La compassion : un « savoir y faire » discret
« La compassion dans l’exercice professionnel du travailleur social », Jean-François David, Mémoire pour l’obtention du DSTS (Diplôme supérieur de travail social), Institut régional du travail social de Lorraine, Metz, février 2008, 119 p + annexes, www.irts-lorraine.fr
1Un enfant qui s’est réveillé en pleurs, à peine endormi, et qui vient voir l’éducateur en lui disant que sa maman est morte, un enfant que l’on raccompagne doucement jusqu’à son lit. Une adolescente, malheureuse, blottie contre l’éducatrice, la tête posée sur les genoux de celle qui lui caresse les cheveux. Un autre soir, une autre chambre, une autre adolescente, une autre éducatrice, et pourtant une situation de douceur bien comparable. Trois moments de pure émotion saisis par Jean-François David, lui-même éducateur spécialisé travaillant dans un internat. Trois gestes d’éducateurs et d’éducatrices qui traduisent la compassion du professionnel pour l’enfant ou les adolescentes dont ils ont la charge. Depuis des années, et probablement depuis l’émergence d’un discours sur les professions sociales, les futurs professionnels ont été formés à prendre de la distance, à ne pas se laisser submerger par la douleur, les demandes et les souffrances de ceux et celles qu’ils rencontrent. Les assistants de service social ont même réutilisé le mot de « client » pour marquer cette altérité. On se souvient aussi de ces rapports truffés de « Monsieur a fait, Madame a dit », destinés à objectiver la distance par la marque du statut. Dans ces pratiques, la compassion n’a pas de place. J.-F. David réinterroge magistralement cette posture en se demandant si, justement, la compassion ne pourrait pas, parfois, devenir un geste professionnel. Pour fonder cette posture, le chercheur relit les travaux d’Hannah Arendt sur les différences entre la pitié qui suscite la parole et la compassion qui invite au geste d’accompagnement dénué de mots. S’inspirant de Luc Boltanski dans Souffrance à distance et des travaux de Laurent Thévenot, il montre que la compassion existe, qu’elle est une sorte de savoir y faire discret, peu valorisé professionnellement mais qui rejoint une éthique du soin, du prendre soin, au sens anglais de care et non de cure, soigner. Ce mémoire constitue à lui seul une véritable leçon de méthode tant les concepts y sont travaillés, installés dans leur histoire et discutés. Le terrain mobilisé, trois pages pour décrire ces moments de compassion ainsi qu’un court entretien, intégralement retranscrit dans le corps du mémoire, suffisent à donner une lisibilité à la démonstration et à rendre lumineux des débats si souvent abordés et pourtant si rarement clarifiés.
2Réf. 1552
Choix professionnels à l’épreuve de l’errance
« L’innovation sociale pour répondre à l’errance des jeunes : enjeux, logiques des travailleurs sociaux », Isabelle Belbeze, Mémoire pour l’obtention du DSTS, Centre de préparation, Université de Toulouse Mirail, mars 2008, 107 p.
3La scolarité obligatoire s’arrête à 16 ans, l’aide sociale à l’enfance, sauf exception s’achève à 18 ans et le RMI et ses dispositifs d’accompagnement commencent à 25 ans. L’arrivée du RSA pour les moins de 25 ans selon les modalités annoncées ne changera pas la démonstration d’Isabelle Belbeze. La question de l’errance des jeunes se pose surtout dans le creux de ces dispositifs entre 18 et 25 ans. Les réponses apportées par les différentes politiques portent principalement sur deux thématiques que sont l’accès au logement et l’insertion professionnelle. Des missions locales aux écoles de la seconde chance, une très grande diversité d’instruments est à la disposition des travailleurs sociaux mais la difficulté de leur usage est qu’ils valorisent précisément ce que beaucoup de ces jeunes en errance rejettent : la stabilité d’un logement et la continuité d’un travail. L’intérêt du mémoire d’I. Belbeze n’est pas dans l’analyse de l’errance des jeunes ou des dispositifs existants ; cela a déjà été écrit plusieurs fois, et parfois mieux. En revanche, rares sont les recherches qui se sont intéressées aux choix personnels des travailleurs sociaux confrontés à ce difficile rapprochement entre des jeunes et des solutions qui ne s’inscrivent pas dans les mêmes valeurs. I. Belbeze montre que les travailleurs sociaux, lorsqu’ils ne choisissent pas d’esquiver les problèmes posés, ce qui arrive parfois, selon qu’ils adoptent une logique professionnelle ou plus militante, plus engagée, peuvent opter pour des réponses de type conformiste ou plus innovante. Au-delà de la technicité professionnelle, les réponses sont aussi dans ces métiers très étroitement liées à des orientations personnelles. Réf. 1553
Éléments pour une histoire du Sida
