à la fois fédératrice et adaptable à la diversité des missions et des publics,
- le recours à l’expérimentation et à la concertation.
- faciliter l’accès des usagers aux services,
- assurer un accueil courtois et attentif,
- répondre de manière compréhensible dans le délai annoncé,
- traiter systématiquement les réclamations,
- recueillir les propositions des usagers pour améliorer la qualité du service public.
Principalement destinée aux services de l’État, la charte a très vite été appliquée par d’autres structures de l’administration et bureaux relevant du service public, qui l’ont adaptée à leur spécificité en utilisant le matériau fourni par la Délégation aux usagers et aux simplifications administratives (Dusa) : guide méthodologique, affiches, panneaux d’information pour le public, etc.
De la charte au label
10Un peu plus d’un millier de lieux ouverts au public disaient alors appliquer les préconisations de la charte. Mais une enquête « usagers mystère » [5] menée à la fin de l’année 2005 a révélé qu’un tiers seulement de ces sites pouvait réellement s’en réclamer, beaucoup d’écarts assez sensibles se manifestant vis-à-vis des engagements annoncés.
11Du constat de ces carences est née la création et la mise en œuvre, par la Direction générale de la modernisation de l’État à partir de 2006, d’une certification de la qualité de l’accueil à partir d’un référentiel dont le respect conduirait à la délivrance d’un label par un organisme indépendant pour une durée de trois ans renouvelable.
Une nouveauté : le suivi de la qualité en interne
12Par rapport à la charte de 2004, le référentiel Marianne s’est enrichi d’une sixième grande rubrique relative au pilotage et au suivi des exigences de qualité en interne.
13Ce référentiel d’une vingtaine de critères [6] concerne désormais, sur la base du volontariat, toute structure accueillant des usagers et exerçant une activité de service public : administrations d’État et juridictions, collectivités territoriales, établissements publics (nationaux ou locaux, administratifs ou industriels et commerciaux), organismes de protection sociale et organismes chargés de la gestion d’un service public.
14Certains de ces engagements ont eu un impact rapide et visible, comme le fait pour les fonctionnaires de signaler leur identité ou la formation à un meilleur accueil des agents chargés de cette tâche. Mais le plus important en matière de changement dans les rapports entre l’administration et le citoyen est sans doute à venir, sous la forme d’une mutation en profondeur de la relation entre l’usager et le service public qu’entraînera nécessairement l’évolution en cours du statut d’usager vers celui de consommateur.
Si la démarche française ne peut revendiquer aucune priorité par rapport à d’autres pays de l’Union européenne (la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Pologne), où le mouvement a été initialisé dès les années 1990, elle peut se targuer d’être allée plus loin qu’eux en s’engageant dans la voie de la labellisation et de la certification, laquelle permettra d’inscrire l’enjeu de l’accueil dans la continuité.
Notes
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[1]
Courteline G., 1893, Messieurs les ronds-de-cuir, Paris, GF-Flammarion.
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[2]
Rimbaud A., 1871, « Les Assis », in Poésies, Paris, Classiques Garnier.
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[3]
France qualité publique, 2004, La Satisfaction des usagers/clients/citoyens du service public, Paris, La Documentation française.
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[4]
Ce label a été lancé en 1992 par le Cabinet Office, l’état-major du Premier ministre britannique, pour certifier la qualité de service d’une institution en relation avec le public.
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[5]
La démarche faisant appel à des usagers mystère a été entreprise par la Délégation aux usagers et aux réformes administratives. Le principe est de recueillir les commentaires d’enquêteurs qui, après s’être présentés dans les services comme des usagers ayant une demande courante, renseignent des grilles d’observation formalisées dont l’exploitation fait ensuite l’objet d’un rapport de synthèse.
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[6]
Comme ceux de la charte, les engagements du label couvrent les différentes formes d’accueil mais ils ont en plus été précisés qualitativement et quantitativement – par exemple sur la question des délais de réponse – afin de devenir plus opérationnels.