CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Bonne fille, la réalité se laisse quantifier. Les statistiques, bien sûr, n’en rendront jamais parfaitement compte, mais du moins peuvent-elles fournir du réel une représentation suffisamment fidèle pour éclairer le débat et les choix politiques. À condition, néanmoins, d’être produites et présentées avec une scrupuleuse rigueur. Or, cette qualité n’est pas d’actualité, estime le collectif « Lorraine Data », pseudonyme rassemblant des fonctionnaires de la statistique et de la recherche publiques, dont la plupart sont tenus à l’obligation de réserve. Las des « pressions des cabinets ministériels ou de leurs hiérarchies […] tant dans la conduite de [leurs] travaux que dans l’exploitation de leurs résultats », les auteurs de cet informé brûlot visent à aider le lecteur à déchiffrer les « bricolages statistiques » ayant cours dans certains domaines de l’action publique [*].

2Emploi, pauvreté, délinquance, pouvoir d’achat, éducation et immigration : différentes contributions thématiques montrent, de façon méthodique, comment les chiffres peuvent se trouver accommodés. Il existe quatre principales recettes. La première – et « la plus prisée, car probablement la plus facile à mettre en œuvre » – consiste à ne retenir, dans l’ensemble des données existantes, que ce qui vous arrange. Ainsi est-il possible de réduire la pauvreté en changeant la façon de la mesurer. La deuxième technique est celle de l’indicateur écran, qui masque l’évolution réelle des phénomènes?: on s’attache, par exemple, à polariser l’attention sur l’indice des prix, qui est l’une des dimensions du pouvoir d’achat, mais sans prendre en considération l’évolution des revenus et de leur distribution. La troisième ficelle revient à modifier la manière de compter tout en gardant, apparemment, le même indicateur, comme cela a été le cas pour faire baisser artificiellement le chômage, entre 2005 et 2007, en réaffectant certains demandeurs d’emploi dans une nouvelle catégorie. De la même manière, déqualifier un délit en contravention et rassembler plusieurs faits dans un seul enregistrement permet d’afficher de bons résultats en matière de délinquance. La délinquance est aussi susceptible d’illustrer le quatrième procédé : faire dire à un chiffre ce qu’il ne dit pas. « Confondant les statistiques relatives à l’activité de la police et de la gendarmerie avec une mesure du niveau effectif de la délinquance que seules les enquêtes en population générale (comme les enquêtes de victimation) peuvent fournir, [les politiques] n’hésitent pas à prétendre que la délinquance “explosait” avant 2002 ou qu’elle baisse de façon miraculeuse depuis cette date, sans que cela ait de rapport avec la réalité vécue par nos concitoyens », font observer les auteurs. Ainsi se confirme la célèbre maxime selon laquelle « la raison d’être des statistiques, c’est de vous donner raison »…

Notes

  • [*]
    Lorraine Data, 2009, Le grand truquage. Comment le gouvernement manipule les statistiques, Paris, éd. La Découverte.
Caroline Helfter
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2010
https://doi.org/10.3917/inso.157.0113
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