« La géographie du Sida en Europe occidentale : une approche démographique », Béatrice Valdès, Thèse pour l’obtention du doctorat en démographie, institut d’études démographiques, Université Montesquieu, Bordeaux IV, juillet 2009, 410 p., dir. Christophe Berguouignan, http://iedub.u-bordeaux4.fr
4Avant le Sras, avant la grippe aviaire, avant la toute récente la grippe AH1N1, mais surtout avant le Sida, c’est-à-dire voici quelques trente années, les épidémies dans les pays occidentaux semblaient à mettre au rang des pathologies à oublier. L’apparition fulgurante du Sida est venue bouleverser cette perspective. Même si cette épidémie est restée en Europe occidentale plutôt marginale avec une incidence moyenne de l’ordre de 8 pour 1000 au plus fort de l’épidémie, elle a marqué très fortement les comportements des populations en raison de sa concentration sur les générations nées à la fin des années cinquante et au début des années soixante. Si l’épidémie a eu une forte similitude dans l’ensemble des pays d’Europe occidentale avec une forte hausse de l’incidence de la maladie jusqu’à la généralisation du recours aux multithérapies, suivie alors d’une importante diminution, deux groupes de pays se distinguent?: les pays méridionaux avec une forte incidence et les pays du nord de l’Europe avec une incidence plus faible. Si l’on sait que la contamination homosexuelle a été pratiquement identique dans l’ensemble des pays, les écarts entre le Nord et le Sud proviennent davantage d’autres formes de contamination. Béatrice Valdès, s’appuyant sur une analyse démographique intensive des sources disponibles, montre qu’il faut distinguer une contamination homosexuelle, une contamination hétérosexuelle plus tardive et plus féminisée et une contamination par voie intraveineuse. Cette dernière, très liée aux politiques publiques, explique une grande partie des décalages entre une Europe du Nord qui a développé des politiques de maîtrise des risques et des pays de l’Europe du Sud peu enclins à se confronter à ce problème. Alors que l’histoire du Sida évolue d’une histoire de la pathologie à l’histoire des façons de la traiter, la thèse de B. Valdès constitue un passionnant outil d’analyse d’une épidémie devenue une pathologie chronique. Réf. 1554
Paroles de pauvres de l’UE
« Ce qu’il nous faut là où nous vivons », Léopold Vereecken, Micheline Gérondal, Compte-rendu des 8es rencontres européennes des personnes en situation de pauvreté, European Anti-Poverty Network (EAPN), Bruxelles, mai 2009, 52 p., www.eapn.org
5La mise en œuvre de la stratégie dite de Lisbonne, initiée en 2000 lors des sommets de Nice puis de Lisbonne, a conduit l’Union européenne à intervenir plus directement dans le soutien et surtout la recherche de rapprochement entre les politiques des États membres dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, domaine qui ne figurait pas dans les traités fondateurs de l’Union. Cette stratégie qui s’incarne dans une « Méthode ouverte de coordination » (Moc), comprend plusieurs outils. On commence à découvrir en France les programmes nationaux pour l’inclusion, il arrive que l’on s’intéresse à des « peer-reviews » dans lesquels plusieurs pays comparent ce qu’ils estiment être leurs bonnes pratiques de lutte contre la pauvreté. Les rencontres européennes des personnes en situation de pauvreté constituent l’un des instruments de cette panoplie. Moins huppé que Davos, moins militants que les rassemblements altermondialistes, le modèle de ces rencontres est celui des forums internationaux. Quelques jours de débats en ateliers, des interpellations souvent vigoureuses de délégations d’associations mais dans lesquelles les personnes en difficulté sont plutôt bien présentes et actives, et deux ou trois discours de membres de la commission. On pourrait ne voir là qu’une manifestation de lobbying comme Bruxelles en connaît tant et se dire qu’après tout, même les plus pauvres ont le droit de peser sur l’Union. On peut aussi lire ce compte rendu en cherchant les signes émergents et les tendances. En mai 2009, l’impact de la crise financière était déjà largement ressenti, en particulier dans les pays qui ont procédé à une réduction sévère de leurs prestations sociales comme la Hongrie. Et puis de partout monte l’idée que les coûts de l’énergie sont devenus trop élevés et qu’il va falloir agir pour réduire la pauvreté énergétique qui s’instaure. Réf. 1555
Ase/parents : rendez-vous manqué ?
« De l’exercice du pouvoir entre parents et professionnels dans le cadre de la protection de l’enfance : études des conditions d’exercice du pouvoir, entre contrainte et négociation, quelle place pour le conflit », Christine Bonnefoy, Mémoire pour l’obtention du DSTS, Collège coopératif Rhône-Alpes, Lyon, février 2008, 149 p.
