1Comme n’importe quels parents, ceux qui vivent dans la précarité aspirent à voir grandir leurs enfants et souhaitent qu’ils soient heureux. Mais « la grande pauvreté a des conséquences sur tous les aspects de leur vie, et notamment sur leur vie familiale, au point de mettre parfois les enfants en danger », explique Marie-Cécile Renoux, déléguée d’ATD Quart Monde auprès de l’Union européenne [*]. Comment les familles vivent-elles alors les interventions destinées à protéger leurs enfants ? « Malheureusement, les parents en situation de pauvreté ont bien souvent le sentiment qu’au lieu de les soutenir, on les accable encore plus », souligne encore M.-C. Renoux. « Ils se sentent disqualifiés, considérés comme de mauvais parents » et craignent par-dessus tout qu’on leur enlève leurs enfants.
2Cette peur explique en partie l’attitude des familles face aux travailleurs sociaux, commente l’auteur. Elle est source d’agressivité et de dérobades. C’est elle « qui poussera l’un ou l’autre à boire avant la rencontre, qui va les faire fuir, leur faire rater les rendez-vous qu’on leur donne, qui va les faire se cacher » – ou du moins cacher leurs difficultés. De fait, il n’est pas rare que des parents s’adressant à un travailleur social parce qu’ils éprouvent le besoin d’être aidés provoquent ou accélèrent le placement de leurs enfants, affirme M.-C. Renoux. Et de souligner, à cet égard, le poids de la précarité des familles sur les représentations qu’ont les professionnels du danger encouru par l’enfant. La tenue du logement, l’hygiène, la présence d’animaux, des apparences ou des comportements qualifiés de bizarres, un poste de télévision constamment allumé constituent autant d’éléments qui influencent négativement l’appréciation de la situation par les travailleurs sociaux. Le jugement porté dépend aussi du temps que les professionnels consacrent à la connaissance de la famille. « Quand on n’a qu’une vision parcellaire [de la situation], qu’on ne voit les parents qu’à travers leurs manques, leurs carences et leurs difficultés, sans percevoir en même temps leurs forces et leurs potentialités, on est plus inquiet : le danger ou le risque de danger prend des proportions très importantes », note M.-C. Renoux. Le fait que les parents aient été eux-mêmes placés pèse également sur la décision des intervenants. « C’est accroché sur nous, c’est accroché sur nos enfants. On a une étiquette sur nous », dénonce une mère dont les enfants ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance.
3Plaidant pour une autre façon de travailler avec les familles très démunies, M.-C. Renoux salue les actions menées dans le cadre des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (Reapp), qui confortent les intéressés dans leurs fonctions éducatives et les valorisent. Mais, sur ce terrain, il reste bien du chemin à parcourir, estime-t-elle.
Note
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[*]
In Réussir la protection de l’enfance. Avec les familles en précarité, Éditions de l’Atelier, 2008.