1Quelques-uns des membres du « peuple aux semelles de vent » ont posé leurs baluchons dans l’ancienne capitale continentale du royaume de Majorque. Selon les historiens locaux [*], les gitans de Perpignan seraient arrivés dès le XVe siècle des confins de l’Inde dans ce que nous appelons aujourd’hui la Catalogne, en passant par une région de Grèce désignée comme « la petite Égypte », où ils auraient gagné le nom d’Egiptanos, devenu, par déformation, gitanos. Après encore quelque temps d’errance relative, ils se sont sédentarisés vers 1820 au cœur de la ville, dans le quartier Saint-Jacques.
2Le quartier gitan commence dès que l’on a franchi la place du Puig : une douzaine de rues tortueuses aux immeubles vétustes où des enfants s’ébattent sous le regard blasé des anciens que l’on a manifestement installés sur des chaises pour la journée. Guère de circulation, l’espace semblant, par convention tacite, réservé à d’autres pratiques sociales, comme la conversation et le jeu. Certes typique, le décor contraste avec celui des autres quartiers de l’élégante cité catalane. Mais le touriste à la recherche de dépaysement peut-il imaginer que, dans ces voies étroites, se joue, sous ses yeux, un drame culturel ? Les modes de vie sont trop différents et il est donc extrêmement difficile à des payos, des non-gitans, même habités par la meilleure des volontés, d’envisager ici une expérience prolongée de mixité sociale. Entre groupes ethniques étrangers – il y a une importante population arabe dans le quartier d’à côté –, la cohabitation n’est pas facile non plus. Un affrontement communautaire qui s’est produit en 2008 a mis l’accent sur les tensions à l’œuvre entre les collectivités gitanes et maghrébines de Perpignan, les premiers accusant les seconds – d’immigration plus récente – d’introduire l’usage de la drogue dans leurs familles. Au-delà de cet incident, la situation spécifique des gitans de Perpignan illustre la grande fragilité sociale d’une communauté dont le mode de vie est mis en péril par l’évolution du contexte économique [1]. Les petits métiers pratiqués traditionnellement ne trouvent plus de débouchés et les reconversions sont d’autant plus difficiles que l’école n’est pas vécue comme très accueillante, quand elle ne suscite pas une certaine méfiance en raison de sa capacité à « lisser les différences », qui inspire l’hostilité.
3Pour répondre à cette revendication – au moins implicite – de préservation identitaire, les pouvoirs publics, locaux principalement, se sont engagés dans des politiques d’assistance matérielle à la population gitane. Ils ont aussi soutenu un programme de recherche anthropologique « Culture, ville et dynamiques sociales » [2], dont les enseignements ont souligné l’importance des facteurs culturels (histoire de l’enracinement et analyse des pratiques musicales) dans la compréhension de la situation singulière d’un groupe qui est conduit à acquitter, avec cinq siècles de retard, le prix de sa sédentarisation.
Notes
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[*]
Jacques Bethemont, 2003, Le livre des gitans de Perpignan, Paris, L’Harmattan.
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[1]
Alain Tarrius, 1999, Fin de siècle incertaine à Perpignan. Drogues, pauvreté, communautés d’étrangers, jeunes sans emploi et renouveau des civilités dans une ville moyenne française, Perpignan, Trabucaire.
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[2]
Louis Assier-Andrieu, « Les gitans de Perpignan : essai d’anthropologie de l’insertion par la culture », consultable sur Internet : http:// www4. culture. gouv. fr/ actions/ recherche