CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les pratiques éducatives ne cessent d’évoluer, structurées par les contraintes sociales qui pèsent sur elles et qui varient selon les sociétés, les époques et les aires géographiques. Les normes ont historiquement été fixées, le plus souvent, par les médecins, par les prêtres et même par les philosophes (c’est, par exemple, L’Émile de Jean-Jacques Rousseau). Quant à l’action des pouvoirs publics, elle s’est surtout cantonnée à la protection de la maternité (Cova, 1997) et des enfants. C’est depuis peu que des dispositifs visant à soutenir et à aider les parents dans leur « travail » auprès des enfants se sont développés.

Évolution des rapports parents/enfants du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle

2Philippe Ariès (1960) explique qu’au Moyen Âge, l’enfant n’existe pas ou plutôt qu’il est considéré comme un petit adulte. L’idée de l’enfant « moderne », c’est-à-dire d’un être fragile et devant être protégé, émerge seulement à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, sous l’influence des hommes d’Église, des médecins et de quelques philosophes. Dès lors, la santé et l’éducation de l’enfant sont devenues des préoccupations essentielles pour les parents. Depuis, d’autres travaux historiques ont remis en cause cette conception, notamment en différenciant les classes sociales (Alexandre-Bidon et al., 2004). Ainsi, dans les classes paysannes, la cohabitation des deux parents avec les enfants s’accompagne d’un grand souci éducatif et d’une réelle tendresse parentale. En outre, au Moyen Âge, le père intervient beaucoup, dans les milieux défavorisés, dans les soins aux enfants [1] (Alexandre-Bidon et al., 2004). Les tâches se différencient véritablement entre le père et la mère, sous l’effet conjoncturel de « la baisse de la fécondité, [de] la scolarisation et [de] l’introduction des savoirs et techniques domestiques, [qui] vont engendrer une transformation radicale des rapports parents-enfants et faire advenir le modèle nucléaire de la famille, avec la division des rôles parentaux, masculin et féminin » (Martin, 2003, p. 42). Sous la Révolution, la puissance paternelle sur les majeurs est abolie définitivement (en 1792) ; désormais, l’autorité paternelle se définit et se justifie principalement par la faiblesse physique et morale des enfants, qui appelle protection.

3La baisse de la natalité, tout au long du XIXe siècle, s’accompagne d’un intérêt croissant pour l’enfant et son développement, un enfant individualisé, devenu sujet (Rollet, 2001). Faisant l’objet de tous les soins, celui-ci va également entraîner un renforcement de la division sexuée des rôles parentaux. Ainsi, on célèbre «le plaisir de materner », sur le modèle de la mère entièrement dévouée à ses enfants et à leur éducation. Quant au père, même s’il ne commande plus à l’ensemble de la lignée, il reste le chef de la famille conjugale (un pater familias), consacré comme tel par le Code napoléonien de 1804 : son pouvoir sur les mineurs, sur les femmes et sur les enfants reste entier, sans intervention étatique dans le « gouvernement familial ».

Le rôle de l’État : entre protection de la maternité et protection de l’enfance

4L’enfant étant devenu, au XIXe siècle, un « bien national » (Rollet, 2001), plusieurs politiques se mettent en place qui le prennent pour cible : des politiques sanitaires qui visent à assurer sa survie, des politiques éducatives pour permettre à tous les enfants l’accès au savoir (mais différencié selon que l’on est un garçon ou une fille), des dispositifs de lutte contre les mauvais traitements et, enfin, des législations pour encadrer leur travail. Le lien fort établi socialement entre la mère et l’enfant a pu inciter, pendant toute la IIIe République, à légiférer en faveur de la protection de la maternité (Cova, 1997). C’est au début du XXe siècle que les premières lois relatives à la protection de la maternité voient le jour : la loi Engerand du 24 novembre 1909 institue un congé de maternité total de huit semaines, avant et après l’accouchement, sans rémunération mais sans rupture du contrat de travail ; la loi Strauss du 12 juin 1913 accorde un congé de maternité de quatre semaines après l’accouchement, avec une faible indemnité journalière. Ainsi, ce sont en premier lieu les mères pauvres qui retiennent l’attention, avec toute la difficulté de définir l’indigence, puis les mères travailleuses, d’abord de l’industrie, puis de l’agriculture (Cova, 1997).

5À côté des dispositifs de protection de la maternité, la nécessité d’accorder une protection spéciale à l’enfant a été énoncée dans la Déclaration de Genève de 1924 sur les droits de l’enfant. Un certain nombre de mesures ont alors été adoptées pour prendre en charge institutionnellement l’enfant lorsque les parents sont défaillants. En France, il faut attendre l’après-guerre. En 1945 sont institués les tribunaux pour enfants et la Protection maternelle et infantile (PMI), qui assure les soins médicaux et l’accompagnement psychosocial. C’est en 1953 qu’est mise en place, dans chaque département, une aide sociale à l’enfance, qui offre un soutien matériel, éducatif et psychologique. Par l’ordonnance du 23 décembre 1953 relative à la protection judiciaire de l’enfance en danger est instituée l’assistance éducative, prononcée par le juge pour enfants à la demande de l’un des parents ou des deux. Le lien mère/enfant demeure privilégié et doit être préservé, comme il est énoncé dans le principe 6 de la Déclaration des droits de l’enfant du 20 novembre 1959 : « L’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, a besoin d’amour et de compréhension. […] l’enfant en bas âge ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, être séparé de sa mère. »

L’invention de la parentalité

La promotion de la coparentalité

6L’importante évolution des mœurs à la fin des années 1960 et dans les années 1970, ainsi que les transformations concomitantes des structures familiales depuis plusieurs décennies s’accompagnent de la promotion de l’égalité des sexes au sein du couple. Cette « égale responsabilité » entre les deux parents est un principe énoncé par les textes internationaux. Ainsi, la Convention internationale des Nations unies sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ratifiée par la France en 1990, précise, dans son article 18 : « Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement ».

