CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Même si la sociologie a vocation à aller au-delà des apparences, elle ne dévoile pas toutes les facettes du monde social. En raison de ses « angles morts d’analyse », cette discipline participe, en effet, à « l’invisibilisation d’un certain nombre de processus sociaux », estime le sociologue Stéphane Beaud [*]. Plusieurs domaines se révèlent très bien – voire «“trop” bien » – couverts, affirme-t-il. Ce sont ceux qui correspondent aux problèmes sociaux du moment, c’est-à-dire qui figurent comme tels à l’agenda politique et médiatique – et, partant, qui bénéficient souvent d’appels d’offres et de financements variés. Parmi les sujets « les plus saillants » de cette catégorie, S. Beaud cite l’exclusion, l’immigration, les quartiers défavorisés, la délinquance juvénile, la déscolarisation, les familles monoparentales, la prise en charge des personnes dépendantes, ou encore les formes du renouveau religieux.

2Certains thèmes, a contrario, sont largement sous-estimés ou négligés. Le manque le plus patent est, selon l’auteur, celui qui a trait à l’analyse de la stratification sociale. Les classes sociales et leurs rapports de force ne font plus recette, ce qui est en grande partie dû à la disqualification des catégories d’analyse marxiste. Ainsi, désormais, les conditions sociales d’existence des individus et des groupes sociaux échappent largement à la recherche. Dans le domaine de l’habitat, par exemple, le développement des zones pavillonnaires et le mouvement d’accession à la propriété apparaissent sous-enquêtés. Qui sont les résidents de ces nouveaux lotissements ??Pour le savoir, mieux vaut se tourner vers les géographes, car chez les sociologues, le sujet n’est guère prisé, répond S. Beaud. Il en est de même pour ce qui est du monde rural, pourtant en pleine transformation. Les études sur la consommation et, en particulier, celles qui portent sur les pratiques des consommateurs, sont également réduites à la portion congrue. Le chercheur déplore, à cet égard, l’impasse qui a été faite sur les effets inflationnistes du passage à l’euro, en 2002. Entre les données statistiques de l’Insee, toujours présentées comme rassurantes, et l’expérience vécue des consommateurs voyant fondre leur pouvoir d’achat, le sociologue aurait pu, « une fois n’est pas coutume, “en remontrer” à l’économiste »…

3Si l’on se souvient du programme de recherches de l’école durkheimienne, au début du XXe siècle, ou de celui de Pierre Bourdieu et de l’équipe du Centre de sociologie européenne, dans les années 1960, « on ne peut que constater un rétrécissement de l’horizon d’enquête des sociologues », regrette S. Beaud. Et de s’interroger : compte tenu de la conjoncture sociopolitique actuelle et de la dépolitisation relative des étudiants, quelle place peut-il encore rester, à l’Université, pour une « sociologie “critique”, qui construit de manière autonome et rigoureuse ses objets ? ».

Notes

  • [*]
    In La France invisible, ouvrage collectif codirigé par Stéphane Beaud, Joseph Confavreux et Jade Lindgaard, éd. La Découverte, 2006.
Caroline Helfter
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2010
https://doi.org/10.3917/inso.157.0035
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