CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La rue est la porte d’entrée de la société. C’est en parcourant les rues que l’on peut prendre conscience des phénomènes de contrôle, de surveillance et de discipline. C’est aussi là que se créent des mouvements, des résistances, des formes de subjectivité qui interagissent avec l’ordre social.

2Certes, les émeutes, les violences et les formes conflictuelles d’occupation de la rue constituent un aspect non négligeable des phénomènes visibles et présents à l’esprit des citadins, mais il ne faudrait pas s’arrêter à un diagnostic mettant en avant la seule dangerosité des espaces publics, alors que bien d’autres processus s’y produisent. La rue est l’espace d’accueil de la pauvreté, des discriminations et, plus généralement, de la fragmentation sociale. On peut y voir, à tout moment, l’intolérable de la désocialisation, tout autant que le poétique de l’harmonie urbaine, empreinte de sons, de lumières et d’ambiances spectaculaires.

3La rue est un lieu de vie et de rencontres : la sociologue y a mené des enquêtes pendant plusieurs années auprès de jeunes citadins que les politiques publiques classent dans les catégories des jeunes en difficulté, sans emploi, hors-social, etc. Contrairement à ces typologies stigmatisantes, la sociologue Laurence Roulleau-Berger a pu identifier à quel point la rue est une ressource, un point d’entrée dans la société et un espace de civilité [*]. Elle est un espace interstitiel où les destins ne sont pas figés, où les rôles sont sans cesse remis en cause par la grâce d’interactions entre passants qui, pourtant, ne se connaissent pas ou, à tout le moins, font mine de s’ignorer. En devenant les narrateurs de leurs propres « récits de ville », de jeunes urbains en situation précaire ont eu l’occasion de montrer les formes d’appropriation de l’espace et leurs effets positifs sur une citoyenneté en émergence.

4Ce qui fait la très grande complexité de la rue, ce sont les perpétuelles interactions entre des domaines contraires et même contradictoires. Ainsi, celle-ci est aussi bien un espace d’anonymat que d’exposition de soi. Riches ou pauvres, hommes ou femmes, enfants ou personnes âgées, les passants sont à la fois l’objet du regard des pouvoirs publics mais aussi les acteurs d’une citoyenneté qui peut prendre la forme d’alliances, d’ententes et de résistances plus ou moins vives. La gestion de toutes ces contradictions est l’effet d’un brouillage entre le public et le privé. C’est aussi l’un des creusets de la compétence urbaine nécessaire pour (sur)vivre dans la rue.

5Au fond, dans la rue, la question de la confiance en l’autre est sans arrêt posée : la réponse se lit dans la différence de sociabilité entre une manifestation, une émeute et une fête.

Notes

  • [*]
    Roulleau-Berger L., 2004, La rue, miroir des peurs et des solidarités, Paris, Presses universitaires de France.
Alain Vulbeau
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2010
https://doi.org/10.3917/inso.157.0103
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