7La présence du père dans les premières semaines de l’enfant n’a cependant été encouragée que très récemment, par la loi du 21 décembre 2001 qui a créé un congé paternité de onze jours après la naissance de l’enfant. Toutefois, le partage de l’autorité entre le père et la mère est plus ancien et date de la loi du 4 juin 1970 : « L’autorité parentale appartient aux père et mère pour protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité ». Plus récemment, la loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale a deux finalités : l’éducation et la protection, qui reviennent toutes deux tant au père qu’à la mère (Bosse-Platière, 2003). En outre, cette loi ouvre la possibilité de la résidence alternée pour l’enfant en cas de séparation, ce qui, théoriquement, devrait favoriser le partage des fonctions parentales. Ceci dit, l’existence d’un congé parental d’éducation long (en vertu de la loi du 5 janvier 1984), qui permet à l’un des deux parents (majoritairement les mères) de se retirer complètement ou à temps partiel du marché du travail, pendant les trois premières années de l’enfant, ne favorise pas la participation des pères au travail parental.

Du soutien des familles à l’éducation des parents

8Par ailleurs, l’éducation des enfants est désormais basée – dans le modèle dominant des classes moyennes et supérieures – sur le dialogue. La « famille relationnelle », selon François de Singly, signifie que « la confiance doit remplacer la coercition » (Singly, 1996, p. 116) et que le rôle des parents est de « révéler » le potentiel de l’enfant. Le modèle éducatif promu par la psychologie est effectivement centré sur l’épanouissement de la personnalité de l’enfant. C’est dans cet objectif qu’une aide à la parentalité a commencé à se développer. Là aussi, les textes internationaux encouragent ce type d’aide. La Convention sur les droits de l’enfant de 1989 conforte l’idée que le soutien à la fonction parentale est le premier levier d’action pour satisfaire l’intérêt de l’enfant. Dans le même esprit, la recommandation du Conseil de l’Europe du 13 décembre 2006 relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive suggère aux pouvoirs publics, « en lien avec les acteurs économiques et sociaux et la société civile, [de mettre] en œuvre des actions de soutien à la parentalité, [pour] permettre d’œuvrer en faveur d’un avenir plus sain et plus prospère, et d’une amélioration de la qualité de la vie familiale ». Plusieurs dispositifs existent qui permettent aux familles de faire appel à des tiers : les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement à la parentalité, la médiation familiale, les lieux d’accueil enfants/parents ou encore l’aide au domicile des familles (Delaunay Guivarc’h et al., 2008).

9Plus globalement, l’aide à la parentalité s’est appuyée, au niveau individuel, sur des approches psychanalytiques du développement de l’enfant qui peuvent parfois s’opposer aux propos psychopédiatriques (Françoise Dolto versus Aldo Naouri). De plus en plus, être parent est devenu un métier nécessitant des compétences non pas innées mais à acquérir. D’ailleurs, « la légitimité de l’expert se fonde pour une bonne part sur cette mise en cause du travail des parents » (Martin, 2003, p. 43) et « le parental a peine à affirmer sa spécificité, sinon par le déploiement de l’affectif ou le mimétisme du rôle d’expert » (Lémieux, 1996, p. 233). Aujourd’hui, les guides, les revues et même les techniques de coaching fleurissent pour conseiller et orienter les parents confrontés à des difficultés diverses avec leurs enfants. Ce besoin de « formation » contribue assurément à alimenter l’idée que s’occuper d’un enfant et l’éduquer est un travail en soi…

Note

  • [1]
    Certes, le lien entre le nourrisson et la mère est très fort. Cependant, la jeune accouchée devant rester au lit plusieurs semaines, c’est bien au père qu’il appartenait de s’occuper des autres enfants.

Bibliographie

  • Alexandre-Bidon D., Lett D. et Riché P., 2004 (1997 1re édition), Les enfants au Moyen-Âge – Ve-XVe siècles, Paris, Hachette, coll. « Pluriel ».
  • Ariès P., 1960, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon (rééd. Le Seuil, 1973).
  • Bosse-Platière H., 2003, « L’autorité parentale après la loi du 4 mars 2002 : approche juridique », Informations sociales, n° 105, p. 62-75.
  • Cova A., 1997, Maternité et droits des femmes en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Anthropos-Economica.
  • En ligneDelaunay Guivarc’h V., Bonvalet D. et Noguès D., 2008, « L’action des caisses d’allocations familiales sur la parentalité », Informations sociales, n° 149, p. 30-31.
  • Lémieux D., 1996, « Le lien parent-enfant en mutation : contextes, rôles parentaux et représentations de l’enfant », in Dandurand R., Hurtubise R. et Le Bourdais C., Enfance, Presses de l’Université de Laval.
  • Martin C., 2003, « La parentalité en questions. Perspectives sociologiques », rapport pour le Haut Conseil de la population et de la famille.
  • Rollet C., 2001, Les enfants au XIXe siècle, Paris, Hachette littératures, coll. « Vie quotidienne ».
  • Singly F. de, 1996, Le soi, le couple et la famille, Paris, Nathan, coll. « Essais et recherches ».
Mis en ligne sur Cairn.info le 31/07/2009
https://doi.org/10.3917/inso.154.0008
Pour citer cet article
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