6Depuis le rapport Bianco-Lamy, les travaux et rapports se sont succédé, quelques ouvrages plus musclés ont même défrayé les chroniques dénonçant l’échec de l’aide sociale à l’enfance. Au-delà des polémiques, tous ces travaux ont pour point commun de décrire voire de dénoncer les grandes difficultés des services de l’Aide sociale à l’enfance (Ase) à faire une place aux parents. L’auteure de ce mémoire, elle-même éducatrice spécialisée, ne cherche ni à nier des évidences ni à ajouter une couche supplémentaire de dénonciation mais plutôt à comprendre ce qui est en jeu dans la difficulté voire l’impossibilité de cette rencontre parents-professionnels. En conduisant des entretiens avec des parents et des professionnels, Christine Bonnefoy montre les clivages entre des professionnels qui tendent à s’abriter derrière la loi et la norme, certains qu’ils sont de savoir ce qui est bien, et des parents. Ces derniers reconnaissent la légitimité de principe des professionnels de l’Ase mais souhaiteraient pouvoir être davantage présents, consultés et que leurs fragilités ne soient pas toujours une barrière les dissuadant de toute intervention conflictuelle, assurés qu’ils sont de perdre. Analysant la rencontre parents-professionnels comme un espace de pouvoir, C. Bonnefoy insiste sur la possibilité à l’intérieur de ce rapport de force de construire des moments de confrontations et de négociations.
Très inspirée par les approches du mouvement « Aide à toute détresse?» en matière de croisement des regards et des savoirs, C. Bonnefoy esquisse un modèle de travail social dans le secteur de l’aide sociale à l’enfance. Réf. 1556
Indicateur de synthèse
« Un indice de situation sociale régionale pour la région Île-de-France », Aurélien Boutaud, Florence Sabbah-Perrin, Luli Nascimento, Rapport d’étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, Paris, juin 2009,62 p. www.iau-idf.fr
7Les débats sur les indicateurs sociaux reviennent sporadiquement parmi les spécialistes français. On se souvient des premiers travaux de Jacques Delors sur ce thème dans le cadre du Commissariat général du plan, puis de ceux initiés par Patrick Viveret lors de la mise en œuvre du RMI au début des années 1990, lesquels se poursuivirent par la création d’une direction spécialisée au Ministère de la solidarité et des affaires sociales, la création de plusieurs observatoires dont celui des Zones urbaines sensibles et celui de la pauvreté. Une quinzaine d’années plus tard, cette thématique revient en force.
8Sans aller jusqu’au dernier rapport Stiglotz sur la mesure de la richesse nationale, les travaux de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas), le rapport du Haut Commissaire aux solidarités actives au Parlement ainsi que les travaux en cours de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion (ONPES) sur la construction d’indicateurs d’alerte et la participation des personnes en situation de pauvreté à la fabrication de ces indicateurs témoignent d’un renouveau de la réflexion sur les indicateurs sociaux. Parmi les débats en cours, il en est deux qui occupent plus fortement le devant de la scène. Le premier porte sur la régionalisation ou la territorialisation des indicateurs dans une société qui reste fortement centralisée. Le second est relatif à la possibilité de se doter d’indicateurs très synthétiques, à l’image du Produit intérieur brut (PIB) voire du taux de chômage, un indicateur synthétique étant supposé plus visible et donc susceptible d’être mieux pris en compte par les décideurs.
9Le projet présenté par l’institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France en lien avec la Mission d’information sur la pauvreté et l’exclusion en Île-de-France (Mipes) s’inscrit dans cette perspective. Reprenant des travaux développés principalement aux États-Unis, les auteur-e-s de cette étude aboutissent à un indicateur très global. Deux difficultés demeurent, la première sera celui de son opérationnalité dans la durée, la seconde reste de mieux définir ce que mesure exactement cet indicateur. Réf. 1557
Le camping, ça vous tente ?
