1La question que pose ce numéro d’Informations sociales et à laquelle il tente de répondre peut passer ou pour très simple ou pour trop simpliste.
2Simple d’abord puisque l’expérience commune nous met le plus souvent, en matière de politique sociale, face à des débats tranchés qui voient s’affronter des camps antagonistes où le progressisme le dispute au conservatisme : le premier impose des « conquêtes sociales » à moins qu’il ne défende bec et ongles des « droits acquis » quand le second, au nom du réalisme, fustige l’irresponsabilité, l’assistanat et la dérive des comptes publics. La « fabrique » des politiques sociales mobiliserait donc essentiellement des valeurs, des convictions et de la volonté politique qui, au gré des rapports de force, susciteraient l’avancée ou le recul de droits sociaux que finalement tous savent perfectibles mais aussi inévitablement limités.
3Simpliste au contraire si, mesurant l’énorme masse de littérature que les sciences sociales en général et la science politique en particulier ont consacrée aux politiques publiques, on entendait produire une réponse exhaustive. Pour qui veut entrer dans la boîte noire que représente la fabrication des politiques sociales, en passant derrière l’écran que constituent les affrontements médiatiques et les joutes politiques, c’est davantage un parcours labyrinthique qui s’impose que la mise au jour de mécanismes clairement définis.
4Nous voilà donc, comme souvent, conviés à un entre-deux. La question posée va appeler une ou plutôt plusieurs réponses. Ces dernières ne seront ni trop simples, car la chose est décidément très complexe, ni trop compliquées, car cela nuirait à leur compréhension pleine et entière. Le parti pris a été de choisir une série d’éclairages qui, pour être ponctuels, n’en ouvrent pas moins des perspectives convergentes et, espérons-le, stimulantes.
5Les contributions ont été conçues selon trois axes.
6Tout d’abord, les politiques sociales mobilisent des valeurs, des principes, des représentations, des paradigmes qui, dans l’épaisseur du fonctionnement social, circonscrivent des « questions » et les réfèrent à des cadres explicatifs ou à des systèmes de justification leur donnant sens et permettant en retour de déterminer des formes d’action collectives légitimes. Cela constitue la dimension cognitive des politiques, dimension tout à la fois familière parce que structurant des formes de lieux communs largement ressassés, mais aussi souvent mal connue car recelant de larges pans de contenus implicites ou non définis. Il en va ainsi de ces lieux qui ne peuvent être communs qu’à la condition de maintenir suffisamment de flou pour susciter convergences et assentiments. On pourra s’interroger ainsi sur les valeurs fondatrices des politiques sociales (justice, égalité, équité) et sur leur inscription dans les constructions juridiques. De même seront abordés le poids des modèles de politiques sociales qui sont promus par les organismes internationaux ou les instances européennes.
7Ensuite, les politiques sociales sont portées par des acteurs ou des groupes d’acteurs qui, aux différents niveaux de la société et au sein même des organes de décision politique ou à leur contact direct, élaborent des propositions, structurent des ensembles plus ou moins cohérents d’idées, suscitent la création d’organisations ou l’établissement d’institutions. Partant de ce que les politologues nomment la « mise sur agenda » pour en comprendre les logiques, sont proposées des analyses des think tanks, du rôle des lobbies ou encore des élites dans la fabrication de ces politiques.
8Enfin, dans une reprise transversale des problématiques précédentes, il est apparu utile de livrer une série d’exemples de construction de politiques dans le champ de l’aide et de l’action sociales. De la surprenante « loi Dalo » née sur les bords du canal Saint-Martin jusqu’à l’invention de l’API puis du RMI, en passant par les politiques de prise en charge de la dépendance, de prévention des grossesses juvéniles ou encore de conciliation, diverses réalisations concrètes sont passées au crible pour mettre en évidence les conditions de leur fabrication.
L’ensemble d’approches qui est ici proposé ne se veut ni complet du point de vue du champ des politiques sociales ni systématique sur le plan des constructions théoriques. Il entend simplement, au travers d’éclairages diversifiés, conduire le lecteur dans une sorte de voyage dont les étapes constituent des points de vue certes singuliers et limités mais contribuent à une vision globale des logiques et des mécanismes qui déterminent la construction des politiques sociales.