« Le camping aujourd’hui en France entre loisir et précarité », France Poulain, Rapport édité par la Direction départementale de l’équipement et de l’Agriculture de l’Oise, Beauvais, 2009, 172 p., www.oise.equipement-agriculture.gouv.fr
10La première bonne nouvelle est qu’une Direction départementale de l’équipement et de l’agriculture se soit lancée dans une entreprise d’édition, publiant sous la forme de véritables ouvrages de format poche des travaux sur les territoires et plus particulièrement sur le département de l’Oise. Il ne s’agit pas de monographies localistes, intéressantes certes surtout quant on habite Beauvais, ce qui réduirait le lectorat, mais de vrais travaux de recherches. France Poulain synthétise ici un ensemble de travaux qu’elle a conduit sur les pratiques de camping en France depuis l’apparition des premiers campeurs, partant à pied avec un simple drap ou une vieille tente militaire pour retrouver la nature quelque part dans la forêt de Fontainebleau. Les temps ont bien changé et F. Poulain décrit les évolutions de cette pratique qui prit son essor avec les congés payés et explosa véritablement à partir des années soixante. Elle retrace la diversification des pratiques, la création des campings, la valorisation des camping-cars pour leur côté nomade, ou au contraire celle des mobilhomes pour leur caractère sédentaire. Phénomène moins identifié, elle insiste sur le développement des formes de camping caravaning sur des terrains privés qu’elle estime à 250 000 parcelles utilisées pour le camping, souvent en bord de mer. Des passages passionnants sont consacrés à l’émergence de la fonction sociale des campings. Il arrive en effet, et de plus en plus, que des campings soient utilisés comme une véritable résidence pour des personnes n’ayant plus de logement ou ne pouvant accéder à un logement trop cher pour leurs ressources. A cet usage du camping sur une trajectoire sociale descendante, F. Poulain oppose un usage ascendant, lorsque la séquence camping est un entre-deux à mi-chemin de la rue et d’un logement stable. N’hésitant pas à regarder également du côté des bidonvilles ou des caravanes installées sur des terrains privés dans une démarche de sédentarisation, l’auteure propose un panorama très complet et très novateur d’un phénomène rarement décrit dans sa globalité. Réf. 1558
De l’hébergement au logement, vers une autre politique ?
« Développer la fluidité des parcours de l’hébergement au logement », Isabelle Rougier, Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), février 2009, 158 p., www.ladocumentation francaise.fr
11À la différence d’autres pays européens, la France a fait le choix implicite, face aux tensions sur le marché du logement, de développer une politique d’hébergement depuis le milieu des années soixante-dix. Des centres d’hébergement et de réinsertion sociale jusqu’aux maisons relais, en passant par l’achat de nuitées d’hôtel ou la création de centres temporaires d’accueil, une très large panoplie d’instruments existe dans le secteur de l’hébergement. Ces formes d’habitat précaire sont supposées constituer des phases de transit pour des personnes en difficultés de logement et dont on suppose qu’elles ne disposent pas de toutes les compétences pour utiliser un logement de type normal. Ce modèle qui n’a jamais bien fonctionné vole de plus en plus en éclats avec l’insuffisance de logements disponibles pour des populations à bas revenus et l’arrivée d’une population de migrants ou de demandeurs d’asile à laquelle nous ne voulons pas apporter de réponse en termes d’insertion mais qui demeurent sur le territoire. Depuis quelques mois, on assiste au retour d’un discours plus ferme de la part des autorités françaises sur la nécessité de rééquilibrer le rapport entre hébergement et logement au profit du logement. Isabelle Rougier examine les conditions de possibilité de ce rééquilibrage. Elle pointe le fait que l’offre de logements disponibles est trop faible et que la récente loi Dalo (droit au logement opposable) va surtout modifier l’ordre des priorités dans la file des demandeurs de logements. Le rapport montre également les difficultés du secteur de l’hébergement à s’inscrire dans une logique d’accès au logement. Faute d’une transformation du marché du logement, la fluidité restera un vœu délicat à mettre en œuvre. Réf. 1559
Pauvretés féminines
« La pauvreté au féminin », Dominique Saint Macary, Pierre Levené, Rapport annuel 2008 des statistiques d’accueil du Secours catholique, novembre 2009, 75 p. www.secours-catholique.org
12En raison du recul du chômage d’abord et, sans doute aussi, des différents plans gouvernementaux, les situations de pauvreté semblaient se stabiliser, voire régresser. Les statistiques récentes comme celles de l’Insee ou du Secours catholique traduisent cette évolution. Elles sont paradoxalement diffusées dans une période où les conséquences du retournement économique du milieu de l’année 2008 commencent à faire sentir leur impact sans que l’on puisse le mesurer faute de recul. Confronté à cette situation difficile à expliquer, le Secours catholique a choisi, dans la première partie de son rapport annuel, de dégager les tendances lourdes des dix années passées. On y retrouve des informations sur le vieillissement de la population pauvre, la fragilisation des plus âgés, l’expansion des travailleurs pauvres, l’impact de l’augmentation des loyers sur le reste à vivre des populations à faibles revenus. La seconde partie rassemble toutes les informations disponibles au Secours catholique sur la montée de la pauvreté des femmes. Enfin, la troisième partie présente les données par région. Ce ne sera pas la première année que nous signalons un fort accroissement de la professionnalité de ce rapport, mais il faut le signaler une fois de plus en soulignant en particulier les efforts faits pour situer les données recueillies dans les permanences des informations nationales. Réf. 1560